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Si les insectes disparaissaient, que se passerait-il ?

Publié le 05 Sep 2019 à 00H00 Modifié le 2 mars 2021
D’après une récente étude, 40 % des espèces d’insectes sont menacées d’extinction. Parmi les ordres les plus touchés, les hyménoptères, qui comprennent les abeilles et les fourmis.
« Si les abeilles disparaissaient de la surface du globe, l'homme n'aurait plus que quatre années à vivre », aurait dit Albert Einstein. En réalité, le célèbre physicien n'a probablement jamais énoncé cette prophétie. Est-elle pour autant dénuée de fondement ? Cet article est paru pour la première fois en septembre 2019.

Que deviendrait l’humanité, et le reste de la planète, si les abeilles s’éteignaient ou, plus radical encore, si l’ensemble des insectes disparaissait ? La question ne relève malheureusement pas de la science-fiction : à cause de la disparition des espaces naturels, de l’intensification de l’agriculture, de la pollution ou encore du réchauffement climatique, ce sont, d’après une étude publiée dans Biological Conservation en février dernier, 40 % des espèces d’insectes qui sont menacées d’extinction. « Si la tendance actuelle de 1 % d’espèces perdues par anse maintient, l’extinction de la totalité des insectes sera effective dans cent ans », alerte Kris Wyckhuys, l’un des deux auteurs de cette étude. Mais imaginons que ce péril se concrétise un peu plus vite que ce que nous prédit l’entomologiste. Nous y sommes : un nouveau produit phytosanitaire surpuissant, devenu hors de contrôle, a ravagé les insectes jusqu’au dernier… Le monde se trouve privé d’un seul coup du ballet des papillons et du chant des grillons.

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Certes, à court terme, les plus insouciants se réjouissent : finis les pare-brise maculés de moucherons, les soirées d’été gâchées par les moustiques et les invasions de blattes en milieu urbain… Certains cultivateurs aussi, car dans un monde sans insecte herbivore, la productivité agricole est dopée : les ravageurs des cultures sont responsables de la perte d’un cinquième de l’ensemble des récoltes !

La santé publique, enfin, s’en trouve -provisoirement-ragaillardie : un monde sans moustiques, ce sont des populations délivrées du paludisme, qui tue à lui seul 438 000 personnes chaque année dans le monde. C’est aussi la fin de la dengue, du chikungunya, de la fièvre jaune… Soit, en tout, 725 000 vies humaines épargnées par an. Auxquelles il faut ajouter celles qu’emportaient les mouches tsé-tsé, les punaises et les puces, vecteurs elles aussi de maladies mortelles.

Néanmoins, affirme Benoît Fontaine, biologiste de la conservation au Muséum national d’histoire naturelle, « les effets positifs seraient anecdotiques face aux bouleversements que provoquerait la disparition des insectes. Ils représentent les deux tiers des espèces présentes sur la Terre, ils ont conquis la quasi-totalité des écosystèmes et ils y jouent un rôle à la fois structurant et indispensable ».

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FINI LE CACAO ET LES KIWIS

Car bientôt, le manque de pollinisation se fait ressentir chez les plantes à fleurs, qui ne peuvent plus se reproduire. « Beaucoup d’entre elles disparaîtraient et seraient remplacées par des plantes dont la pollinisation est effectuée par le vent. Dans les pelouses, par exemple, les orchidées seraient supplantées par les graminées », explique Benoît Fontaine. Certes, on pourrait penser survivre sans douleur à ce choc esthétique. Mais les plantes cultivées sont également touchées – c’est d’ailleurs le sous-entendu de la phrase attribuée à Einstein : sans abeilles, nous n’aurions plus rien à manger. En réalité, la situation n’est pas aussi catastrophique. Car 60 % de la production agricole végétale mondiale ne dépend pas des insectes pollinisateurs. La canne à sucre, le blé, le maïs ou le riz -les cultures les plus importantes en volume – n’en ont pas besoin pour se reproduire. Et la plupart des espèces constituant les 40 % restants, effectivement pollinisées par les insectes, n’en dépendent pas exclusivement. Pour preuve, cette étude publiée en 2007 par l’équipe d’Alexandra-Maria Klein, de l’université de Göttingen, en Allemagne, et Bernard Vaissière, à l’Inra d’Avignon : sur 124 cultures analysées, les insectes interviennent dans la pollinisation pour 87 d’entre elles mais sont indispensables pour seulement 13. Notre monde sans insectes, c’est donc très probablement un monde sans ces treize-là : le kiwi, le melon, la pastèque, les courges, la vanille ou encore le cacao ont disparu… Ce qui a toutefois de graves conséquences pour l’économie de certains pays. La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, tire 40 % de ses revenus d’exportation et 10 % de son PIB du cacao. Plus de 20 % de la population ivoirienne vit directement ou indirectement des revenus générés par sa culture.

