Les fermetures chez Desjardins provoquent la grogne au Bas-Saint-Laurent

Desjardins fermera dix points de services et guichets automatiques d’ici le 15 juin au Bas-Saint-Laurent.

La grogne monte devant la décision de Mouvement Desjardins de fermer les guichets automatiques et centres de services au sein de dix municipalités du Bas-Saint-Laurent d’ici le 15 juin. Syndicats, élus et représentants de groupes de citoyens unissent leur voix pour dénoncer l’action de Desjardins qu’ils accusent «d’abandonner les régions et sa population».


Ils sont d’autant plus outrés de lire que, dans son premier rapport trimestriel de 2024, le plus grand groupe financier coopératif en Amérique du Nord souligne sa bonne performance avec des excédents avant ristournes aux membres de 855 millions de dollars. Ils soulignent avec ironie une déclaration du président et chef de la direction, Guy Cormier, qui se dit fier des résultats du Mouvement et de sa solidité financière qui permet de répondre proactivement aux besoins de ses membres, de ses clients et de ses communautés.

Manque de respect de la part de Desjardins

Pour le maire de Saint-Gabriel-de-Rimouski, c’est une page d’histoire vieille de 80 ans qui se tournera avec la fermeture du point de services de sa municipalité. «En 1943, en pleine guerre mondiale, des gens se sont levés debout pour un mouvement qui était proche du petit épargnant, celui qui avait des difficultés à avoir accès à des prêts dans les banques, raconte Georges Deschênes. Aujourd’hui, le Mouvement Desjardins nous démontre le contraire.» C’est dans cet esprit que la municipalité fait circuler une pétition et a adopté une résolution visant à faire reculer les dirigeants de Desjardins.

«On ne boycotte pas Desjardins, met-il cependant en garde. C’est un mouvement qu’on a construit.» M. Deschênes y voit un manque de respect de la part des dirigeants de Desjardins. L’élu leur rappelle aussi l’importance de la vitalité et de l’accessibilité de services de proximité au sein des communautés. En l’absence du point de services dans sa municipalité, les sociétaires de Desjardins devront parcourir jusqu’à 90 km pour faire un dépôt ou un retrait au plus proche comptoir ou guichet.

Le conseil municipal demande donc au conseil d’administration de la Caisse Desjardins de Neigette et de Mitis-Ouest de sursoir à sa décision et exige même des excuses de la part de son président. «On n’est pas des citoyens de deuxième zone, se défend le maire Deschênes. On paie les même taux d’intérêt. Donc, on a droit aux mêmes services!»

Le 20 mai, de 10 h à midi, se tiendra une action de protestation symbolique devant la Caisse Desjardins de Saint-Gabriel-de-Rimouski. Bien que le maire ignore si cette mobilisation pourra faire reculer Desjardins, il espère du moins faire réfléchir ses décideurs qui «sont loin de leurs membres». «Les caisses qui ferment sont très rentables, soutient M. Deschênes. On a des taux de croissance annuel de 6 à 8 %. On nous compare à de grosses banques. Mais, Desjardins fait fausse route parce qu’il va perdre des membres. Des gens me disent qu’ils vont aller ailleurs pour avoir plus de reconnaissance.»

La situation est grave

Pour le coordonnateur d’Action populaire Rimouski-Neigette, un organisme qui a pour mission de défendre les droits des personnes en situation de pauvreté, la situation est grave.

«Quand on coupe des services de ce genre, les personnes en situation de pauvreté sont les premières à en subir les conséquences, estime Michel Dubé. Je dénonce l’approche de Desjardins de vouloir centraliser les services. Nos services de transport collectif sont inadéquats face à cette situation. La déshumanisation et la dématérialisation des services publics sont une tendance lourde dans notre société. Une personne sur deux au Québec a des problèmes de littératie. Ce ne sont pas tous les citoyens qui sont en mesure d’utiliser les services en ligne. Desjardins aggrave la situation des personnes démunies.»

Le Comité de citoyens de Saint-Fabien s’oppose à la fermeture du comptoir de Desjardins dans le village. «La réaction a été très vive à Saint-Fabien parce que c’est un endroit où les valeurs coopératives sont très fortes, soutient son porte-parole, Jérôme Bellavance. On a encore des coopératives agricole et alimentaire. Les employés de Desjardins à Saint-Fabien sont des gens de la place. Il y a un impact majeur.» Une pétition frôle les 2000 signatures, dont 600 ont été obtenues en moins de 24 heures.

«Desjardins s’éloigne de plus en plus de sa mission originale et de son idéologie coopérative, poursuit M. Bellavance. La façon de faire des dirigeants est presque gênante. On demande aux dirigeants de Desjardins de revenir à leurs valeurs et d’écouter la voix des membres.»

Représentants de syndicats, élus ainsi que porte-parole d’organismes et de comités de citoyens s’opposent aux fermetures de points de services de Desjardins au Bas-Saint-Laurent. Dans l’ordre: Roger Harvey de la FTQ, Michel Dubé d’Action populaire Rimouski-Neigette, Georges Deschênes de la municipalité de Saint-Gabriel-de-Rimouski, Jérôme Bellavance du Comité de citoyens de Saint-Fabien et Karl Boissonneault du SEPB-575.

M. Bellavance estime que le Comité de citoyen de Saint-Fabien est animé de bonnes volontés. Mais, selon lui, Desjardins fait preuve d’un manque d’ouverture. Il déplore aussi l’absence d’écoute. «Le temps est venu, pour Desjardins, d’enlever son masque de coopérateur quand ça fait son affaire, fustige-t-il. Sinon, qu’il revienne à la base et qu’il écoute l’ensemble des membres!»

Perte d’emplois

De son côté, le représentant du SEPB-575, qui constitue le plus important syndicat chez Desjardins, déplore la perte d’une quinzaine d’emplois découlant de ces fermetures de caisses au Bas-Saint-Laurent. Selon Karl Boissonneault, ces postes sont principalement occupés par des femmes.

Si d’autres employés ont pu être réaffectés à d’autres tâches dans d’autres caisses, il n’en demeure pas moins que certains d’entre eux qui travaillaient à quelques minutes à pied de leur lieu de travail doivent maintenant faire une demi-heure de route matin et soir. Il y a aussi des suppressions de postes non syndiqués, dont le représentant syndical ignore le nombre. «On ne peut pas laisser Desjardins se désengager de ses responsabilités envers les régions», clame M. Boissonneault.

De l’avis du président du conseil régional FTQ Bas-Saint-Laurent-Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, les caisses Desjardins sont gérées comme des banques, générant ainsi d’importants profits. «On est loin de la philosophie d’Alphonse Desjardins qui prônait un service de proximité et le mieux-être des collectivités et des individus, estime Roger Harvey. Desjardins doit entamer un dialogue positif avec les membres de la société civile.»

Le représentant syndical se désole de la perte d’emplois qu’il considère de qualité, tout autant que les services qu’il juge essentiels dans les municipalités visées. «Lorsqu’on coupe un service comme celui-là, on tue un peu nos petites localités. Il faut que Desjardins réalise l’ampleur des dommages que ça peut causer dans une région où on travaille pour revitaliser nos villages.»

Pendant que des milliers de villageois assistent impuissants à la fermeture de leur point de services, la Caisse Desjardins de Rimouski subit actuellement des rénovations majeures afin de regrouper et d’augmenter ses services pour l’ensemble de ses membres, dont ceux qui seront privés d’un point de services dans leur municipalité.