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Les terribles ravages du « grand hiver » de 1709

Des récoltes perdues à cause d'une succession d'étés pluvieux, de printemps et d'automnes frais, les Français pensent alors avoir vécu le pire. Jusqu'à ce qu'un froid polaire s'abatte sur le royaume. Un épisode de ce que les historiens ont nommé le petit âge glaciaire.

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Lagune gelée à Venise, 1709, par Gabriele Bella, Pinacothèque Querini Stampalla (Wikimedia Commons)

Par Françoise Labalette

Publié le 4 janv. 2019 à 09:00Mis à jour le 20 août 2023 à 13:27

Ce terrible hiver 1709 s'inscrit dans la période que les climatologues nomment le petit âge glaciaire PAG qui s'étend de 1303 à 1860. Il est caractérisé par une avancée des glaciers européens, des températures hivernales, non constantes, mais fréquentes, des étés souvent humides et frais. Au sein du PAG, le XVIIe siècle et, notamment durant le règne de Louis XIV (1643-1715), connaît environ quarante-deux années très froides, traumatisantes pour la population qui se heurte à des problèmes de ravitaillement. Cette période particulièrement fraîche est connue sous l'appellation de « minimum de Maunder » (1645-1715), du nom des travaux menés dans les années 1890, par l'astronome anglais E. W. Maunder de l'observatoire de Greenwich.

Cette période met en évidence un phénomène cosmique incroyable, à savoir une quasi-absence de taches solaires. Leur raréfaction entre 1689 et 1716, symptôme d'une faible activité du soleil, a engendré un refroidissement hivernal voire estival des températures. Les chercheurs s'accordent sur une diminution de 0,2 % de l'irradiance l'énergie que la terre reçoit du soleil lumineuse et calorifique du soleil. Or, la faiblesse de l'irradiance va de pair avec une couche d'ozone épaisse, capable de faire écran à l'action du soleil sur la terre, entraînant ainsi un refroidissement de 1 à 2 °C notamment dans l'Europe de l'ouest. Pour travailler, les climatologues s'appuient sur les dates des vendanges et des moissons, les relevés de températures. Une baisse de 1,5 °C des températures décale de quinze jours les vendanges vers l'aval. Hivers glaciaux, printemps froids, étés pluvieux, automnes froids, conditions lourdement défavorables pour l'agriculture et, surtout, les céréales caractérisent la très difficile décennie 1690.

Paris, le 20 janvier : le thermomètre affiche -20,5 °C

À compter de 1700, la situation climatique s'améliorant, la population du royaume progresse à nouveau et dépasse avec 22 643 000 habitants le niveau de 1691 22 442 000 habitants qui avait chuté en 1695 à 20 736 000 habitants. Pour l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie, les malheurs de l'année 1709 se préparent dès 1708. Fortes précipitations d'hiver, gelées tardives de mai, fréquentes pluies d'été, gels précoces d'automne, provoquent des moissons médiocres.

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Il semble que la cause majeure de ce refroidissement vienne, cette fois, non du soleil mais de la terre. L'impact de quatre éruptions volcaniques survenues entre 1707-1708, engendrant de considérables expulsions de poussières atmosphériques opacifiantes, empêche l'irradiance du soleil vers la terre, ce qui provoque également la chute des températures.

En 1709 survient « le grand hyver » dit tueur de moissons, ou année froide stérile et infortunée, année de la cherté, année de la misère. Les registres paroissiaux des baptêmes, mariages et décès, tenus par les curés sont, à cet égard, une source incomparable, de même que les livres de raison [journaux domestiques tenus par les chefs de famille] et les correspondances de l'époque, pour apprécier l'étendue du désastre. Tous les témoignages évoquent, tant il semble que l'on n'ait jamais vu de mémoire d'homme un froid pareil, une punition divine annonçant la fin du monde. Un flux d'air polaire recouvre toute l'Europe occidentale faisant de janvier 1709 le mois le plus froid des cinq cents dernières années. La vague de froid débute le jour des rois, le dimanche 6 janvier. Les températures, constamment inférieures à -10° jusqu'au 24 janvier descendent jusqu'à -20,5° à Paris le 20.

Six autres vagues de froid s'enchaînent jusqu'à la mi-mars, chacune détruisant le peu que la précédente a épargné. Le sol gèle en profondeur. Les noyers, châtaigniers, marronniers, sapins, fruitiers, oliviers, les vignes périssent. De gros chênes se fendent dans un bruit évoquant un coup de mousquet. Les fèves, aliments de base des populations, ne résistent pas et se gâtent. Les animaux succombent, à commencer par le bétail. Le petit gibier, lièvres, lapins, est décimé, de même que les loups, les sangliers, les cerfs, les biches et les ours. Le froid fait geler les puits, les étangs, les rivières grandes et petites, et même les bords de mer, où les poissons périssent. Le transport fluvial devenu impossible en raison des fleuves gelés, l'approvisionnement des villes ne se fait plus. Paris ne reçoit aucun ravitaillement entre janvier et avril. D'une manière générale, toute l'activité économique souffre, boutiques et ateliers ferment ; procès et audiences sont suspendus. Des feux publics sont allumés sous les halles, des distributions de soupe organisées. Dans les campagnes, toutes les céréales, blé, seigle, blé noir, avoine d'hiver, sont perdues.