Mais à l’échelle de toute la planète, l’impact est moins visible. Nous continuons à manger des pommes, des pêches, des tomates et des aubergines. « La diversité des fruits et légumes ne diminuerait que de 8 %, indique Marcelo Aizen, chercheur à l’Université nationale de Comahue, en Argentine. La plupart des cultures subsisteraient ; certaines seraient simplement moins productives. » En 2009, le chercheur a ainsi calculé que la production agricole mondiale serait réduite de 3 à 5 % en l’absence de pollinisateurs. Néanmoins, reconnaît-il, « ce calcul prend seulement en compte les cultures pour lesquelles la pollinisation joue un rôle dans la production directe des fruits et légumes que nous mangeons ; il ne prend pas en compte le rôle des pollinisateurs dans la production des semences (carottes, oignons, par exemple). Par ailleurs, l’impact serait plus grand, de l’ordre de 8 %, dans les pays envoie de développement car les cultures dépendant des pollinisateurs y occupent une surface relative plus importante ». Sans compter, ajoute-t-il, que « pour compenser cette perte de rendement, l’une des solutions serait d’augmenter les surfaces agricoles ». Ce qui n’est pas sans conséquence néfaste sur l’environnement : déforestation, perte de biodiversité, contribution au réchauffement climatique…

Avec la diminution des rendements liée à la perte des insectes pollinisateurs, le prix des fruits et légumes augmente. Les consommateurs n’en mangent donc plus suffisamment, et leur santé s’en ressent. Et pas qu’un peu !

L’équipe de Samuel Myers, de l’université Harvard, aux États-Unis, a publié en 2015 une étude montrant que l’absence totale de pollinisateurs causerait une augmentation des maladies cardiovasculaires, des cancers, du diabète ainsi que des carences en vitamine A et en folates, avec à la clé le décès chaque année de 1,42 million de personnes dans le monde.

Mais la vraie crise alimentaire est ailleurs… Elle concerne évidemment les espèces animales qui se nourrissent directement d’insectes. « Dans tous les pays d’Europe, on observe d’ores et déjà un déclin des populations d’oiseaux : -30 % en vingt-cinq ans en France, -60 % en cinquante ans en Angleterre. Quand on a cherché à en comprendre les causes, on s’est rendu compte que cela s’expliquait au moins en partie par une diminution de l’abondance des insectes. Les oiseaux se nourrissent d’insectes et quand il yen a moins, il y a moins d’oiseaux », explique Vincent Bretagnolle, directeur de recherche au CNRS. Et s’il fallait une preuve de la relation directe de cause à effet, prenons l’étude réalisée en Camargue et publiée en 2010 par l’équipe de Brigitte Poulin, chef du département Écosystèmes de l’institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes La Tour du Valat.

« Nous avons constaté que dans les zones qui avaient été démoustiquées, avec pourtant un insecticide parmi les moins nocifs et les plussélectifs, les hirondelles perdaient 1 poussin sur 3 », indique la chercheuse. Moins de moustiques, c’est moins d’hirondelles. Mais aussi moins d’araignées, de chauves-souris, de grenouilles, de lézards, de poissons, etc.

En l’absence d’insectes, c’est tout un réseau trophique qui est bouleversé. En Europe comme ailleurs !

UNE TERRE COUVERTE D’EXCRÉMENTS

Dans une étude publiée l’année dernière et réalisée à Porto Rico, dans une forêt pourtant épargnée par l’agriculture et les pesticides en tout genre, Bradford Lister (Institut polytechnique Rensselaer, États-Unis) et Andrés García (université de Mexico) ont ainsi constaté que l’important déclin des insectes qu’ils ont observé entre 1976 et 2012 (et qu’ils attribuent à une augmentation de 2° Cd e la température moyenne) s’accompagnait d’une diminution, probablement liée à la première, des populations d’oiseaux, de grenouilles et de lézards.

Dernière conséquence effrayante : l’absence d’insectes recouvrirait la Terre… d’excréments ! On l’oublie souvent, mais c’est un de leurs rôles essentiels sur la planète : ils participent à la dégradation de la matière organique. En Australie, les insectes coprophages locaux, spécialisés dans le recyclage des déjections des marsupiaux, ne se sont jamais intéressés aux bouses des milliers de bovins et d’ovins importés par les Européens lors de la colonisation. « Dans les années 1970, 30 millions de têtes de bétail produisaient 33 millions de tonnes de bouses chaque année et celles-ci, sans l’action des bousiers, pouvaient rester dans les pâturages jusqu’à sept ans !

Résultat, l’Australie avait perdu 10 % de la surface de ses pâturages, soit 1 million d’hectares. C’est l’équivalent de l’Ile-de-France recouvert de bouses séchées », raconte Jean-Pierre Lumaret, professeur émérite à l’université Montpellier-III. Sans compter, ajoute-t-il, qu’ « en l’absence de bousiers, les éléments nutritifs contenus dans les déjections animales ne sont pas recyclés ». Résultat, la terre perd en fertilité. Et pour couronner le tout, les parasites, tels que les vers nématodes, prolifèrent et attaquent le bétail ! Le problème était même si grave que les Australiens ont importé, entre 1968 et 1982, des milliers de bousiers en provenance d’Afrique du Sud et d’Europe.

« L’expérience a été concluante dans les régions tropicales, un peu moins dans les régions au climat tempéré, c’est pourquoi nous l’avons renouvelée avec d’autres espèces de bousiers.

Les premiers lâchers de cette deuxième phase ont eu lieu en 2016- 2017 et un troisième programme est en cours », détaille Jean-Pierre Lumaret, qui a participé à cette importation. En Australie, on sait déjà ce qu’est un monde sans insectes coprophages et on atout fait pour y remédier.

Alors un monde sans insectes…

Un article issu du n°288 Hors-série de Science & Vie
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