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Faire de l’exercice, comme ici le long du canal de Leeds à Liverpool, est d’autant plus important en cette période de pandémie de Covid-19. Lindsey Parnaby / AFP

Conversation avec Frédéric Altare : l’obésité, facteur très aggravant du Covid-19

Un surpoids important augmente fortement le risque de développer une forme sévère de Covid-19. Frédéric Altare, directeur du département d'immunologie au Centre de recherche en cancérologie et immunologie Nantes-Angers, dresse pour The Conversation l’état des lieux des relations entre obésité et coronavirus SARS-CoV-2.


The Conversation : Est-il vrai que les personnes en surpoids ont plus de risques que les autres de développer une forme sévère de Covid-19 ?

Frédéric Altare : Oui. Un surpoids important constitue la principale comorbidité en lien avec les formes sévères de Covid-19, qui nécessitent une admission en réanimation. On peut estimer que, dans certains endroits, jusqu’à 80 % d’entre elles sont liées à l’obésité.

Ce pourcentage varie néanmoins d’une région à l’autre, car la prévalence de l’obésité n’est pas la même sur tout le territoire. Dans les régions où la population y est moins sujette, les autres comorbidités (telles que les maladies cardiovasculaires, l’hypertension artérielle et le diabète en particulier) peuvent parfois être plus représentées que l’obésité dans les services de réanimation. Cependant si on fait une moyenne nationale, l’obésité représente certainement plus de la moitié de la proportion de personnes admises en réanimation.

Cette association entre surpoids et formes sévères était déjà connue pour d’autres infections respiratoires telles que la grippe A(H1N1). Dans le cas du Covid-19, certains pensent que les différences de mortalité entre Chine et Italie pourraient notamment s’expliquer par la plus forte prévalence de l’obésité chez nos voisins. Le fait que l’obésité crée un biais favorable à l’aggravation de la maladie est aussi confirmé par la flambée de l’épidémie observée aux États-Unis, où près de 36 % de la population présente une obésité sévère.

TC : Quelles sont les personnes les plus à risque ?

FA : Les personnes qui se retrouvent en réanimation sont surtout celles qui ont franchi le cap de l’obésité morbide. Le surpoids est évalué grâce au fameux « indice de masse corporelle », ou IMC, qui est le rapport du poids sur la taille au carré. On considère qu’une personne dont l’IMC se situe au-delà de 25 commence à être en léger surpoids. À partir de 30, on parle de surpoids avéré avec début d’obésité, à 35 on commence à parler d’obésité sévère, et à partir de 40 on entre dans ce qu’on appelle l’obésité « morbide ». Morbide, car les gens concernés sont considérés comme à risque de développer des pathologies, majoritairement cardiovasculaires et athérosclérose, mais aussi diabète de type 2, atteintes hépatiques, certaines formes de cancers…


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TC : Comment expliquer que l’obésité entraîne de telles pathologies ? Quel est son impact sur l’infection par le coronavirus SARS-CoV-2 ?

FA : On sait aujourd’hui que toutes ces pathologies découlent directement de l’inflammation.

Tout commence dans la masse graisseuse. Celle-ci est constituée de cellules spécialisées dans la métabolisation du gras, appelées adipocytes. Elles sont capables d’« usiner » les lipides apportés par l’alimentation afin de les utiliser, ou bien de les stocker pour servir ultérieurement de « source d’énergie » pour la cellule. Ils servent notamment à fabriquer des composés lipidiques utilisés pour construire et régénérer la membrane des cellules. Quand la quantité de gras fournie par l’alimentation est normale, ce métabolisme (appelé métabolisme oxydatif) fonctionne bien. Les cellules graisseuses stockent les lipides et se multiplient.

Le problème survient quand la proportion de gras fournie par l’alimentation augmente trop et que les adipocytes sont débordés. Pour faire face à la suraccumulation de lipides, ils mettent en place une chaîne de traitement secondaire, appelée métabolisme non oxydatif. Problème : ce métabolisme alternatif usine lui aussi les lipides alimentaires, mais au lieu de produire des constituants utilisables pour les membranes des cellules, il produit d’autres composés, notamment des céramides. Ces derniers sont très peu stockés par les adipocytes, qui les relarguent à l’extérieur.

