► « Nous disposons des capacités propres aux grands pays »

Xavier Pasco,directeur de la fondation pour la recherche stratégique, est spécialiste de politique spatiale

« La France dispose toujours des capacités spatiales propres aux grands pays. Nous avons un accès à l’espace, avec le port spatial de Kourou en Guyane, ce qui est une condition sine qua non pour lancer des fusées. Certains pays sont obligés de négocier ou de payer pour accéder à des pas de tirs, ne l’oublions pas. Par sa position géographique, proche de l’équateur, Kourou est idéal pour desservir à la fois l’orbite basse et l’orbite géostationnaire et donc assurer une variété de missions.

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Côté fusée, nous disposons de la famille Ariane, qui doit encore s’agrandir avec Ariane 6 l’année prochaine et est l’un des lanceurs les plus fiables sur le marché. La France possède une industrie spatiale importante, avec Airbus et Thales. Cette industrie est effectivement partagée avec nos voisins européens car l’avenir du spatial français ne peut pas être déconnecté de l’avenir du spatial européen. À ce titre, même si tout n’est pas parfait, l’Europe a su tirer son épingle du jeu, avec des programmes spatiaux scientifiques de grande qualité et reconnus internationalement.

Peut-être, oui, que certaines ambitions sont revues à la baisse par le jeu des compromis européens. Pour autant, il serait faux de dire que l’Europe bride les capacités françaises, car elle les finance ! Il faut bien comprendre que l’espace mobilise des budgets importants, qui sont aujourd’hui partagés. Réintégrer ces coûts au niveau national serait considérable. Une politique spatiale européenne est donc à la fois un choix et une nécessité, avec plus de bénéfices que de contraintes pour la France.

Côté militaire, nous sommes l’un des rares pays au monde à s’être doté d’une capacité spatiale, avec des satellites d’observation de la Terre à des fins militaires, la série CSO, des satellites d’écoute et d’interception de signaux électromagnétiques, le programme Ceres, et des satellites de télécommunications protégés contre les attaques, le programme Syracuse. Seuls les États-Unis, la Russie et la Chine disposent de capacités semblables.

J’entends ceux qui déplorent l’absence d’acteurs privés innovants du « new space », tels des SpaceX ou Blue Origin à la française. Mais rappelons déjà que le paysage industriel en France n’est pas du tout celui des États-Unis. Nous n’avons pas de Gafa ou de milliardaire des télécommunications capable d’injecter un million de dollars par an à perte dans une entreprise. Ensuite, le spatial reste encore aujourd’hui un domaine d’investissement étatique, même outre-Atlantique. SpaceX n’existe que grâce à la commande publique de la Nasa, et les flux financiers qui irriguent les entreprises américaines du spatial proviennent de l’argent public. »

► « Nous devons accélérer pour ne pas nous laisser dépasser »

Arthur Sauzay, avocat, est expert en politique spatiale à l’Institut Montaigne et coauteur du rapport « Espace : le réveil de l’Europe ? » paru en février 2020

« À plein d’égards, la France est une puissance spatiale. Dans le domaine des lanceurs avec Ariane, dans le domaine des satellites avec Airbus et Thales, ou encore dans le domaine militaire avec des capacités importantes et la création en 2019 du commandement de l’espace. Cela dit, des défis nous attendent pour rester dans la course et éviter de connaître un “destin russe”, avec un déclin du programme spatial faute d’investissements.

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Ariane est concurrencée par des acteurs à moindre coût et par les fusées réutilisables. Les grands industriels français apparaissent moins attractifs face à des start-up. De nouveaux acteurs entrent chaque jour sur le marché du spatial, qui s’est mondialisé et commercialisé. Ce n’est pas que la France fasse moins bien qu’avant, simplement, tous les autres font mieux.

L’espace est une priorité nationale stratégique pour la Chine et les États-Unis, et sert d’ailleurs d’élément de compétition entre les deux nations. Qui très logiquement y consacrent beaucoup de budget. Surtout, ces deux pays ont réussi à attirer des acteurs qui ne sont pas issus du spatial mais veulent y mettre les moyens. Les fortunes issues de nouvelles technologies apportent un autre regard sur la prise de risque et l’innovation.

Clairement, des personnalités comme Elon Musk, Jeff Bezos ou Richard Branson aiment l’espace, cela les passionne, et ils sont prêts à investir beaucoup d’argent. La Nasa et le gouvernement américain ont su s’organiser pour capter cet intérêt dans des projets spatiaux. Il faut que l’État français et le Cnes développent ce versant, pour soutenir les nouveaux venus qui ont à la fois les moyens et l’ambition.

Cela doit aussi passer par une coopération européenne plus fluide. Comparativement à des pays uniques comme la Chine ou les États-Unis, le spatial européen souffre du mille-feuille institutionnel, avec des problèmes d’organisation entre les États et les différentes instances. Côté budget public, les États-Unis dépensent 4 à 5 fois plus que l’Europe. Et si, pendant quelques décennies, nous avons réussi à rester en “Ligue 1” malgré des enveloppes moins épaisses, ce n’est plus possible aujourd’hui. Nous devons accélérer pour ne pas nous laisser dépasser.

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La bonne nouvelle, c’est que depuis un an, on constate un changement d’état d’esprit. Au niveau européen, avec Thierry Breton comme commissaire au marché intérieur, à l’Agence spatiale européenne, où est arrivé l’Autrichien Josef Aschbacher en mars dernier, mais aussi en France, où Philippe Baptiste a pris la tête du Cnes en avril. Je pense que ce nouveau patron, issu de l’informatique et non du spatial, peut apporter un regard neuf ; il n’est pas lié par des décennies passées. »