FINANCELe « Quoi qu’il en coûte » a-t-il été une bonne stratégie ?

Cour des comptes : Près de deux ans après sa mise en place, le « Quoi qu’il en coûte » a-t-il été une bonne stratégie ?

FINANCELe rapport annuel de la Cour des comptes se montre très flatteur sur la politique économique du « Quoi qu’il en coûte » en France
Le Quoi qu'il en coûte français reçoit moult éloges. Tous sont-ils mérités ?
Le Quoi qu'il en coûte français reçoit moult éloges. Tous sont-ils mérités ? - Michel Euler / POOL / AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • En évoquant le « Quoi qu’il en coûte » dans son rapport annuel, la Cour des comptes salue « les résultats obtenus » et « une stratégie validée ».
  • Un ton élogieux qui renforce encore la crédibilité d’une mesure peu contestée depuis sa mise en place en mars 2020.
  • Un tel emballement est-il mérité ?

Rarement la Cour des comptes aura été aussi dithyrambique à propos des dépenses publiques. Dans son rapport annuel, publié ce mercredi, l’institution est revenue sur la politique du « Quoi qu’il en coûte », alors que l’année 2021 fut marquée par des dépenses de crise plus fortes qu’en 2020. En septembre 2021, le ministre des Comptes publics estimait que la crise avait coûté entre 170 et 200 milliards d'euros à l'Etat. Malgré ces chiffres fous, « cette stratégie a été validée tant sur son principe, par les organisations internationales, que dans les faits, par les résultats obtenus en termes d’activité constatée fin 2021, qui seraient encore en amélioration par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale pour 2022 », note le rapport.

Avec un taux de cĥômage qui a retrouvé son niveau d’avant crise sanitaire au dernier trimestre et un taux de croissance historique de 7 % en 2021, « la réussite au niveau macro du "Quoi qu’il en coûte" est incontestable », confirme Anne-Laure Delatte, économiste au CNRS et spécialiste de questions financières et européennes. Des résultats d’autant plus forts qu’ils interviennent même pas deux ans après le début de la crise. « Lors du précédent grand choc économique, la crise des subprimes en 2008-2009, la France avait mis six ou sept ans à revenir à son niveau d’avant crise. Là, seulement quelques mois », s’enthousiasme également Jacques Le Cacheux, professeur d’économie à l’Université de Pau et spécialiste des finances.

Une réussite imitée et partagée

Le « Quoi qu’il en coûte » français n’est d’ailleurs pas sans rappeler le « Whatever it takes », (Tout ce qu’il faudra) prononcé par le président de la Banque centrale européenne Mario Draghi en pleine crise économique en 2012. Une déclaration qui avait permis de limiter la casse – les spéculations sur la Zone euro s’étant arrêtés suite à ces mots –, mais survenu avec quelques années de retard.

Cette erreur ne fut pas répétée en 2020, Emmanuel Macron allongeant la planche à billets dès mars et le premier confinement. Preuve de l’efficacité d’une telle mesure, elle fut adoptée simultanément dans de nombreux autres pays. « Toutes les nations riches qui pouvaient se permettre une telle mesure l’ont mise en place », résume Anne-Laure Delatte. L’intensité du "Quoi qu’il en coûte" à travers les nations n’aurait dépendu que « de l’état de leurs finances publiques », rapporte l’économiste : « Les Etats-Unis ou l’Allemagne, par exemple, ont eu une utilisation massive du "Quoi qu’il en coûte", bien plus que l’Italie ou l’Espagne, aux budgets serrés. La France s’est, elle, montrée particulièrement généreuse sur le cĥômage partiel. »

Une évidence plus qu’un succès ?

Tout dépend ensuite si on regarde le verre à moitié plein ou à moitié vide. Le « Quoi qu’il en coûte » peut-être vu selon comme la solution miracle, ou la banale évidence. Jacques Le Cacheux : « C’était une politique de bon sens, tout simplement. D’ailleurs, la mesure n’a pas rencontré de forte opposition. A chaque fois qu’il y a une crise – une pandémie, une guerre, catastrophe naturelle, l’Etat est là pour jouer ce rôle d’amortisseur et d’assureur. »

D’autant plus dans ce cas précis : « Ce sont les Etats qui ont décidé de fermer les économies, notamment avec les confinements. C’est normal qu’ils en compensent les conséquences », appuie le professeur.

Des critiques et des nuances

Même pour la dette parfois redoutée comme bombe à retardement de la mesure, le spécialiste des finances se veut rassurant : « Cela fait beaucoup à payer, mais on parle d’une somme étalée sur plusieurs décennies. C’était la bonne décision, et la seule viable. La France s’est souvent endettée après une catastrophe et cela a toujours été un choix pertinent. » Si la dette est suffisamment étalée dans le temps, comme cela semble être l'option privilégiée, les payeurs – à savoir les jeunes, voires les nouvelles générations – ne devraient pas trop en subir l'impact financier. Pour le professeur, il est clair qu’il vaut mieux cette solution qu’avoir fait subir à l’économie française le choc direct du coronavirus, « dans un tel cas, le pays se serait remis bien plus difficilement ».

De quoi faire définitivement l’unanimité ? « S’il est incontestable qu’il fallait sortir l’argent, on peut s’interroger sur la manière dont celui-ci a été distribué », nuance fortement Anne-Laure Delatte. Si au niveau macroéconomie, « tout va bien » admet l’experte, le succès est moins glorieux en disséquant un peu les choses : « La précarité a augmenté, les métiers de seconde ligne n'ont pas été revalorisés. En donnant à tout le monde sans contrepartie, les inégalités se sont creusées », développe l’économiste. Elle conclut : « Le "Quoi qu’il en coûte" aura très bien protégé le marché, un peu moins les individus ».

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