Or les céramides favorisent l’inflammation : quand des cellules du système immunitaire entrent en contact avec eux, elles les considèrent comme des signaux de danger. Elles se mettent à s’activer, et à produire à leur tour de nombreux composés favorisant l’inflammation, destinés à attirer d’autres cellules immunitaires, qui vont à leur tour entrer en alerte et accroître l’inflammation, etc.

TC : Quelles sont les cellules immunitaires concernées ?

FA : Il s’agit surtout des macrophages. Ces membres des « globules blancs » (ou leucocytes, cellules immunitaires produites par la moelle osseuse) s’infiltrent dans les tissus et patrouillent à la recherche d’hôtes indésirables qu’ils ingèrent, avant de prévenir les autres cellules immunitaires. Attirés par les sous-produits métaboliques relargués par les cellules adipeuses, les macrophages peuvent représenter jusqu’à 40 % de toutes les cellules du tissu graisseux. Plus ce dernier est important, plus les macrophages vont être nombreux. Si le nombre de macrophages est donc logiquement plus élevé chez les personnes en surpoids, ces cellules sont néanmoins aussi présentes, en plus faible quantité, dans le tissu graisseux des individus « maigres ». Nous avons donc tous dans notre masse graisseuse un peu d’inflammation.

Lorsque la situation est normale, cette inflammation est maintenue sous contrôle. En effet, il existe deux sortes de macrophages, ceux du type M1, qui sont plutôt proinflammatoires, et ceux du type M2, plutôt anti-inflammatoires. Chez les individus maigres, les macrophages de type M2 prédominent et freinent l’induction de l’inflammation due au gras. Ils sont aidés en cela par d’autres cellules immunitaires, les lymphocytes « régulateurs ». Ces « pompiers » ont pour rôle d’éteindre l’inflammation ou la réponse immunitaire, pour ne pas qu’elle perdure après une infection par exemple.

Chez les individus obèses, on s’est rendu compte non seulement que ces lymphocytes régulateurs étaient peu nombreux, voire absents, mais aussi que les macrophages M2 étaient remplacés par des macrophages M1, beaucoup plus stimulés par les céramides. Or les macrophages M1 produisent de nombreuses molécules favorisant l’inflammation, telles que les cytokines IL-1 ou IL-6, des messagers chimiques.

TC : Que se passe-t-il dans le cas d’une infection par le coronavirus SARS-CoV-2 ?

FA : Quand le coronavirus nous infecte, notre système immunitaire réagit notamment en produisant, en 7 à 10 jours, des anticorps. Le problème est que si certains de ces anticorps sont neutralisants et empêchent le virus d’entrer dans nos cellules, d’autres sont facilitants. Non seulement ces derniers n’empêchent-ils pas le virus d’entrer dans les cellules, mais qui plus est, comme tous les anticorps, ils activent les macrophages et d’autres cellules immunitaires, ce qui favorise l’inflammation.

Cette réaction est censée, à terme, tuer le virus. Mais ce n’est pas ce qui se passe dans les formes graves du Covid-19 : l’inflammation s’emballe, et un véritable orage cytokinique se déclenche, qui va, à terme, détruire les organes. En particulier les poumons, dans un premier temps, mais également d’autres organes comme les reins ou le cœur.

Dans le cas des personnes obèses, la survenue de cet orage cytokinique est d’autant plus probable que le niveau d’inflammation est déjà élevé de base. Dans les cas d’obésité sévère, on trouve en effet entre 2 et 5 millions de cellules inflammatoires par gramme de tissu adipeux, soit quasiment plus que dans les organes lymphoïdes, dont le travail est de générer ce type de cellules. C’est un peu comme si les individus atteints d’obésité sévère avaient un second système immunitaire dans leur tissu adipeux ! Quand l’inflammation se déclenche chez ces personnes, sa puissance de frappe donc est majeure…

TC : C’est donc cet orage inflammatoire qui est dangereux pour le patient ?

