G.I.V.E. Ecologie Positive

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G É N É R O S I T É • I N N O V A T I O N • V A L E U R • É M O T I O N

ÉCOLOGIE POSITIVE G.I.V.E.

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AMPLIFIEZ L’ÉCLAT DE VOTRE JEUNESSE

ABEILLE ROYALE LA RÉPARATION NÉE DE LA SCIENCE ET DE L’ABEILLE

HUILE & SÉRUM

LA PEAU EST PLUS LISSE

97%2

LA PEAU EST PLUS LUMINEUSE

87%2

LA PEAU EST PLUS LIFTÉE

85%2

DÈS 7 JOURS, INFUSÉE DU POUVOIR RÉPARATEUR DES MIELS ET DE LA GELÉE ROYALE GUERLAIN, LA PEAU PARAÎT PLUS JEUNE.3 ÉTAPE 1: HUILE-EN-EAU JEUNESSE. Sa formule révolutionnaire repulpe instantanément la peau en son cœur. Elle est parfaitement préparée à recevoir le sérum dont la diffusion et l’efficacité sont amplifiées. ÉTAPE 2 : SÉRUM DOUBLE R RENEW & REPAIR. Sa double technologie exclusive à effet peeling et lifting affine, raffermit et illumine votre peau.

#GUERLAINFORBEES4 1

10 ans d’innovation beauté grâce aux abeilles 2 Huile-en-Eau Jeunesse et Sérum 2 Double R Renew & Repair utilisés ensemble, test d’auto-scorage, 60 femmes, 2 applications/jour pendant 1 mois au Japon 3 Tests in vitro sur ingrédients 4 #Guerlainpourlesabeilles

G.I.V.E.


o u r s

L E M A G A Z I N E G . I .V. E . G É N É R O S I T É . I N N O VAT I O N . VA L E U R . É M O T I O N . U N E C R É AT I O N O R I G I N A L E D E C O N D É N A S T C N X F R A N C E É D I T É E PA R L E S P U B L I C AT I O N S C O N D É N A S T S A 3 , AV E N U E H O C H E , 7 5 0 0 8 PA R I S Couverture de Florent Groc

Président et Directeur de la publication

G . I .V. E . :

Javier Pascual del Olmo

Direction éditoriale

Chief business officer

Sarah Herz

Delphine Royant

Bérénice de Brondeau

Directrice financière

Thomas Erber

Isabelle Léger Directrice juridique, directrice des ressources humaines

Direction artistique

Joëlle Cuvyer

Géraud Feybesse

Directrice CNX France

Maëlle Mukunthan

Sarah Herz

et CNX France

Directrice de la communication Curation

Bernie Torres Directrice de l’innovation et du développement stratégique

Thanks for Nothing & Artagon

Violaine Degas

et JPPM

Directrice de la stratégie média digitale Direction de projet

Victoria Bravo Directrice marketing

Adélia Alati

Dominique Dirand Directeur de la production et de la distribution

Secrétariat de rédaction

Francis Dufour

Sophie Hazard

ONT COLL ABORÉ À CE NUMÉRO :

REMERCIEMENTS :

Journalistes :

Véronique Andrieux, Cyril Aouizerate, Yann Arthus-Bertrand, Cristina Barreau,

Jean-Michel de Alberti, Victoire Aubertin, Bénédicte Burguet,

Lucie Basch, Bagoré Bathily, Olivier Ben Soussan, Tom Booth, Romain Brunet,

Pierre Groppo, Caroline Hamelle, Samuel Poncet, Julie Quelvennec

Hélène Binet, Valérie Chansigaud, Antidia Citores, Julien Cohen,

Photographes :

Marie-Hélène Contal, Éric De Kermel, Anaïs de Senneville, Roxane Dumonteil,

Anouck Berger, Samuel Kirszenbaum,

Stéphane Durand, Dani Garbarz, Sarah Hatimi, Jean Imbert, Cédric Javanaud,

Benjamin Loyseau, Éric Pillot, Valérie Sadoun

Sébastien Kopp, Santiago Lefebvre, Tatiana et Katia Levha, Philippe Madec,

Illustrateurs :

Patrizia Maiorca, Guillaume Martin, Baptiste Morizot, Victor Noël, Damien Pellé,

Martin Belou, Jeanne Briand, Marion Charlet, Idir Davaine, Hoël Duret,

Corine Pelluchon, Amélie Pichard, Éric Pillot, Adrien Prenveille,

Bérénice Golmann, Chourouk Hriech, Charles Le Hyaric, Inès Longevial,

Marie-Laure Salles-Djélic, Simone Tondo, Antoine Vaccaro,

Estrid Lutz, Inoë Morvan, Josèfa Ntjam, Edgar Sarim, Christian Roux, Sara Sadik

Marine Van Schoonbeek, Arnaud Zegierman, et tous nos annonceurs.

W W W .V A N I T Y F A I R . F R / G I V E C O N TA C T E D I T O R I A L sherz@condenast.fr - bdebrondeau@condenast.fr C O N TA C T C O M M E R C I A L give@condenast.fr

G.I.V.E.

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m a n i f e s t e

L’ÉCOLOGIE

POSITIVE C’EST REPLACER L’HOMME

AU CŒUR DU VIVANT À LA NATURE

SA VALEUR

ESSENTIELLE

DANS LE VIVANT

C’EST REDONNER

C’EST VOIR

DONT IL FAIT PARTIE

UNE SOURCE

INÉPUISABLE

D’INSPIRATION

C’EST TRANSFORMER

C’EST OUVRIR

EN RICHESSE CRÉATIVE

ET AGIR

NOTRE VULNÉRABILITÉ

LES YEUX

ICI ET MAINTENANT

POUR AUJOURD’HUI

ET DEMAIN 4

G.I.V.E.


JOAILLIER

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PLACE

ÉCOLOGIQUE

VENDÔME

COURBET.COM

PARIS


ÉCOLOGISMES

s o m m a i r e

10

EXPOSITION NOMADE

108

Nature Works 16

La Louve

Un supermarché coopératif

STUDIUM

L’abécédaire de l’écologie positive

113

129

Hélène Binet

Bruno David

134

AGORA

Le monde d’après existe déjà

CONVERSATION

Santiagio Lefebvre

Le bel entretien Baptiste Morizot

41

QUÊTE DE SENS

L’entreprise peut-elle être écolo ?

AGORA

L’écologie comme réenchantement du monde 22

PARTI PRIS

Pour une éducation naturelle

Éric de Kermel 18

COULISSES

134

QUÊTE DE SENS

Réconcilier la culture du vivant et la culture d’entreprise

HÉDONISME

Gastro-écologie

Sabine Pinatton 56

AGORA

Une vision poétique du combat écologique

139

La fondation Good Planet

Cyril Aouizerate

148 62

FONDATIONS

La fondation Surf Rider Europe

RENCONTRE

Amélie Pichard

L’électron libre de la mode 69

FONDATIONS

156

FONDATIONS

La fondation WWF

IN SITU

Zone sensible

Une ferme urbaine et culturelle à Saint-Denis 88

ICI ET AILLEURS

La laiterie du Berger Bagoré Bathily 100

RENCONTRE

Too Good to Go

La révolution waste warrior

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GIFTING IS CARING

La nature est au cœur de l’identité et de la philosophie de la Maison Perrier-Jouët depuis sa fondation en 1811. Sublimer la nature et la préserver, associer la durabilité et la beauté : voilà le défi de cette collection de coffrets cadeaux entièrement recyclables et fabriqués en France à partir de fibres 100% naturelles.

“Célébrer des moments de vie, mais en le faisant dans le respect de la nature” RENCONTRE AVEC SÉVERINE FRERSON, CHEF DE CAVES DE LA MAISON PERRIER-JOUËT

Dans quelle démarche s’inscrit ce nouveau coffret éco-conçu pour la Maison Perrier-Jouët ? Ce nouveau coffret cadeau éco-conçu s’intègre dans une démarche plus globale d’engagement envers la nature de la Maison Perrier-Jouët. Nous metttons en œuvre un programme ambitieux afin de promouvoir la viticulture durable et de réduire notre propre impact sur l’environnement, en intervenant à chaque étape de l’élaboration de nos champagnes, depuis le vignoble jusqu’au produit fini. Ce coffret éco-conçu en est une magnifique illustration. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de l’engagement de Perrier-Jouët envers la nature ? 100% du vignoble de Perrier-Jouët est certifié Viticulture Durable en Champagne, et nous sommes au zéro herbicides dans notre vignoble. Nous récupérons 100% des sous-produits issus du processus de vinification (comme les lies, les bourbes ou le marc de dégorgement) sont réutilisés et transformés (en nutriments ou compost par exemple). Nous avons imaginé un nouveau carton de transport éco-conçu de nos vins qui est fabriqué à partir d’un papier d’herbe recyclé et recyclable. Les actions de préservation de la biodiversité sont au cœur de notre attention : plantation d’arbres, installation de ruches, création de murs en pierres.