Les pluies du printemps achèvent de pourrir les maigres récoltes que l'on pouvait encore espérer. Seule l'orge, semée au printemps, en réchappe. Les quelques fruits, rescapés des gels successifs, sont petits. Le dégel du printemps apporte une autre calamité, les inondations, compromettant encore le ravitaillement. La rareté de l'offre venue des campagnes et des pays voisins touchés aussi par le froid, entraîne la cherté des grains, du vin, des légumes, dans les provinces.

Le prix du setier de froment est multiplié par six entre juin 1708 et juin 1709. Cette flambée des prix provoque des « émotions paysannes », comme l'indiquent les intendants. Les troupes sont envoyées. Des bandes affamées s'en prennent aux châteaux et aux couvents, dont les occupants sont suspectés d'avoir fait des réserves. On dénombre 155 émeutes de février à juin 1709, et 38 pendant l'été. Le 20 août, lors d'une manifestation de la faim au Palais royal à Paris, on relève au moins 40 morts. Les gens des villes font des razzias dans les campagnes. Des paysans se pendent dans les masures glaciales. La princesse Palatine, épouse de Monsieur, frère du roi, écrit dans une lettre datée du 8 juin, que la famine est si violente que « des enfants se sont entre-dévorés ». Il est vrai que la misère est pire dans les campagnes que dans les villes mieux secourues.

Dès cette époque, les savants, comme le médecin Félix Vicq d'Azir, analysent les liens entre les décès et les conditions climatiques. La mort survient de plusieurs manières. D'abord, ce sont les maladies bronchopulmonaires qui attaquent les populations. Puis la dénutrition, la malnutrition, en affaiblissant l'organisme, favorisent les épidémies de maladies infectieuses : fièvres typhoïdes, rougeole, petite vérole, dysenteries. Enfin, les maladies propres à l'ingestion de céréales avariées, de nourritures peu appropriées herbages, racines, pain de bruyère, de farine de glands, de vesses, soupes de pois, trognons de choux, de charognes, tuent elles aussi en nombre. Le scorbut, dû aux carences en vitamine C, frappe également.

S'ensuit un déficit démographique, sur les années 1709-1710, de 800 000 personnes, 600 000 morts de plus l'équivalent de 1 800 000 décès dans la France d'aujourd'hui, répartis dans toute la population et 200 000 naissances de moins. Les hommes ont leur part de responsabilité dans le désastre humain. La catastrophe intervient en pleine guerre de Succession d'Espagne 1701-1714. En 1708, l'Europe entière est liguée contre Louis XIV. Les armées françaises connaissent plus de défaites que de victoires. Le roi en appelle au peuple afin de provoquer un sursaut national. Le 12 juin 1709, un discours est lu en chaire par tous les curés du royaume. Louis XIV y rappelle que la détermination des ennemis du royaume l'empêche de donner la paix à ses sujets et qu'il n'a d'autre choix que de maintenir l'effort de guerre. La piraterie, visant à arraisonner les navires céréaliers ennemis, est même encouragée.

Le vin gèle à la table du roi et la Cour claque des dents

Comment le roi ignorerait-il les malheurs de son peuple alors que le vin gèle à sa table et que les courtisans grelottent ? Alors, pour inciter les riches à donner aux pauvres, il décide de rendre public le nom des donateurs. Des visites de greniers sont ordonnées pour démasquer ceux qui gardent du grain au-delà du nécessaire, afin de les obliger à le porter au marché. La vente de pain est limitée par personne et par jour. Le lieutenant-général de police d'Argenson envoie partout des commissaires contraindre les paysans à semer afin de préparer les récoltes futures. Le mémorialiste Saint-Simon constate que le « manège des blés » est bien rude et que l'intérêt prend le pas sur l'affliction des malheureux.

En 1710, la pression fiscale, due à la situation de guerre, s'amplifie malgré la détresse. Un impôt exceptionnel, le dixième, consistant en un prélèvement effectué sur tous les revenus à l'exception des salaires, est créé par édit royal. La même année, le 15 février 1710, naît le futur Louis XV. La récolte de 1710, sans être excellente, rétablit la situation, mais celle-ci s'aggrave à nouveau en 1711. Après 1716, le cycle solaire reprend son rythme normal. Le XVIIIe siècle, pris dans son ensemble, montre un réchauffement général de tout l'hémisphère nord.

Françoise Labalette

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