FA : Tout à fait. Les patients concernés finiraient probablement par guérir du virus, sur un temps plus ou moins long, selon leur réponse immunitaire. Rappelons que c’est ce qui se passe pour la majorité des patients infectés par le coronavirus. Les jeunes, par exemple, développent très peu de formes graves, contrairement aux personnes âgées, dont le système immunitaire vieillissant est moins efficace. Elles n’arrivent pas à maîtriser le virus, qui se multiplie et active une réponse inflammatoire qui finit par être hors de contrôle.

Chez elles comme chez les personnes obèses et les autres patients qui développent des formes sévères, ce n’est pas le virus qui détruit les poumons : il ne fait qu’activer des cellules qui sont déjà là et qui, par leur activation, détruisent le tissu pulmonaire.

Cela commence au niveau vasculaire : les cellules qui constituent les parois des vaisseaux qui passent dans les poumons se rigidifient, se fibrosent, sous l’action de l’inflammation. Le tissu se nécrose, des trous se forment dans les poumons, les vaisseaux sanguins, détruits, ne peuvent plus transporter l’oxygène…

TC : Observe-t-on une protection pour IMC plus bas ?

FA : Non, le fait d’être maigre ne protège pas de façon inversement proportionnelle. Si le risque se manifeste vraiment à partir du moment où l’on entre dans la catégorie « obésité morbide », le fait d’être en dessous en terme d’IMC n’est pas un facteur de protection. Quelqu’un qui a un IMC très bas pourrait même au contraire présenter d’autres risques, liés à une potentielle dénutrition par exemple…

Par ailleurs, des gens « maigres » peuvent avoir des problèmes de comorbidités inconnues, comme certaines pathologies cardiovasculaires sous-jacentes. Leurs artères peuvent par exemple être bouchées de plaques d’athérome, si leur alimentation est trop déstabilisée vers les lipides. En temps normal, des taux de cholestérol trop importants dans les vaisseaux, y compris dans les vaisseaux du tractus respiratoire, peuvent passer inaperçus. Cependant en cas d’infection par le SARS-CoV-2, les conséquences peuvent être graves. Cette situation peut concerner des sportifs ou des personnes jeunes, peu enclines à faire des analyses de ce genre.

TC : Au bout de combien de temps le développement d’une forme sévère survient-il ?

FA : La zone critique est comprise entre 7 et 10 jours, soit la durée de production des anticorps. Les gens vulnérables peuvent développer une pathologie supportable dans un premier temps (de la fièvre avec juste un peu de toux, quelques problèmes respiratoires mineurs…), qui semble arriver à un plateau au bout d’une semaine.

C’est à ce moment que certains malades vont basculer : si le système immunitaire a laissé le virus se multiplier au point de déclencher une pré-inflammation suffisante pour créer un orage cytokinique, en quelques heures l’état de la personne se dégrade. Une radiographie des poumons révèle des masses blanches importantes : ce n’est pas le virus, mais la masse inflammatoire.

TC : Quelles sont les stratégies de lutte ?

FA : En réanimation, au quotidien, il s’agit moins de lutter contre le virus, pour lequel il n’existe de toute façon pas encore vraiment d’antiviraux très efficaces, que de combattre l’inflammation et d’éviter l’orage inflammatoire, ou de l’enrayer s’il est déjà là.

On utilise pour cela, en particulier, des inhibiteurs des cytokines IL-1 et IL-6, qui sont les deux principaux médiateurs de l’inflammation. Ces traitements sont déjà classiquement utilisés en rhumatologie ou dans des pathologies auto-immunes. Ils ont déjà été testés, on sait comment ils marchent, on connaît les doses… Ils ne fonctionnent plutôt pas trop mal pour lutter contre le Covid-19 : grâce à eux on arrive à récupérer les malades. On peut par exemple citer le tocilizumab, un anti-IL6 pour lequel il y a un essai en cours en Italie.