ÉLÉVATION

s o m m a i r e

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HORIZONS

235

À chaque génération son engagement

Âme marine Patrizia Maiorca 178

Arnaud Zegierman

STUDIUM

L’économie et l’écologie sont-elles réconciliables ? 185

239

RENCONTRE

Antoine Vaccaro 240

RENCONTRE

243

Existe-t-il une mode responsable ?

L’appel de la nature 252

STUDIUM

La bibliothèque subjective

DEMAIN

Architecture et urbanisme, sources d’écologie positive

264

SMART UP

267

STUDIUM

Les Mooc & podcasts

Marie-Hélène Contal et Philippe Madec

LA BEAUTÉ DU GESTE

Réparer le monde ?

Rebo

Corine Pelluchon et Valérie Chansigaud

La gourde intelligente qui protège la planète 216

ÉVASION

Éco-lodges

Damien Pellé

214

HORIZONS

Ce que la forêt dit de nous

Sébastien Kopp, cofondateur de Veja

196

PHILANTHROPEDIA

La philanthropie au secours du climat

Écologie, baskets et néocapitalisme

192

DEMAIN

ICI ET AILLEURS

Mont Blanc, si loin, si proche Thomas Erber 227

IMPACT

La philo à vélo Guillaume Martin 230

DEMAIN

Avenir jeune Victor Noël

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G.I.V.E.


e x p o s i t i o n

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IDIR DAVAINE © ID IR DAVA INE

Sans titre - Tapis de velours, cotillons, 2020 Acrylique sur papier «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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JOSÈFA NTJAM © J OSÈ FA NTJA M

Changer les étoiles en boules à facettes, 2019 Photomontage, techniques mixtes «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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.I.V.E & Thanks for Nothing s’engagent ensemble pour la création et pour soutenir les artistes, plus que jamais fragilisés par la situation actuelle. Au fil des pages de ce numéro de G.I.V.E, nous vous invitons à déambuler dans une exposition nomade dont la curation a été co-réalisée avec l’association Thanks for Nothing qui mobilise le monde de la culture autour de projets artistiques solidaires et Artagon qui soutient les jeunes artistes. Les 11 œuvres présentées ont pour thème la nature dans toutes ses expressions. Le thème est large, ouvert, inspirant pour

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des artistes qui ont eu de moins en moins l’occasion de pouvoir exposer leurs œuvres. Nous leur ouvrons donc nos pages. Pour méditer, se questionner, admirer, se laisser emporter… Mais aussi car nous pensons que l’art a un rôle à jouer dans la prise de conscience collective qui devrait nous réunir autour de la protection de notre environnement. Les affiches des œuvres exposées dans ces pages sont produites par G.I.V.E en soutien aux artistes. Elles sont éditées à 100 exemplaires et peuvent être achetées 50 € chacune. Les bénéfices leur seront directement reversés.

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PROPOS RECUEILLIS PAR

BÉ R É NI CE DE B RO NDE AU

Au fil des pages de ce numéro de G.I.V.E, vous allez découvrir une exposition nomade : Nature Works. Quels liens entretient la création contemporaine avec la nature ? Quel regard portent les jeunes artistes sur l’écologie ? Anaïs de Senneville, directrice du développement de Thanks for Nothing et Keimis Henni, fondateur d’Artagon avec Anna Labouze, à l’origine de la curation de cette exposition, nous donnent leur éclairage.

Q

duction (p. 170). En effet, les méduses peuvent soit se reproduire par contact, soit en libérant des semences à proximité, soit même en relâchant des semences qui vont être portées par les courants. Parfois, des bébés méduses, des larves pour être exact, peuvent naître à des milliers de kilomètres de leurs parents. Cela l’a donc fait réfléchir à la question de la reproduction. A.S. : Ce qui est intéressant c’est de voir comment un certain nombre d’artistes se retrouvent autour de mêmes thématiques de création liées à la nature. La nature en tant que forme visuelle, mentale, qui s’apparente aussi à de la matière. La nature pour décrire un point de vue politique, une prise de position. Et enfin une nature plus fictionnelle et digitale notamment chez les plus jeunes artistes. La jeune génération qui est mise en avant dans cette sélection vit aujourd’hui dans un monde globalisé qui va très vite mais également dans une grande solitude. Les jeunes artistes aujourd’hui s’emparent de la nature en lui conférant un caractère sacré. Ils transforment la nature, la manipulent. Il y a beaucoup d’artistes qui sont très attachés à la nature dans leurs démarches, comme si elle leur échappait, et qu’ils avaient besoin de s’en souvenir en permanence.

uel est le rôle de la nature dans l’art contemporain ?

K.H. : Le thème de la nature et de l’écologie positive nous paraissait particulièrement important car l’art est un autre regard sur le monde, une vision poétique dont on a plus que jamais besoin aujourd’hui. Nous sommes en train de vivre une crise écologique sans précédent, ponctuée de discours alarmistes. Les artistes ont souvent un temps d’avance sur la société, ils se sont saisis de cet enjeu depuis très longtemps déjà. La nature a toujours été présente dans l’art, depuis l’Antiquité mais là, elle revient avec quelque chose de plus politique, de plus fantasmé, de plus mélancolique. Il y a vraiment une appropriation contemporaine de la nature, en phase avec l’évolution de l’époque et ses enjeux. Encore plus depuis le confinement, le lien à la Terre est d’une importance primordiale. La nature est aussi pour les artistes un moyen de réfléchir à différents sujets. Par exemple, le travail de Jeanne Briand qui est inspiré par les méduses, raconte beaucoup de choses sur l’amour et la repro-

Pensez-vous que ces jeunes artistes ont une vision plus positive de la nature que les générations précédentes ?

K.H. : De nombreux artistes comme Charles Le Hyaric notamment, travaillent sur des des notions de cosmos, d’astrophysique, d’Anthropocène (p. 68). Il y a une recherche de sens qui est forte chez les jeunes ; ils vont par la suite la traduire sous des formes très contemporaines. Je pense qu’il y a une certaine forme de nostalgie mais aussi beaucoup de choses positives. Lorsque l’on voit une image qui représente la nature, on ne peut pas faire plus universel. J’aime l’idée de l’artiste qui incite à la promenade. Comme avec l’impressionnisme et la peinture en plein air. C’est le cas d’Estrid Lutz qui a proposé un paysage digital marin composé d’oursins (p. 128). Elle est partie vivre au Mexique, à Puerto Escondido, pour surfer et vivre en harmonie avec l’océan. Elle explique toujours que la plage est son atelier puisqu’elle réalise toutes ses œuvres à partir d’éléments marins. Aujourd’hui, il y a la volonté de sortir de l’atelier, ce qui est important, surtout dans un moment où l’on nous dit de rester chez nous.

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e x p o s i t i o n

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A.S. : Je pense que la nature en elle-même est positive. Les artistes aiment s’y rendre, s’y perdre comme Martin Belou qui fait figure d’aventurier (p. 266). La nature est nécessaire à l’équilibre de ces artistes et est une source d’inspiration inépuisable pour eux. En ­revanche, ils ont un regard plus négatif sur la relation entre l’homme et la nature. La mélancolie vient du sentiment d’une nature qui nous échappe et disparaît. C’est aussi pour moi, le sens de notre époque, les artistes doivent mettre en garde. Les jeunes artistes font confiance au spectateur pour interpréter leurs œuvres. Edgar Sarin, qui a été ingénieur en énergies renouvelables, travaille toujours autour de la notion de mystère, sur l’idée que l’œuvre n’en devienne une qu’à partir du moment où le spectateur devient acteur (p. 40). Il a, par exemple, un projet conçu autour de l’achat à l’aveugle. Les acquéreurs d’une œuvre se voient remettre des indices, dont le nom d’un lieu où ils devront aller déterrer une œuvre dans une forêt cinquante ans plus tard… C’est aussi une notion très philosophique sur la nature comme nourriture de la pensée.

