Le tribunal administratif de Paris a rendu le 03/02/2021 une première décision "avant-dire droit" dans le cadre du très médiatisé contentieux climatique l’Affaire du siècle. Le 09/02/2021, l’ISJPS conviait à un séminaire(1) deux des avocats de l’affaire, maître Baldon et maître Capdebos. Voici un aperçu du contenu du séminaire et du débat qui l'a suivi.
De la pétition à l'Affaire du siècle
Tout commence par une pétition en ligne. Quatre ONG(2) demandent à l’État de prendre les mesures nécessaires à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère(3). La pétition recueille près de 2 000 000 de signatures et est suivie d’un courrier adressé par les ONG au ministre de la Transition écologique, qui les reçoit. Faute d'une réponse satisfaisante, les ONG décident de porter l’affaire devant le tribunal administratif de Paris en février 2019. L’Affaire du siècle est née.
Une demande innovante et ambitieuse
La requête exigeait beaucoup du tribunal, à tel point que deux critiques majeures lui étaient adressées.
Certains craignaient au premier chef un "gouvernement de juges" ou du moins que la séparation des pouvoirs ne fût compromise du fait d’une trop grande exigence envers les magistrats.
Par ailleurs, une jurisprudence négative était redoutée concernant notamment la question de l’invocabilité du préjudice écologique devant le juge administratif. Ce précédent aurait pu nuire à de futures affaires.
Mais aucune de ces deux inquiétudes n’a été confirmée par le jugement du tribunal administratif. D’une part, les juges s’en sont tenus à une stricte interprétation du droit existant. D’autre part, le préjudice écologique a bel et bien été reconnu, ouvrant ainsi une nouvelle étape pour ce préjudice désormais applicable aux dommages climatiques.
Préjudice écologique et carence fautive de l’État
À première vue, le tribunal a fait preuve d’un esprit assez novateur, se prononçant sur l’établissement d’un préjudice écologique lié au changement climatique et sur la faute de l’État pour sa carence(4). Toutefois, même si la décision a été qualifiée d’historique par les ONG demanderesses, elle n’en soulève pas moins quelques interrogations.
Le tribunal ne reconnaît en effet que partiellement la responsabilité de l’État et ne propose pour l’heure pas de réparation pour le préjudice écologique établi. Les juges se prononcent sur la carence et sur la responsabilité de l’État ainsi que sur "le lien de causalité" entre les préjudices cités et l’absence ou l'insuffisance d’action de l’État.
Quelle suite pour l'Affaire du siècle ?
La décision de l’Affaire du siècle, tout comme celle de l’affaire de Grande-Synthe rendue en novembre 2020, est à suivre attentivement. Le tribunal a en effet ordonné, "avant-dire droit", un supplément d’instruction visant à la communication à l’ensemble des parties des observations des ministres compétents. Le jugement n’impose pas encore de mesures d’injonction à l’État, mais la stratégie des associations requérantes semble s’acheminer vers la reconnaissance d’une obligation de moyens, laquelle contraindrait l’État, responsable de la conduite des politiques climatiques dans les trajectoires de l’Accord de Paris, à prendre davantage d’initiatives dans ce sens. La nécessité d'une démarche préventive de la part de l’État semble également à l'ordre du jour afin de ne pas aggraver le préjudice écologique établi.
Ce contentieux contribuera sans doute à ce que les politiques climatiques de la France déplacent leur curseur vers des objectifs et des moyens plus ambitieux.