Il y a plus de vingt mille ans et moins de trente mille, une partie de la falaise dans laquelle s’ouvrait la caverne de Pont d’Arc s’est effondrée. Le sentier qui monte sous les chênes contourne d’énormes blocs tombés lors de ces éboulements. L’entrée de la grotte a alors été fermée aux bêtes et aux hommes. Aujourd’hui, il faut passer par la cavité où des spéléologues, en 1994, ont découvert un « trou souffleur », indice d’une cavité cachée. S’ouvrant un passage dans la pierraille, ils se sont glissés à l’intérieur.
Depuis, une porte, genre porte de coffre de banque, est encastrée dans la paroi. Quand on parvient devant elle, on en est au deuxième stade de l’initiation, le premier étant l’ascension depuis la vallée de l’Ardèche. « Initiation » peut paraître une amplification épique stéréotypée. Mais le lieu impose la gravité. Les préhistoriennes et préhistoriens qui y travaillent chaque année remontent sans beaucoup parler. Les seuls mots sont techniques : « harnais », « mousqueton », « casque », « batterie »… Passé la porte de fer, on pénètre dans la cavité. Elle se prolonge par un long boyau où il faut se tenir à plat ventre ou sur le dos, selon la préférence de chacun ; puis par un puits à descendre encordé. En bas, la caverne.
Les premières sensations sont sonores, les filets d’eau qui glissent le long des concrétions et s’égouttent pour en former de nouvelles. Comme il a beaucoup plu cet hiver, la grotte est, ce jour de mars, en pleine production de stalactites, stalagmites et draperies. La lumière des frontales suscite des éclats de neige et de glace, et fait briller les rides de l’eau dans les bassins. Ces splendeurs font oublier un moment que ce qui fait descendre dans ces profondeurs, ce sont les œuvres des humains qui venaient ici à l’époque nommée « aurignacien », entre 43 000 et 35 000 avant notre ère.
Ce ne sont pas leurs traces que l’on rencontre d’abord, mais celles de la faune : un crâne de bouquetin, reconnaissable à ses deux cornes, que la calcite, en le recouvrant, a changé en sculpture ; des fragments de crânes d’ours et de nombreux débris osseux de ces mammifères. Ils étaient les principaux habitants de la caverne, les plus réguliers sans doute. Ils ont creusé des bauges dans le sol, griffé le calcaire et l’argile et, parfois endommagé les dessins – dont beaucoup les représentent.
Une suite de prodiges
Le premier surgit. Un ours de profil, les pattes avant raides, la gueule légèrement penchée vers la terre. Il est dessiné en ocre rouge, et des points de pigment marquent son museau et son encolure. Un deuxième animal est devant lui, plus petit, tacheté, avec une longue queue : une panthère. L’identification est immédiate, en raison de la justesse des lignes et des proportions. L’ours semble avancer, et cette sensation de mouvement est favorisée par la courbe de la paroi. Le ou les auteurs de ce dessin – femmes ou hommes, on n’en sait rien – a ou ont perçu combien cette surface convexe était favorable à ce qu’il s’agissait de figurer, le face-à-face de l’ours et de la panthère.
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