Réforme des retraites : pourquoi les danseurs de l'Opéra de Paris partent à la retraite à 42 ans

L'Opéra de Paris n'est pas concerné par le projet de réforme des retraites en cours. Les danseurs, qui ont une très courte carrière, bénéficient d'une pension dès 42 ans.

En 2019, les danseurs de l'Opéra de Paris avaient entamé une grève historique pour défendre leur régime spécial.
En 2019, les danseurs de l’Opéra de Paris avaient entamé une grève historique pour défendre leur régime spécial. (©PHOTOIllustration / PQR/LE PARISIEN/MAXPPP)
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C’est l’un des derniers régimes spéciaux qui survit dans le projet de réforme des retraites. À l’Opéra de Paris, le personnel salarié bénéficie d’un âge de départ avantageux, et en particulier les 154 danseurs de la compagnie. Du fait de leur courte carrière, ils bénéficient dès 42 ans d’une pension de retraite.

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« Le rayonnement de l’Opéra de Paris »

Cette avantageuse particularité de l’institution créée sous Louis XIV remonte à 1713, avec la création d’un premier système de pension de retraite. En 2019, le projet de réforme des retraites prévoyait sa suppression. Une grande partie du personnel de l’Opéra s’était alors mobilisée pour le sauver lors d’une grève historique.   

« Ce régime spécial fait le rayonnement de l’Opéra de Paris, qui est une maison d’excellence, l’une des meilleures compagnies au monde. Il permet de pérenniser un savoir-faire français », souligne Matthieu Botto, danseur depuis 16 ans dans la compagnie qu’il a intégrée à l’âge de 19 ans, et délégué syndical CGT.  

Une carrière éclair

Rien n’est classique dans la vie d’un danseur classique. À commencer par ses premiers pas. Une majorité de la compagnie de l’Opéra de Paris est passée par la très sélective École de danse, qui forme dès huit ans les futures recrues.

Un début de professionnalisation très précoce pour une carrière éclair qui ne dure pas plus de 25 ans. « De notre plus jeune âge jusqu’à la fin de notre carrière sur scène, on voue notre existence à la danse. Notre seul bagage, c’est celui de danseur », explique Matthieu Botto.

« Un danseur sans blessures, ça n’existe pas »

Ce métier, vécu avec passion, suppose un certain nombre de sacrifices. « La danse classique n’est pas quelque chose de naturel pour le corps. Les torsions qu’on lui impose l’abîment. On est bien suivis médicalement, mais un danseur sans blessure, ça n’existe pas », atteste Matthieu Botto.

Psychologiquement, les danseurs sont soumis à de fortes pressions : « On nous demande de maintenir une forme d’excellence en étant capable de passer d’une œuvre classique à une autre contemporaine, ce qui est très violent pour le corps… On est formés pour ça, mais ça tire quand même sur les articulations », détaille-t-il.

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"On est formaté depuis tout petit à donner le meilleur de nous-mêmes, un peu comme à l'armée, mais de manière artistique."

Matthieu BottoDanseur à l'Opéra de Paris

Un emploi du temps fourni

Matthieu Botto est coryphée. Ce grade correspond aux artistes évoluant au sein du corps de ballet de l’Opéra, une compagnie très hiérarchisée. La seule évolution possible pour accéder à des rôles de soliste est de passer au grade supérieur par le biais d’un concours annuel, souvent mal vécu par les danseurs.

« Les gens s’imaginent que quand on est à l’Opéra, on est tous des étoiles. Mais pas du tout. Danser dans le corps de ballet est quelque chose de très usant. On est tous les jours en répètes, jusqu’à 19 heures, avec parfois un spectacle en plus, jusqu’à six jours sur sept. On passe d’un ballet à l’autre sans transition. »

La vie après l’Opéra

À 35 ans, Matthieu prendra sa retraite de l’Opéra dans sept ans. Avec derrière, une deuxième carrière à laquelle il n’a pas trop le temps de penser. « De manière générale, les danseurs voient leur après-Opéra à la dernière minute », décrit-il. 

« Notre amplitude horaire, c’est du 10 heures – minuit, et on a en général notre planning le vendredi pour le lundi. Dans ces conditions, c’est difficile de dégager suffisamment de temps et d’énergie pour se former », souffle-t-il.

Si l’Opéra propose une année pour passer une formation en vue d’une reconversion, les danseurs ne s’en préoccupent généralement qu’au dernier moment. « Les deux dernières années, on commence à y réfléchir. Souvent, les danseurs restent dans le milieu de la danse. »

Une pension pour rebondir

L’assurance de toucher une pension de retraite après une carrière à l’Opéra permet d’envisager plus sereinement une deuxième partie de vie professionnelle, défend Mathieu Botto. « Ce n’est pas une somme folle. Ça ne nous permet pas de vivre, mais de rebondir », explique-t-il, tout en précisant, qu’à 42 ans, certains danseurs n’ont pas le Bac.

"Même en ayant eu un an de formation, sur le marché de l'emploi, le CV d'un danseur de 42 ans ne va pas forcément faire le poids face à celui d'un jeune de 18 ans."

Matthieu BottoDanseur à l'Opéra de Paris

Le montant de cette pension reste obscur et évolue beaucoup d’un danseur à l’autre. Contactée sur ce sujet, la caisse de retraite des personnels de l’Opéra de Paris nous a répondu : « Selon qu’on distingue les carrières complètes ou courtes (pour des raisons de durée de contrat ou pour raison d’inaptitude) de droit propre ou de réversion, les moyennes obtenues divergent et surtout s’appuient sur des nombres non significatifs statistiquement. » Les danseurs eux-mêmes ne savent pas clairement combien ils toucheront à leur retraite. 

Un régime remis en question

Ce privilège parisien fait cependant grincer des dents d’autres danseurs en région, qui ne bénéficient pas des mêmes avantages. S’il refuse tout nivellement vers le bas, Matthieu Botto regrette cette inégalité.

« Les danseurs vont participer au rayonnement d’une ville ou d’une collectivité, comme à Bordeaux, Toulouse, Nancy… Pour beaucoup, c’est compliqué, il y a de nombreux intermittents du spectacle qui sont jetés à la retraite sans suivi. On ne leur permet pas d’avoir une sécurité de l’emploi. »

Dans un pays au pouvoir très centralisé, l’Opéra de Paris bénéficie de subventions de la part du ministère de la Culture. Dans les autres compagnies de danse françaises, elles viennent des collectivités.  

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