Comment les artistes utilisent-ils les nouvelles technologies pour sublimer la nature ?

K.H. : C’est intéressant de voir comment les jeunes artistes confrontent la technologie à la nature. C’est un rapport très contemporain. On parle d’usages qui ont 20 ans et sont donc extrêmement récents par rapport à l’histoire de l’art. L’image proposée par Hoël Duret est une photo de détails de la nature qu’il projette sur des téléviseurs cathodiques, qu’on utilisait avant l’arrivée des plasmas (p. 112). Il reprend en photo l’écran avec un appareil actuel, à la pointe de la technologie pour faire entrer l’image dans l’ère numérique. La nature traverse les âges technologiques. Cela ajoute une dimension où elle se perd et réexiste par l’intermédiaire de ces allers-retours. La nature entre dans un monde ultra-artificiel à travers les nouvelles technologies. C’est le cas du paysage désertique de Sara Sadik (p.184). A.S. : Je pense aussi à Chourouk Hriech, qui peint à la main en s’inspirant de la nouvelle esthétique digitale (p. 178). Elle fait référence à une architecture déshumanisée en utilisant une l’impression numérique. Sur la toile, elle mélange impression numérique et dessin à la main et nous taquine en les inversant. L’architecture qu’on imagine imprimée est peinte à la main, avec un pinceau extrêmement fin tandis que les oiseaux et les fleurs sont eux imprimés numériquement. Issus des carnets du grand naturaliste James Audibond, ils sont posés au premier plan sur notre architecture contemporaine comme une nature rêvée et magnifiée; en réalité la moitié d’entre eux a déjà disparu aujourd’hui. La nature est un terrain de jeu fantastique pour un artiste parce qu’elle lui offre de multiples portes d’entrée et de sortie pour pouvoir s’exprimer de manière poétique, abstraite et universelle. On retrouve cette recherche du beau chez Idir Davaine (p. 9). Dans cette exposition nomade, il y a une recherche du beau. ❚

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Thanks for Nothing est une plateforme philanthropique créée en 2017 comme une réponse artistique et solidaire à la crise sociétale. Elle conçoit des formats innovants d’événements culturels et solidaires autour de grandes causes comme l’éducation, les droits de l’homme et environnement. thanksfornothing.fr Artagon est une association d’intérêt général créée par Anna Labouze et Keimis Henni en 2014 qui a pour ambition de soutenir et promouvoir les jeunes artistes et les étudiants en écoles d’art à travers une exposition annuelle, des conférences et des cycles de formation. artagon.org

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É C O L O G I S M E S

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É C O L O G I S M E S

ISMES Reportages et entretiens avec ces amoureux de la planète qui rendent l’écologie positive et agissent pour un monde plus green.

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DE L’ÉCOLOGIE POSITIVE

s t u d i u m

Tour d’horizon de l’écologie positive en dix mots décryptés par l’auteur et journaliste Éric de Kermel. Pour savoir enfin ce que parler vert veut dire. PAR

ÉRIC DE KE R ME L

Éric de Kermel, touche-à-tout passionné de nature, à la fois journaliste, romancier et éditeur de magazines, a épousé la cause écologique de longue date et cherche aujourd’hui à sensibiliser le grand public aux enjeux de la biodiversité. Il est l’auteur de l’Abécédaire de l’écologie joyeuse publié aux éditions Bayard.

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s t u d i u m

ÉCOLOGIE

L’écologie est une science avant d’être un projet politique. Une science qui nous rappelle une seule chose : tout est lié. Aucun être vivant, et l’homme encore moins que tout autre, ne peut vivre sans cultiver et nourrir ces liens. Chaque jour nous découvrons de nouvelles espèces, de nouvelles interactions.

Il n’y a rien de pire que de subir. Rien de moins dynamique que de regarder passivement BFM nous annoncer son lot de mauvaises nouvelles. Agir, là où nous sommes, chacun avec ses moyens est le début du chemin. Et ceux qui agissent rencontrent d’autres personnes qui agissent également. Agir rend joyeux !

EFFONDREMENT

ALIMENTATION

Effondrement rime avec collapsologues. Ces derniers sont convaincus que nous sommes désormais entrés dans une phase apocalyptique. Mais attention, l’apocalypse ce n’est pas la catastrophe… C’est simplement accepter qu’un monde disparaisse pour qu’un autre puisse renaître.

De la fourche à la fourchette il n’y a qu’un pas. Nous sommes ce que nous mangeons. Ce choix que nous faisons trois fois par jour est le premier pas dans une démarche d’écologie cohérente.

NATURE

C’est l’urgence. Et cette urgence tient en 3 signes : CO2. Tous nos actes individuels et collectifs doivent être passés au crible de leur impact en émission de CO2. C’est très simple et pourtant, malgré les grands accords internationaux, chaque jour qui passe nous en émettons davantage !

Nous sommes DE la nature et non hors d’elle. Cette évidence doit être aujourd’hui rappelée, en particulier aux Occidentaux qui ont cru que l’homme avait pour responsabilité de gérer des ressources naturelles le transformant, au sens propre, en un être hors-sol ne faisant pas partie de la nature.

COHÉRENCE Nous sommes sidérés devant les incendies californiens mais nous climatisons nos maisons, nous chauffons nos piscines et rêvons d’un nouvel SUV. La cohérence est un vrai chemin de réconciliation, avec soi-même comme avec le monde.

Sous cet horizon bleu qui inspire les poètes et les voyageurs, se cache la plus grande décharge du monde. La vie y disparaît en silence. C’est notre plus grande honte.

DÉVELOPPEMENT

DURABLE VIVANT Cette notion laisse entendre que le développement et la croissance sont une fin en soi. Sur un plan énergétique et en matière de ressources naturelles c’est une hérésie. Nous n’avons qu’une seule planète. C’est un espace fini. Sur un plan intellectuel, artistique, spirituel en revanche, la croissance peut être illimitée. Mais alors, nous ne parlons pas du même développement ni du même progrès.

G.I.V.E.

Est apparue ces dernières années la distinction entre les humains et «le vivant non humain» qui fait partie autant que nous de la nature. C’est de ce «vivant non humain» dont nous sommes responsables d’un point de vue éthique. Des rivières, des montagnes, des océans… de ce que nous pouvons appeler nos biens communs. ❚

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P H OTO © AGNÈ S IAT ZOU RA

A g o r a

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A g o r a

L’ÉCOLOGIE COMME RÉENCHANTEMENT DU

MONDE PROPOS RECUEILLIS PAR

SARAH H E RZ

Nous voulions ouvrir ce numéro de G.I.V.E avec un regard d’espoir. Car si oui, la menace qui plane sur notre planète et notre santé est là, on peut aussi voir dans cette prise de conscience une possibilité de réenchanter un monde qui arrive à la fin d’un modèle. Nous avons invité Bruno David, président du Muséum d’histoire naturelle, naturaliste et paléontologue, pour partager sa définition d’une écologie positive. Et donc pourvoyeuse d’espoirs.

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A g o r a

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ous êtes naturaliste. Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui ?

souhaite. Nous sommes poussés par cette modernité mais nous savons que celle-ci a un impact sur la planète. La pression que nous exerçons sur la planète est de plus en plus importante, un tas d’indicateurs scientifiques le montrent et l’écologie politique le relaie. Aujourd’hui, nous avons des instruments de mesure et des métriques du changement qui sont scientifiquement très fondés. Il y a des incertitudes auxquelles, scientifiquement, nous ne pouvons pas répondre. Nous avons dans le même temps des collapsologues qui disent qu’en 2050 nous serons tous morts et des transhumanistes ou des techno-progressistes, un peu béats, qui vont dire l’inverse et nous convaincre de ne pas nous inquiéter. C’est pourquoi nous avons réalisé un manifeste, qui va sortir au mois de novembre, le 4e manifeste du Muséum, qui s’intitule «Face aux limites». Il essaie d’apporter l’éclairage de l’histoire naturelle sur ces deux tendances. Il faut arriver à faire accepter qu’il y ait des incertitudes, ce qui est difficile et, sans doute à plus forte raison en France qui est un pays cartésien et très déterministe, où les mathématiques et la physique jouent un grand rôle. Le vivant a toujours évolué et il continue d’évoluer dans des directions incertaines que l’on ne peut pas prévoir car le vivant est éminemment complexe. Quand on prend un écosystème, il y a toutes ces espèces qui interagissent les unes avec les autres. Même en physique, nous savons bien qu’il y a une limite au déterminisme, ce que nous avons appelé la dépendance sensitive aux conditions initiales ou le chaos déterministe. Quand on s’intéresse au vivant, l’incertitude est la règle. Le vivant est trop compliqué et ce serait d’une très grande prétention de notre part que de penser que nous allons pouvoir mettre le vivant en équation et pouvoir l’organiser.

