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Idlib, capitale syrienne du désespoir

La région d’Idlib est la dernière zone à résister aux forces de Damas. Placés par l’ONU sur la liste des groupes terroristes, certains armés demandent à accéder à l’aide internationale

Un immeuble détruit par un bombardement sur la ville d'Ariha, dans la zone rebelle d’Idlib, est recouvert du drapeau de l’opposition syrienne le 28 août. — © OMAR HAJ KADOUR/AFP
Un immeuble détruit par un bombardement sur la ville d'Ariha, dans la zone rebelle d’Idlib, est recouvert du drapeau de l’opposition syrienne le 28 août. — © OMAR HAJ KADOUR/AFP

Au pied du mur gris béton qui s’élève le long de la frontière turque, Ahlam Rachid fait le tour des tentes dans le camp de déplacés d’Atmeh. Chaque jour, cette humanitaire syrienne parcourt les allées et essaie d’apporter un peu de réconfort aux familles qu’elle accompagne depuis plusieurs années. «Je n’ai même pas de mots pour vous décrire la difficulté dans laquelle survivent ces millions de gens. Il n’y a pas d’hôpital, pas d’école, aucune maison en dur. En fait, il n’y a aucun avenir pour toutes ces familles, pour tous ces enfants.» La jeune femme esquisse un sourire forcé, mais ses lèvres se plissent, sa colère se mêle à la douleur de l’impuissance.

Selon l’ONU, la situation en Syrie constitue «la plus grave crise humanitaire aujourd’hui dans le monde». Le nombre de personnes vivant dans la région d’Idlib, dont le régime syrien veut reprendre le contrôle, est estimé à plus de 4 millions de personnes dont un million d’enfants. La majorité de ces gens sont des déplacés, vivant dans des tentes au milieu des rochers ou abrités sous un olivier rachitique. Chaque mois, la situation humanitaire s’aggrave un peu plus, l’aide alimentaire n’est pas suffisante pour couvrir les besoins de l’ensemble des déplacés.

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Depuis juillet, la situation est encore plus alarmante après la fermeture de l’un de ces sites, celui de Bab al-Salamah, au nord de la ville d’Alep, suite aux veto russes et chinois au Conseil de sécurité des Nations unies. Aujourd’hui, les seuls camions qui peuvent encore accéder à cette enclave rebelle doivent passer par Bab al-Hawa, au nord d’Idlib. Depuis le début de l’année 2020, leur nombre a été divisé par quatre. Selon les chiffres de l’ONU, en mai dernier, 9,3 millions de personnes seraient en insécurité alimentaire en Syrie, soit quelque 56% de la population.

Gouvernement de «salut»

Pour l’instant, le cessez-le-feu signé entre les Turcs et les Russes, alliés fidèles du régime de Damas, résiste à quelques frappes et violations. Ahlam Rachid reste sur le qui-vive. «Si jamais les bombardements reprenaient, on n’aurait pas de quoi aider la population. Enclavés, les Syriens manquent de tout, les structures médicales sont trop rares et de toute façon, elles n’ont plus rien.»

Depuis trois ans, la région d’Idlib dispose d’un gouvernement dit de «salut». Officiellement, cette administration locale est séparée de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), héritier de Jabhat al Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaida. Ce groupe, qui domine la région, est inscrit sur la liste des groupes terroristes par l’ONU, une liste noire qui limite le soutien des organisations internationales à la population syrienne.

Dans son bureau, Ali Kida, le premier ministre du gouvernement local, lance un appel aux Occidentaux: «L’Union européenne doit reconnaître la réalité de la situation en Syrie. La population syrienne veut la paix, mais le régime à la tête du pays est terroriste. Nous avons besoin d’établir des relations internationales avec les autres pays afin de lutter contre lui. Nous avons besoin de tout, d’eau, d’électricité, de nourriture, d’emplois pour les Syriens qui n’ont plus rien… Pour cela, il faut que les organisations internationales se coordonnent avec notre gouvernement.»

L’ombre du covid

Comme lui, Cheikh Abd al-Rahman Atoun, le responsable du Conseil de la charia au sein de HTS, souligne la nécessité pour la population locale d'obtenir davantage de soutien. «Nous essayons actuellement de présenter notre véritable image. Le but n’est pas de faire un portrait plus sombre ou plus beau, juste de montrer la réalité. Les gens, ici, ne sont pas comme ceux de Raqqa, au temps du califat de l’EI.» Et d’ajouter: «Notre groupe n'est pas une menace pour l'Occident. La région a besoin de l’aide internationale pour se reconstruire. Nous sommes les derniers à nous battre contre le régime et ses alliés, mais nous ne parviendrons pas à l’éliminer sans aide.»

Fin août, un premier habitant d’Idlib est mort des suites du coronavirus. Actuellement, une soixantaine d’habitants seraient contaminés. Si jamais la pandémie devait se répandre dans la région, la situation pourrait très vite devenir catastrophique. Comme le souligne encore Ahlam Rachid, au milieu des tentes de déplacés: «Comment voulez-vous mettre en place un confinement? La population doit déjà tenter de survivre.»

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