Reconstruction

Notre-Dame : le retour en grâce du retour aux sources

L'incendie de Notre-Damedossier
Le principe d’une reconstruction conforme à l’apparence voulue par Viollet-le-Duc est désormais acté, et même soutenu, par Emmanuel Macron. Exit donc le «geste architectural» qu’il avait appelé de ses vœux dès le surlendemain de l’incendie.
par Bernadette Sauvaget
publié le 9 juillet 2020 à 20h16

L'affaire est (presque) entendue : Notre-Dame de Paris sera restaurée à l'identique. A l'horizon de 2024, le ciel parisien devrait retrouver la flèche de la cathédrale sur le modèle de celle édifiée par l'architecte Eugène Viollet-le-Duc au milieu du XIXe siècle. Exit les audaces promises par Emmanuel Macron au lendemain de l'incendie qui a ravagé la cathédrale, dans la nuit du 15 au 16 avril 2019, détruisant la toiture, la charpente médiévale et la flèche. Enterrée aussi, l'idée d'un concours international d'architectes. Roselyne Bachelot, fraîchement nommée ministre de la Culture, a éventé les décisions et clos le débat avant qu'il ne s'engage. «Un large consensus se dégage dans l'opinion publique et chez les décideurs […] pour une reconstruction à l'identique», a-t-elle déclaré, jeudi matin, au micro de France Inter.

Prudente, elle a précisé que le mot final reviendrait au président de la République. Certes. Mais, à l'Elysée, l'entourage du chef de l'Etat a fait savoir, dans la journée, qu'Emmanuel Macron avait déjà avalisé la construction d'une flèche identique à la précédente. En précisant également qu'«il se ralliera aux décisions des experts sur les options concernant la charpente et la toiture, les matériaux qui seront employés pour les reconstruire».

De façon un peu discourtoise, l'intrépide Roselyne Bachelot a aussi coupé l'herbe sous le pied de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA), présidée par Jean-Pierre Leleux, sénateur (LR) des Alpes-Maritimes. Jeudi après-midi, celle-ci entendait Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques et «gardien» de la cathédrale, et le général Jean-Louis Georgelin, homme de l'Elysée sur le chantier et président de l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration du monument. S'appuyant sur un lourd rapport de près de 3 000 pages (résumé il y a quelque temps à Emmanuel Macron), le général Georgelin et Philippe Villeneuve ont défendu des options claires : restituer la cathédrale dans son dernier état connu, c'est-à-dire celui de la restauration menée par Viollet-le-Duc de 1844 à 1864. En fin de journée, la CNPA a approuvé à l'unanimité, selon l'un de ses membres, les propositions de l'architecte en chef. «Cela correspond aux engagements internationaux de la France», souligne un expert du patrimoine, se référant à la charte de Venise, un traité adopté en 1964. Ce choix implique la construction d'une flèche identique à la précédente, d'une nouvelle charpente en bois et d'une toiture en plomb.

Propositions farfelues

Ce dernier point risque, selon plusieurs spécialistes, de susciter la polémique à cause de la pollution qu'a entraînée l'incendie d'avril 2019. Pour le reste, le consensus paraît garanti. «Les matériaux utilisés participent de l'équilibre général de la cathédrale», expliquent les experts, nombreux à plaider pour une charpente en bois.

A l'Elysée, on s'efforce de minimiser ce qui pourrait apparaître comme un revirement du Président. Quelques architectes prestigieux, comme Norman Forster ou Jean-Michel Wilmotte, avaient de fait appuyé l'idée présidentielle d'un «geste architectural» pour la nouvelle flèche de Notre-Dame, avancée à peine quarante-huit heures après l'incendie. Ce 17 avril, le chef de l'Etat avait même fait part de sa décision «de lancer un concours international d'architecture pour [sa] reconstruction». Des propositions audacieuses, voire farfelues, sont émises, comme celle d'une nouvelle flèche en cristal, ou d'une cathédrale sans flèche mais avec un toit-terrasse végétalisé. Branle-bas de combat dans le camp des «défenseurs» du patrimoine, qui se mobilise autour d'une pétition initiée par l'historien Jean-Michel Leniaud, l'un des grands spécialistes de Viollet-le-Duc, puis signée par plus de 1000 conservateurs, architectes et historiens. Publié dans le Figaro, le texte appelle le chef de l'Etat au «sens des responsabilités». En clair, à ne pas toucher à Notre-Dame…

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Dans les mois qui suivent l'incendie, Philippe Villeneuve ne fait d'ailleurs pas mystère de sa préférence pour remettre la cathédrale dans son état précédent. Avant de se faire rappeler vertement à l'ordre par le général Georgelin. Devant les parlementaires de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, le militaire lâche, en novembre 2019, avoir intimé l'ordre à l'architecte de «fermer sa gueule». S'ensuit une polémique, close un mois plus tard par Georgelin lui-même, à l'initiative d'une standing-ovation pour Villeneuve lors de l'avant-première d'un documentaire consacré à Notre-Dame.

2024 toujours en ligne de mire

Au cours des derniers mois, l'architecte en chef a fait preuve d'un silence de moine, laissant la place médiatique à Georgelin. L'homme avait fort à faire ailleurs : à la fois diriger les travaux de sécurisation de Notre-Dame et préparer ses recommandations pour la restauration. Si le duo fait aujourd'hui cause commune, c'est le signe qu'un accord a été trouvé à l'Elysée. «C'est une décision sage», saluent les spécialistes du patrimoine. Elle évite les polémiques. Et, comme le souligne l'Elysée, elle ne retardera pas un chantier déjà soumis à des aléas multiples. La pollution au plomb et la crise sanitaire du Covid-19 ont déjà singulièrement retardé les travaux, alors que l'objectif de 2024 demeure. Entre anciens et modernes, le compromis, semble-t-il, a été trouvé. Si la cathédrale sera restaurée à l'identique, ses abords (le parvis, les jardins) seront le lieu de nouveaux aménagements, laissant libre cours à la création et à l'innovation. A l'Elysée, on confirme qu'en concertation avec la Mairie de Paris, un concours d'architectes devrait avoir lieu pour ces dossiers spécifiques. Sans en préciser toutefois la date.

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Quant à l'horizon de 2024, est-il tenable ? «La cathédrale est toujours dans un état fragile», répète-t-on sur le chantier. Les travaux de sécurisation avancent ; les équipes de cordistes se relaient en travaillant six jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre… La délicate opération de démantèlement de l'échafaudage, dont la partie centrale a été calcinée lors de l'incendie, se poursuit. Pas une mince affaire avec ces 250 tonnes de métal fondu et soudé. Ces derniers jours, les découpages étaient particulièrement délicats. Mais le principal motif d'inquiétude demeure l'état des voûtes. Leur état va conditionner la durée du chantier. Pour le moment, l'évacuation des débris de l'incendie qui se sont déposés au-dessus de celles-ci n'est toujours pas achevée. Harnaché sur une civière, treuillé par les cordistes, Philippe Villeneuve a pu s'approcher, le 30 juin, au plus près des pierres du chœur et les ausculter. C'était la première fois depuis l'incendie.

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