Le terme d’histoire naturelle est un terme ancien, que personnellement, je trouve très beau et que nous devrions sans doute utiliser plus souvent car il est très englobant. L’histoire naturelle comprend toutes les espèces naturelles, qu’elles soient animales, végétales ou microscopiques. Minéraux, fossiles, planètes, étoiles font partie intégrante de l’histoire naturelle au sens large. Le muséum est dans ce schéma, et entre en lien avec les sciences sociales, en particulier pour tout ce qui touche aux interactions entre les hommes et le reste du vivant.

Le fait même de séparer l’histoire naturelle de l’histoire humaine n’est-il pas problématique ?

Nous pouvons et nous devons considérer que l’homme est une espèce animale, qui entre dans l’histoire des animaux. Néanmoins, nous savons bien qu’il y a des sciences humaines et sociales, comme l’économie ou la philosophie, qui sont véritablement propres à l’homme et qui s’intéressent à la relation entre l’homme et son environnement.

Vous présidez le Muséum d’histoire naturelle qui, à près de 400 ans d’existence, est donc né bien avant l’apparition de la science de l’écologie. Quel est le rôle du Muséum dans la connaissance et la préservation de la nature ?

Est-ce que ce n’est pas propre à l’histoire naturelle de voir des espèces disparaître ? Est-ce que le processus de disparition va plus vite qu’auparavant ?

Le Muséum est un centre de recherche d’envergure mondiale avec à peu près 500 chercheurs. Une autre façon d’acquérir de la connaissance, qui fait partie des activités essentielles du muséum, est dans la constitution de collections, qui sont un archivage d’un patrimoine universel, celui de l’histoire naturelle. Nous avons à peu près 70 millions d’objets au sein de nos collections, ce qui fait d’elles les troisièmes plus importantes à l’échelle mondiale en matière d’histoire naturelle.

Le souci réside dans le fait que cela va 1 000 fois plus vite aujourd’hui. Il n’y a pas de problème en soi à ce que des espèces apparaissent et disparaissent, cela a existé de tout temps avec un rapport apparition/disparition à peu près stable en période standard et avec des pics en période de crise. Il y a eu cinq grandes crises dans l’histoire biologique et à ce moment-là, cela monte jusqu’à 80% de disparition. Par la suite, la biodiversité change et rebondit après la crise, une nouvelle biodiversité s’installe. L’exemple emblématique est celui des grands dinosaures qui ont disparu et ont laissé la place aux mammifères dans les écosystèmes. Il y a eu à différents moments de l’histoire géologique, des grands types qui en ont remplacé d’autres. Les ammonites ont disparu à la fin du secondaire et les poissons qui existaient déjà avant ont profité de cette disparition pour se développer énormément. C’est classique mais cela se fait sur des millions d’années tandis qu’aujourd’hui, si l’on fait des extrapolations, on se rend compte qu’on est sur un taux de 8 000% par rapport à une grande crise où on est sur un taux de 80%. Nous sommes donc, au minimum, sur un rythme 100 fois plus rapide.

Quelle est votre définition de l’écologie ?

L’écologie est une science. Cette notion est née au XIXe siècle. La notion a été forgée par le savant allemand Ernst Haeckel. L’écologie ne se développe pas tellement avant l’après Seconde Guerre mondiale. Elle était considérée alors comme un passetemps de quelques illuminés. Nous avons une école d’écologie en France qui est très réputée et dont nous devons en être fiers. On peut notamment citer la remarquable Ecology Letter éditée par le CNRS et qui fait référence dans le monde scientifique.

Pendant longtemps, la notion de progrès s’est construite en dehors de la protection de la nature. Comment vivre la modernité de façon plus responsable ?

Comment peut-on rester positif selon vous et comment peut-on voir cette prise de conscience de la vulnérabilité du vivant comme une source de

C’est tout le paradoxe. Nous n’avons pas envie de revenir à l’âge des cavernes ou, du moins, une infime minorité d’entre nous le

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A g o r a

créativité et d’inventivité ?

De manière générale, nous avons la solution avec nous, nous savons à peu près ce qu’il faut faire. On sait que si, globalement, on laisse les environnements un peu plus tranquilles, que si on roule moins en voiture, si on prend moins l’avion, cela va aller mieux. Il s’agit également de ne pas stigmatiser car nous ne sommes pas tous égaux face à l’écologie. Autant pour le changement climatique, cela peut être relativement déprimant mais pour la biodiversité, il n’en va pas de même. Car si je fais un effort dans ma ville comme des végétalisations, cela va rapidement changer les choses. Mon geste peut avoir un impact ici et maintenant, c’est-àdire dans quelques années. On va voir localement les bénéfices de notre action et chacun peut agir de son jardin, chez soi, sur toute la surface de la Terre. La biodiversité est extraordinairement résiliente, adjectif qui est aujourd’hui passé dans le langage commun. Si on laisse la biodiversité tranquille, elle revient très rapidement. Nous l’avons vu pendant la pandémie. La biodiversité a une capacité de réaction, de cicatrisation, qui est extraordinairement rapide et ça, il faut que nous l’utilisions : l’avenir est entre nos mains.

Quelle serait votre définition personnelle de l’écologie positive ?

Je pense qu’il faut croire en nous, en notre capacité à réagir et pas seulement à agir. Nous avons la capacité de réagir parce que nous avons un cerveau qui nous sert à cela et nous sommes incroyablement aidés par la biodiversité donc profitons-en. Ne restons pas inactifs. Au-delà du diagnostic qui est posé, au-delà du fait, qu’effectivement, nous exerçons une pression beaucoup trop forte sur la planète, nous savons comment nous exerçons cette pression et quels sont les facteurs de pression, ça c’est très important. C’est un discours que je tiens souvent à des dirigeants d’entreprise qui me disent : «mais qu’est-ce que je dois faire ?». Au-delà de la théorie générale, nous savons très bien quels sont les facteurs qui exercent des pressions majeures sur la biodiversité en ce moment donc ce sont sur ces facteurs qu’il faut que nous agissions. C’est sur le déplacement des espèces, la pollution, la surexploitation des ressources, le changement climatique et puis l’usage des sols qui est peutêtre le facteur le plus important, l’usage que nous faisons de la surface de la Terre. Et moi, ce qui me rend optimiste encore une fois, c’est que cette biodiversité est incroyablement résiliente et nous pouvons voir assez rapidement les bénéfices de nos actions, donc agissons ! ❚

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Éric Pillot Les photographies de la série «In situ» d’Éric Pillot illustrent cet entretien. Ces images d’animaux en captivité, prises dans des zoos, aux décors artificiels et scénarisés, interrogent notre relation au vivant. Éric Pillot a reçu de nombreux prix. Il a découvert la photographie après un brillant parcours scientifique (Polytechnique, agrégation de mathématiques…). Éric Pillot est représenté par

Éric Pillot, Toucan and liana, «IN SITU»

la galerie parisienne Dumonteil.

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LE  BEL ENTRETIEN AVEC BAPTISTE MORIZOT PROPOS RECUEILLIS PAR

T H OMAS E R B E R

P HOTO © É RIC P ILLOT - ILLU STRATIO N © IN OË MO RVA N

Baptiste Morizot est le penseur d’une époque : la nôtre. Philosophe reconnu, écrivain talentueux, pisteur engagé, écologiste authentique, et aventurier par nature : c’est un iconoclaste, avant-gardiste, dont la puissance de la pensée pourrait nous faire entrer dans une nouvelle ère intellectuelle où la pensée se fondrait enfin au monde. Il milite pour une cohabitation pacifiée par la diplomatie avec toute forme de vivant sur la planète, et offre une solution qui redonne espoir.