Le problème des anti-inflammatoires est qu’ils peuvent inhiber une partie de la réponse anti-infectieuse de l’organisme. On diminue l’inflammation d’un patient pour sauver ses organes, mais dans le même temps on l’empêche de lutter efficacement contre le virus. Il faut donc jongler sur le fil du rasoir avec ces anti-inflammatoires, ce qui rend la prise en charge des malades Covid-19 si délicate.

Concernant les antiviraux, des pistes sont à l’étude, mais il s’agit surtout pour l’instant de stratégies « de première ligne » : dans l’urgence on essaie de réutiliser des médicaments qui n’ont pas été conçus pour lutter contre virus, en espérant que certains aient un petit effet. Il s’agit de gagner du temps. Diminuer la quantité de coronavirus, ou réduire de 3 jours sa durée de vie dans l’organisme, c’est laisser d’autant moins de temps à l’inflammation pour s’installer, ce qui peut éviter que les gens partent en réanimation. Les patients y sont en effet admis lorsqu’au moins un de leurs organes est défaillant.

TC : Qu’est-ce qui décide du sort d’un patient en réanimation ?

FA : C’est son état : si plusieurs organes sont atteints, on va pouvoir diminuer l’inflammation, mais les dégâts sont déjà faits, et il n’est pas dit que les organes tiendront. La question des séquelles est particulièrement importante. On a constaté, chez des patients qui ont récupéré et sont sortis de réanimation, l’existence de lésions au niveau de divers organes. Principalement au niveau des poumons, évidemment, mais aussi au niveau des reins par exemple. Leur organisme a en effet subi, pendant parfois plusieurs semaines, un état inflammatoire important dont les conséquences à long terme restent à déterminer.


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Ces séquelles pourraient se traduire par des problèmes de perte de capacité respiratoire plus ou moins importante, de reins filtrant moins bien… C’est un peu comme quand un immeuble a brûlé : une fois l’incendie éteint, reste à savoir dans quel état est la structure… Pour l’instant l’urgence est de sauver la vie des gens, mais ensuite il faudra les suivre.

TC : Les recommandations habituelles, perdre du poids, faire de l’exercice surveiller son cholestérol sont donc particulièrement important en ce moment…

FA : Oui, car toute diminution de la masse graisseuse va aider à diminuer le taux d’inflammation résiduel. Et tout degré d’inflammation en moins constitue une chance supplémentaire de mieux résister au coronavirus, qui déclenche lui-même une inflammation.

Donc moins on aura de masse graisseuse, mieux ce sera. Faire du sport, modifier son alimentation pour limiter le stockage des lipides peuvent aider à ne plus fabriquer ces fameux réactifs de type céramides, qui sont nocifs et activent l’inflammation. On a besoin de gras pour vivre, on peut évidemment en manger, mais il faut éviter la surcharge.

Ces dernières années, une autre piste intéressante a émergé : des travaux ont révélé que le microbiote des gens obèses était très différent de celui des gens non obèses. Certaines bactéries, en particulier, en étaient absentes. Nos propres recherches ont montré que certaines de ces bactéries, qui « manquent » aux personnes obèses, sont habituellement responsables de l’émergence de lymphocytes régulateurs, ces pompiers qui éteignent l’inflammation.

Ces bactéries sont-elles absentes parce qu’une alimentation trop lipidique ne leur convient pas ? Ou plutôt parce que cette alimentation trop riche favorise d’autres bactéries ? On ne le sait pas encore. Mais il est probable que leur absence explique pourquoi les lymphocytes régulateurs sont moins nombreux, voire absents du tissu adipeux des personnes obèses. Cela expliquerait pourquoi l’inflammation flambe sans contrôle chez elles. Non seulement les céramides l’activent, mais de plus les cellules censées la limiter ne sont pas là… C’est la double-peine.

Il est trop tôt pour que ces observations se traduisent par des traitements, mais elles incitent à conseiller de prendre soin de son microbiote, notamment en veillant à avoir une alimentation équilibrée et en limitant sa consommation d’alcool.

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