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Je me suis longtemps senti méditerranéen, je viens de la Méditerranée. Enfant, j’ai vécu dans le Var, vers les gorges du Verdon, dans ces paysages-là. Et c’est quelque chose qui m’a toujours travaillé. Enfant, mes héros n’étaient pas Jean-Paul Sartre ou Socrate, c’était des aventuriers. Il y avait cette dimension de la vie active, de l’épreuve du terrain, de la transformation concrète de la réalité, qui me parlait beaucoup plus que l’idéal intellectuel strict. Ensuite, je m’embarque dans des études de philosophie. On a souvent du mal, lorsqu’on est enfant, à intégrer nos désirs contradictoires, à leur donner une forme organique, ils restent en quelque sorte en friche. Quand j’ai décidé de faire de la philosophie, je n’avais pas idée de la forme de vie que cela supposait, je ne savais pas ce qu’était un intellectuel au sens concret de son travail quotidien. J’ai voulu faire de la philosophie car j’étais attiré, sans savoir pourquoi, par la puissance qu’a la philosophie à donner du sens aux actions, à la vie, à donner des cartes pour s’orienter dans ce monde compliqué. Je ne voulais pas nécessairement être philosophe ! Qui veut être philosophe à 16 ans ? Je fais une prépa littéraire à Nice qui me transforme, me plonge dans la haute littérature, la haute culture. Ce furent des années extrêmement formatrices et enthousiasmantes pour moi. D’autant que j’ai toujours beaucoup lu. Mon père était un grand lecteur qui m’a initié, et fait lire toute la littérature russe, d’Amérique latine et d’Amérique du Nord. J’ai été fasciné par Borges pendant très longtemps. Après, je passe le concours de l’ENS, que je rate, puis l’agrégation, que je réussis. Là, je commence à voir ce qu’est la réalité du métier. C’est un peu comme tous ces enfants qui rêvent d’être astronautes. Professions qui font rêver du point de vue de la symbolique, mais qui, dans la vraie vie, sont tout autres : enfermés dans une boîte de conserve à pousser des boutons à heure dite. La réalité du métier n’a rien à voir avec le fantasme. J’ai alors entrevu la nature du métier d’intellectuel, qui avait une composante qui me plaisait énormément, la recherche, le dialogue avec des pairs et même le travail en bibliothèque. Néanmoins, le fait que cela devienne le monopole de mon existence avait quelque chose d’irrespirable, je voulais toujours être un homme d’action. Je multipliais donc à l’époque les liens avec l’extérieur, pour enrichir mon rapport avec les milieux naturels, avec les forêts, avec les montagnes. Je souffrais également d’une certaine pauvreté concernant diverses activités, telle la randonnée par exemple, dont je trouvais qu’elles restituaient le monde extérieur comme une sorte de carte postale un peu vaine. Pendant quelques années, j’ai donc fait pas mal de survivalisme, pas sous sa forme paranoïaque d’extrême droite, mais sous la forme de l’acquisition de techniques d’autonomie : le feu, la construction d’abris, la cueillette. Il s’agissait de survie douce. François Couplan a écrit à cet égard un livre extraordinaire Le Guide de la survie douce. Il n’y avait pas du tout d’imaginaire

Il est étonnant de constater que vous êtes un peu le seul à réfléchir comme cela et que cette approche n’a pas (encore) fait école. En effet aujourd’hui, il y a une nécessité à convertir un certain nombre d’élites aux questions écologiques, l’élite économique notamment. Or, on constate une forme d’activisme à la nier qui, s’il n’est pas puéril, est à tout le moins contre-productif… Il y a une différence pour moi entre les textes identitaires et les textes qui déplacent. Il y a des textes dont la vocation première est de confirmer le lecteur dans son identité déjà structurée. Notamment, au sein de la famille de gauche critique à laquelle j’appartiens, il y a beaucoup de textes qui ne convainquent que les convaincus et qui ont pour effet d’hypertrophier les bulles médiatiques, car ils prennent des options de stigmatisation qui font que tous ceux qui se sentent de gauche pure sont d’accord, et que tous les autres se sentent culpabilisés. Moi, les textes identitaires ne m’intéressent pas du tout. Je cherche à déplacer les identités. Pour déplacer l’identité de quelqu’un, tout le monde le sait, il faut beaucoup de délicatesse parce qu’un humain est fait de telle manière qu’il n’accepte une remise en cause que si celleci ne coule pas le bateau de sa personnalité. Je ne crois pas en la nécessité de commencer par une culpabilisation massive. Ce qui m’intéresse ce sont les troubles dans l’identité que je peux générer chez à peu près n’importe qui, et notamment déplacer la focale d’attention pour qu’il s’intéresse à des choses auxquelles

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viriliste là-dedans, même si j’avais la testostérone de mes 20 ans et une envie de me prouver quelque chose, que je trouve d’ailleurs assez saine : s’exposer à des conditions un peu exigeantes et en revenir donne un sentiment tranquille de sa propre force, de sa capacité à traverser des épreuves, qui est très apaisant. Il y avait une nécessité de faire coexister deux pans de ma personnalité dont la confrontation me donnait presque l’impression d’être schizophrène, au sens commun du terme. J’avais le sentiment d’être extrêmement clivé. J’avais une vie corporelle intense. – j’ai notamment fait 10 ans d’arts martiaux. Et puis à côté de cela, j’étais un universitaire à l’ENS qui faisait des cours de philo. Ce clivage m’a porté jusqu’à ma thèse où j’ai presque explosé en vol, car lorsqu’on prépare sa thèse on est obligé de passer 6 mois à la bibliothèque. Au-delà de cela, il y a autre chose. J’ai toujours été fasciné par le motif Renaissance de l’homme complet. L’objectif n’est pas d’être excellent dans un domaine mais d’exprimer et de découvrir ses puissances dans toutes les dimensions de l’existence humaine, sans devenir un hyper expert sur un point précis. Il y avait la dimension de la vie du corps. L’université n’est pas un lieu qui empêche cette vie du corps mais on dira ce que l’on veut, ce n’est pas non plus un lieu qui la valorise ! Et la manière dont cela s’est exprimé, c’est que j’ai très vite eu une forme de désintérêt pour la spéculation pure, c’est-à-dire la spéculation théorique qui n’a pas d’autre intérêt qu’elle-même. Mon défi a donc été d’inventer une façon de faire de la philosophie qui dans sa recherche métaphysique, intellectuelle, retombe dans l’espace pratique, politique, éthique. En un mot : si cela ne transforme pas la vie, cela ne vaut pas une heure de peine. C’est une recherche qui n’est pas aboutie, et dans laquelle j’expérimente.

st-ce que vous pouvez commencer par vous présenter, nous dire d’où vous venez, nous raconter votre parcours, et quelle fut la matrice existentielle de votre philosophie iconoclaste ?


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Éric Pillot, Two penguins and wave, «IN SITU»

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Éric Pillot, Bear cub and cave, «IN SITU»

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« L’objectif n’est pas d’être excellent dans un domaine mais d’exprimer et de découvrir ses puissances dans toutes les dimensions de l’existence humaine. »

il ne s’était jamais intéressé (les vivants, leurs interdépendances, leurs prodiges). Je veux ouvrir cette brèche, pousser les murs et faire avancer l’idée. Après, ce n’est pas à moi de choisir ce que l’on fait et chacun peut créer ce qu’il veut. Si tu es un trader ou un patron du CAC 40, cela m’étonnerait que j’aie ce genre d’effets [rires], mais cela ne te touche pas de la même manière que si tu es un zadiste, un paysan ou un intellectuel de la rive gauche. Moi, je suis de gauche, de gauche critique, de gauche sans doute relativement radicale, même si aujourd’hui c’est probablement être de bon sens que de critiquer les dérives aberrantes du système économique en général. Cette critique doit être portée de manière intelligente, avec délicatesse, sans dogmatisme et surtout de manière à ce que l’on déplace les identités plutôt qu’on ne les confirme.

C’est ce que vous avez commencé à faire notamment avec votre thèse sur l’éducation après laquelle vous enchaînez sur Les Diplomates1, votre premier ouvrage qui fera date ? C’est le switch qui est présent dans mon travail et même dans ma vie en général, effectivement. Il est corrélé au fait que dans mon métier, il y a une phase liée au recrutement. Avant le recrutement, lorsque l’on est chercheur précaire, c’est très difficile d’avoir un poste. La moyenne de recrutement dans ma discipline est de 37 ans et demi. Moi, j’avais envie d’être recruté, pour créer les conditions d’une recherche apaisée, où je ne passe pas mon temps à me demander comment faire pour payer mon loyer à la fin du mois. Par ailleurs, je trouvais le métier d’enseignant-chercheur magnifique. Le problème est que pour être recruté, à certains égards il y a des normes académiques qu’il faut suivre. Je fais donc une thèse très philosophique et très académique. À ce moment-là je sature, et j’écris juste après le livre Les Diplomates qui est complètement libéré.

Sur quoi est basé ce livre, sur une recherche précédente, sur le pistage que vous aviez commencé à pratiquer ? Tout naît ensemble et notamment le pistage au sens fort. J’ai commencé le pistage en 2012 et sorti le livre en 2017. Le pistage a été une expérimentation sur comment on change le rapport aux milieux qu’on habite, qu’on arpente. Après la randonnée, après le survivalisme, cette manière de lire les comportements invisibles dans les indices visibles des animaux, des végétaux, c’était une manière de réconcilier les deux dimensions de mon travail et même de ma vie : l’enquête, la pensée, mais déplacée dans la forêt, dans des quêtes concrètes, avec des implications pratiques. C’est là que tout se libère au même moment, ensemble. J’écris ce livre et me dis que je vais passer pour un fou furieux. Le paradoxe est que je publie le livre et là, c’est l’inverse qui advient, je connais un succès philosophique que je n’avais jamais connu auparavant, alors que le livre est très original dans sa forme, son sujet, sa méthode. Le livre a reçu deux prix. Et ma communauté intellectuelle 1. Les Diplomates, Cohabiter avec les loups sur une nouvelle carte du vivant, de Baptiste Morizot (2016), Éditions Wildproject.

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Éric Pillot, Blue flamingo, «IN SITU»

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l’a bien accueilli. J’avais sous-estimé sa tolérance à l’originalité. Je me suis dit : désormais je peux écrire comme j’en ai envie. Je sentais dans Les Diplomates qu’il y avait des éclats de narration, des passages où j’utilisais la première personne. Ce que je trouvais très intéressant là-dedans, c’est que cela permettait de vivifier les idées. De raconter à la première personne l’aventure d’une idée, de sa découverte, de sa navigation dans le monde réel. Un autre événement n’a pas été anodin. Je n’ai écrit ce livre pour personne en particulier, et dans le livre, il y a des passages très narratifs qui cohabitent avec des tunnels théoriques de trois pages, très techniques, que les profanes ont du mal à comprendre. Cela a pu choquer certains lecteurs, je pense notamment à ma mère qui n’a pas pu le finir. J’en ai souffert car je me suis dit qu’une partie de mon projet philosophique était un échec si ma propre mère ne pouvait pas lire mon livre ! Je continue à écrire de la philosophie technique, difficile, exigeante mais je me suis demandé si parallèlement, je ne pouvais pas inventer une manière d’écrire, où j’emmène le lecteur, en étant suffisamment généreux sur la beauté, sur le récit, les affects, pour ensuite le guider vers des questions de plus haute altitude, sur le territoire d’une philosophie plus théorique. Je me voyais comme un guide de haute montagne : il faut que l’effort soit progressif et mesuré pour monter haut, tranquillement. Je me suis retrouvé à la même époque également à faire beaucoup de terrain, à Yellowstone, au Kurdistan, etc. Et j’écrivais des choses dans des formats qui étaient impubliables dans des revues de philosophie académique. C’est là que j’écris les premiers récits de pistage où l’enquête chemine en continu depuis la trace animale jusqu’à l’énigme philosophique. Et presque sans le vouloir, j’invente ce genre un peu absurde du pistage philosophique. Le premier que je fais, c’est l’ours, avec ce couplage de récit de pistage, de narration de mon «aventure sur le terrain», qui aboutit à l’aventure d’une idée. Il y a donc une libération dans mon écriture, qui me donne un grand bol d’air. D’ailleurs mon désir personnel avait toujours été d’être écrivain. Même quand j’ai commencé la philosophie, dans ma tête, il y avait Borges, Nabokov mais aussi Tournier et Giono.

de jeunesse que maintenant je n’assumerais peut-être plus. Là, je commence à écrire deux romans coup sur coup, mais je n’y arrive pas, le résultat est mauvais. Je n’arrive pas à trouver ce lieu où je peux déployer de la pensée tout en étant dans du récit, dans des sensations, des émotions. Cela fait des romans ennuyeux, à thèses, assez convenus. Il y a un autre aspect dans le roman qui ne me réussit pas. À l’époque je lisais beaucoup Les Cahiers de Paul Valéry. Il y a un dialogue dedans avec André Breton, où il souligne l’arbitraire du roman, de l’invention de situations. J’étais très travaillé par l’arbitraire de l’invention de situations. J’étais donc un romancier raté d’un côté et un philosophe raté de l’autre car je n’arrivais pas à faire seulement de la philosophie académique. Tout s’est dénoué dans les expériences de terrain, avec la possibilité de faire du récit. Je peux raconter des paysages, des émotions mais tout cela au profit d’une révélation philosophique, d’une aventure humaine qui devient aventure d’idée.

D’ailleurs, dans l’introduction de Sur la piste animale, à un moment donné, vous mentionnez Lévi-Strauss et l’impossibilité des hommes de parler avec les autres espèces, qu’il décrit comme une malédiction. Vous dites que ce n’est pas une malédiction, mais peut-être une manière de regarder les choses qui n’est pas ajustée sous le bon angle. Cela semble être le point de départ d’une maïeutique… Oui, complètement. Encore une fois cette prise de conscience est vraiment liée au terrain, au pistage. Il fallait une fois que j’avais trouvé mon genre littéraire, l’intuition pure qui ouvrait l’espace pour une pensée neuve, et c’est elle. C’est fascinant car il s’agissait d’une intuition de terrain.

C’est drôle que l’on parle d’écrivains car votre manière d’écrire m’a toujours fait penser à l’un de mes auteurs préférés, Julien Gracq, dans son rapport à la géographie notamment.

Cette anecdote est l’exemple d’une intuition de terrain. Mais l’intuition première et fondamentale pour moi est celle du moment où on apprend à lire les laissées des loups, qui sont des marquages. Ce sont des excréments, il y a plus spectaculaire, plus digne du point de vue des humains… Mais si l’on se décentre vers le point de vue du loup, ces excréments ont une dimension très importante de vie sociale et politique. Ce sont des instruments de géopolitique, des blasons dans lesquels les loups disent leur identité aux autres individus, aux autres meutes. Ce sont des drapeaux qui définissent des frontières, qui régissent la vie collective des meutes. Ce sont des dispositifs de pacification surtout. Ils permettent aux meutes d’avoir un bon voisinage, en limitant l’agressivité mutuelle. Les animaux fanstamés comme les plus féroces, les loups, sont en fait capables de mettre en place par ces marquages des moyens de maintenir la paix entre eux le mieux possible. Quand on vit cela sur le terrain, on a l’impression d’être dans l’espace le plus matériel qui soit, le plus loin de la société avec ses conventions. Mais en réalité, on est à mille lieux d’affrontements bestiaux, de la loi du

Il faudrait que je le relise, je l’ai lu il y a longtemps. On ne sait jamais ce qui nous travaille au corps de manière inconsciente lorsque l’on écrit. Il y a peut-être quelque chose qui me rapproche de lui dans ma relation au langage, à la parole. Mais si je devais donner ma filiation littéraire, ce serait un mélange entre Borges, Yourcenar et Chuck Palahniuk. C’est un peu mon triptyque sacré.

Le fait d’avoir voulu être écrivain au départ est déjà une nuance assez notoire dans le développement de votre pratique philosophique… À cette aune, pendant que je prépare l’agrégation, j’écris des nouvelles. J’avais d’ailleurs reçu le prix spécial de l’ENS pour un recueil

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Il y a cette scène dans l’un de vos livres : vous êtes avec l’un de vos amis, en train de pister des loups. Il est tard. Vous sortez d’un abri de montagne, avez manifestement bu, et tout d’un coup vous entendez un bruit sourd…


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Éric Pillot, Owl and twilight , «IN SITU»

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Éric Pillot, Reptile and cactus , «IN SITU»

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plus fort. Le vivant a inventé des dispositifs de pacification bien avant nous. C’est cela ma réelle intuition philosophique originelle. On hérite d’une histoire fausse selon laquelle nous étions, avant l’invention de la culture, des animaux empêtrés dans la guerre de tous contre tous, puis en devenant humains, sociaux, rationnels, nous aurions obtenu la capacité à faire la paix, à obtenir la concorde, à sortir du règne animal régi par l’affrontement aveugle. La nature n’est pas un espace d’harmonie, d’amour, d’équilibre, et ce n’est pas le propos. Mais il s’agit d’un espace dans lequel, sans aucun doute, il y a des dispositifs de pacification en dehors des humains et avant les humains. Ce qui est extraordinaire ici, c’est que nous ne sommes pas les premiers à avoir mis en place des tentatives de «vivre ensemble» : l’évolution a doté les végétaux, les animaux de mille puissances pour créer du modus vivendi, elles ne sont pas forcément conscientes ni volontaires, mais cela n’a aucune importance ici. Le vivant a inventé cela il y a des centaines de millions d’années. Un écosystème fonctionne par la mise en place de modus vivendi, et de négociations permanentes, de communications. À partir du moment où ces processus de pacification, qui n’intègrent pas la rationalité humaine, la parole, ni le contrat, existent, je me dis qu’il est complètement absurde et trompeur pour l’action qu’on les occulte, et qu’on pense que les seuls modes d’interaction qu’on puisse avoir vis-à-vis du monde vivant soient le rapport de force et la gestion quantitative. Le loup de ce point de vue là est extraordinaire. Il rend possible cette analyse car sa vie politique est aussi spectaculaire. Lorsque l’on s’intéresse de près aux loups, même si on est un anthropocentrique, humaniste, persuadé que les humains sont uniques, cela crée chaque fois un espace de trouble. Le loup crée un effet miroir extrêmement dérangeant. Les rencontres animales peuvent être très puissantes et créer des effets de trouble qui peuvent nous conduire à changer nos manières de penser et de vivre. Mais, c’est aussi un animal puissant, qui a une grande magnitude imaginaire et mythologique. Il s’agit d’un animal très intéressant à pister et dont le pistage est à l’origine d’évènements philosophiques.

Typiquement, c’est ce que les intellectuels ont perdu à la fin des années 80, justement cette capacité à entreprendre ce que vous venez de décrire. Pour ma part, je considère que les intellectuels sont en partie responsables de la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui que je nomme l’aporie contemporaine, même si on semble peu à peu en sortir justement, notamment grâce à de nouveaux intervenants vivifiants, actifs dont vous êtes. À un moment donné, il y a eu une démission. Au moment même où l’ultra-libéralisme se met en place, il y a une démission des intellectuels dans la portée de l’application de leur pensée à la res publica… Je suis ignorant là-dessus et je ne sais pas si je parlerais d’une démission. Tout du moins, les intellectuels disparaissent de l’espace public et dans leur rôle de nous donner les formules pour pré-scénariser les comportements. Le succès des Trente Glorieuses tient au fait qu’il y a eu beaucoup de bonnes choses. On a vraiment cru, à mon avis, que le vecteur du progrès, théorisé par les libéraux anglais, un siècle auparavant, était à l’œuvre. On pensait qu’on était partis pour décoller et que les problèmes étaient finis.

On en a tous profité. On était contents de prendre la voiture et le libéralisme faisait système. Aussi, il n’y a sans doute pas de responsables avant, disons si l’on demeure empathique, 2020. Mais maintenant qu’on est informé sur les dérives notamment écologiques de l’ultra-libéralisme, les gens qui ne voudront pas bouger seront responsables… Je pense quand même qu’il y a des responsables avant 2020. Les grandes multinationales des énergies carbonées étaient au courant. Mais, c’est vrai qu’en tant que société, je ne comprends pas la culpabilisation, c’est pourquoi je n’ai aucun ton culpabilisant car on a joui des effets positifs de la modernisation en Europe. Je le vois avec nos parents avec lesquels on est parfois injustes. Ils sont beaucoup plus durs à faire basculer car ils ont vécu les Trente Glorieuses comme un vecteur d’abondance, de liberté. Maintenant, on leur dit qu’ils ne se sont pas rendu compte mais qu’ils ont détruit le monde. Est-ce qu’ils sont coupables ? Ma mère et mon père ne sont pas coupables, cela n’aurait aucun sens de le dire. La prise de conscience de la crise ne doit pas passer par la culpabilisation. C’est pourquoi je suis très sceptique vis-à-vis de la collapsologie car il me semble qu’elle pose mal le problème. Ce qui est symptomatique, c’est qu’ils confondent la fin du mode de vie des Trente Glorieuses avec la fin de la civilisation. Il est vrai que le mode de vie des Trente Glorieuses va s’effondrer – les voitures partout, les piscines, les vacances à Courchevel – mais cela ne signifie pas la fin de la civilisation thermo-industrielle. Il faut avoir un point de vue extrêmement local et hyper particulier pour penser que la fin du mode de vie des Trente Glorieuses signe un effondrement total. Les intellectuels africains que je connais rient de ce genre d’équations. Je n’utiliserais pas le terme d’effondrement car à un moment il

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C’est là que vous commencez à avoir cette approche de cohabitation des vivants qui semble désormais prégnante dans votre travail ? En effet, c’est là que s’ouvre cet espace. Je renonce complètement à mes sujets d’étude antérieurs. Il y a une prise de conscience écologique qui se cristallise au moment où j’écris Les Diplomates et qui est troublante pour moi car elle me pousse à raisonner autrement. Dans le monde des Trente Glorieuses, faire de la philosophie à l’université, c’est élaborer des idées un peu abstraites pour animer un dialogue collectif entre pairs. Mais quand on est face à la crise écologique, ce n’est plus suffisant. Il n’y avait plus de sens pour moi à activer cette conception de l’écriture universitaire. Il a fallu écrire différemment. Non pas pour contribuer à une communauté intellectuelle un peu fermée et de haut vol, mais pour faire face à la crise écologique. C’est un peu ma grande énigme : «Que signifie écrire face à la crise écologique ?» Je ne cesse de chercher la réponse, et chaque texte est un tâtonnement. Fatalement, cela crée une explosion de l’écriture.

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faut faire justice aux métaphores, le terme d’effondrement dit quelque chose de précis architecturalement : il faut s’imaginer un immeuble de 120 étages qui s’effondre sur ses bases et dont il ne reste qu’un champ de ruines. La puissance affective de cela, la raison pour laquelle cela a tant d’écho, c’est parce que cela mobilise un couple d’affects très profonds dans notre culture, d’un côté la tradition apocalyptique du judéo-christianisme qui a 2 000 ans, et où régulièrement, un prophète nous annonce l’apocalypse. Et d’un autre côté, le blockbuster hollywoodien, le film «catastrophe», de fin du monde. Mais quand on décrit ce qui va nous arriver, je ne trouve pas du tout pertinente comme métaphore celle de l’effondrement. Il va y avoir des délitements, beaucoup de choses qui vont se délabrer, il va y avoir des fragilisations asynchrones de toute une série de systèmes. Mais parler d’effondrement ne qualifie pas ce qui va se passer de manière efficace. Car dans la mesure où cela postule que tout va tomber en ruines, cela nous désintéresse de ce qu’il faut protéger maintenant. La crise du Covid nous a vraiment fait prendre conscience par exemple qu’il fallait prendre soin des hôpitaux, des services de santé, des institutions de protection. Ce sont ces institutions qu’il faut préserver. Si on cède à la tentation de la métaphore de l’effondrement, on détourne son attention vers la constitution d’éco-villages. Alors que si on parle de délitement et de délabrement des services, on se concentre sur l’engament politique pour donner de la robustesse, de la rusticité, une capacité à fonctionner encore a minima parmi les troubles, à nos systèmes de protection et de soin, au droit qui protège les travailleurs, les retraités, aux institutions démocratiques qui limitent la violence potentielle de l’état sur les citoyens en temps de crise…

Spécifiquement, ce qui m’intéressait avec la crise de la sensibilité, c’est la crise de la sensibilité au vivant en particulier. Je pense que cela permet d’orienter l’attention vers ce que j’appelle la question de la bataille culturelle. La bataille culturelle sur les problématiques liées au vivant, me paraît être la mère de toutes les batailles, non pas parce qu’il faudrait rester dans la sensibilité et les idées plutôt que de militer sur le terrain contre la destruction des écosystèmes. Je pense qu’on peut bien arrêter tous les projets destructifs de déforestation de l’Amazonie, on peut bien changer le bilan carbone du commerce international. Mais toutes ces victoires sont éphémères sans changement de culture vis-à-vis du vivant. Elles pourront constituer des coups d’éclat locaux mais seront toujours minorisées et ne prendront pas d’ampleur. Il faut transformer notre rapport au vivant et c’est cela que j’appelle crise de la sensibilité. Il y a quelque chose que je trouve important, même si cela peut paraître anodin, c’est l’idée de la figure animale dans notre société. Elle est devenue uniquement enfantine ou esthétique. Alors qu’elle est absolument centrale dans nombre de sociétés comme les sociétés animistes amérindiennes, où l’animal est une figure individuante, qui fait partie d’une cosmologie, d’une mythologie. Elle a une grande valeur et une forte consistance. Chez nous, la figure animale est intrinsèquement infantilisée. Je regardais les catalogues de vente de livres pour enfants. C’est extraordinaire. De 0 à 3 ans, il n’y a que des animaux dans tous les récits et les contes, de 3 à 6 ans cela continue puis après de 6 à 9 ans c’est fini, ce sont essentiellement des humains. Et les animaux, quand ils sont présents, sont des animaux domestiques comme le chien du «Club des cinq». Après, de 13 à 16 ans, il n’y a plus aucun animal, c’est fini, il n’y a plus que des humains. Je schématise bien sûr, mais malgré les exceptions, c’est une tendance réelle. On est une société qui a créé une machine éducative reposant sur l’infantilisation de l’intérêt pour l’animal. À partir du moment où on passe l’âge de raison, on ne peut plus s’intéresser aux animaux et l’on doit s’intéresser aux choses véritablement sérieuses que sont les relations entre humains, familiales, ou de pouvoir. Il s’agit presque d’un rite initiatique comme dans les sociétés traditionnelles. Le passage à l’âge adulte se fait par la transition forcée vers des centres d’intérêt marqués par le dédain de l’animal. Celui qui ne prend pas l­’animal de haut est encore un enfant, il n’a pas passé le seuil. C’est symptomatique de la bataille culturelle à mener. Je ne dis pas que la bataille écologique passe d’abord par la transformation du monde de l’édition pour l’enfant, mais je relève toute une série de symptômes qui montrent que notre sensibilité au vivant est en crise. Il n’y aura pas d’issue si on ne change pas notre culture du vivant, et ce quelles que soient les catastrophes à venir.

Dans la théorie de l’effondrement, on peut voir une certaine forme de sensationnalisme qui n’a pas pour but de théoriser mais de fédérer plus facilement… Le problème est que la collapsologie a un côté fédérateur, mais qu’il faut fédérer dans la bonne direction, ce qu’elle ne fait pas nécessairement. Si on détourne l’attention des gens vers l’éco-village et l’école à la maison, il n’y a plus de lutte pour faire en sorte que l’école soit la plus égalitaire possible, protéger les institutions qui protègent les gens, qui permettent de maintenir une justice qui fonctionne, un égalitarisme minimal. C’est tout cela qu’il convient de protéger et qui part avec l’eau du bain si on imagine un effondrement et des ruines fumantes à la fin.

Vous parlez aussi beaucoup de la crise de la sensibilité. Cela paraît un peu utopique de prime abord, mais on comprend que ce n’est pas aussi simple que ce que la terminologie laisse à penser. On est aujourd’hui revenus de l’ultra-libéralisme (toujours lui), mais il faut reconnaître qu’il est bien présent, voire intrusif dans la vie de chacun, dans un environnement socioculturel très violent. Il y a une forme d’incongruité à renvoyer à cet environnement d’une violence extrême, la sensibilité comme une porte

2. L’Avenir des simples, Petit traité de résistance, de Jean Rouaud (2020), Grasset.

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non pas de sortie mais de retour possible «en réalité». Dans une interview récente, à l’occasion de la sortie de son livre2, Jean Rouaud dit que ce qui est incroyable aujourd’hui, c’est que les hommes sont au service d’un système économique alors qu’in fine, cela devrait être l’inverse…


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Éric Pillot, Gorilla and painted trees , «IN SITU»

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Éric Pillot, Kangaroo and red wall , «IN SITU»

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« Il faut créer une culture qui s’ancre dans l’idée de la joie de l’existence du monde vivant qui nous entoure. »

Comment, à travers cette approche, pourrait-on imaginer une société d’aujourd’hui et de demain qui serait positivement mieux adaptée ? C’est une question difficile. Je pense à un point. Très clairement, on est dans une société où l’enjeu est dans la lutte. La société civile doit lutter contre l’ultra-libéralisme et mettre la main sur ce qui est essentiel et le sortir du giron du marché, à savoir le soin, l’éducation, la terre, la vie, le vivant… Le problème est que pour nourrir la lutte, il y a deux affects qui sont très différents. Il y a l’affect premier qui est nécessaire, c’est l’indignation. C’est-à-dire le sentiment d’injustice. Mais lorsque c’est le seul affect qui domine, il crée souvent du radicalisme rigide, une lutte tout entière construite autour de la haine de ce qu’elle veut détruire. Lorsque la lutte se cristallise autour de cet affect-là, elle devient clivante, perd sa capacité à mobiliser massivement. Selon moi, pour que les luttes dont nous avons besoin émergent, il leur faut deux ailes, l’affect du sentiment d’injustice, du «cela ne peut plus continuer comme ça !», mais également un autre versant plus positif, ce qui est très spinoziste. Spinoza dit que d’un côté il y a la haine, la tristesse liée à l’existence de quelque chose. Et d’un autre côté l’amour qui est la joie à l’idée de l’existence de quelque chose. Je pense que s’il n’y a pas d’amour comme deuxième aile pour faire voler les luttes, les formes d’engagement dont on a besoin aujourd’hui s’assèchent et deviennent strictement négatrices. La question devient : l’amour de quoi ? C’est ce que j’appelle bataille culturelle. On hérite d’une culture où on ne sait pas pour quelles raisons aimer le monde vivant. On nous dit que les animaux sont pour les enfants, et que la «nature», c’est ce paysage là-dehors qu’il faut exploiter raisonnablement. Mais pourtant, c’est ce monde vivant dans ses dynamiques écologiques et évolutives qui nous a fait en tout point. Toutes ses créatures sont des prodiges qui ont co-évolué avec nous, qui ont fait de nous ce que nous sommes. Il faut sortir les forces de la vie de «l’invisibilisation» pour restituer le fait que l’on a des raisons de les aimer. Il faut créer une culture qui s’ancre dans l’idée de la joie de l’existence du monde vivant qui nous entoure. Sans cela, on ne sait pas pour quoi l’on se bat.

P HOTO © É RIC P IL LOT

Par ailleurs, cela permet de ramener la bataille à quelque chose qui est compréhensible par tous. Quand on définit pourquoi l’on se bat, c’est plus simple pour tout le monde. Après, il y a un travail à accomplir pour le faire entendre. Mais d’un point de vue sémantique, on peut partir du principe que tout le monde pourra le comprendre et même que tout le monde pourra y adhérer… J’en rêve, mais c’est compliqué. Il y a un gros travail à entreprendre. Quand je dis que c’est une culture du vivant qu’il nous faut, cela n’est pas pour dire qu’il ne faut pas passer par la politique ou par l’économie. Bien sûr que tout cela est politique et économique. Mais si on ne change pas le logi-

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Je pense que l’un des grands problèmes dans ce que l’on appelle le rapport à la protection de la nature, c’est que l’on a délégué aux États et aux experts écologues cette question-là alors même que c’est une question citoyenne. Chacun doit prendre en charge la défense de son milieu de vie, la défense de pâtures à côté de chez soi, la défense des abeilles sauvages de Paris qui en prennent plein la gueule. Mais ce reclaim citoyen passe aussi bien par des mobilisations politiques classiques, changer les élus, que par de l’action directe ou de la désobéissance.

ciel, c’est vain. On ne peut pas savoir quel monde défendre si l’on ne sait pas qui l’on est. On croit que l’on n’est pas de ce monde, que nous sommes des entités téléportées dans un décor de matière pour bénéficier des ressources que la planète met à notre disposition. Mais nous sommes des purs produits de ce monde, on a été façonnés par des relations immémoriales avec les autres formes de vie, qui nous ont donné toutes nos puissances, tout ce qu’on chérit dans l’existence. Nous sommes des vivants tissés aux autres jusqu’au bout des ongles.

Les problématiques environnementales sont aussi victimes de ce qui est arrivé entre la fin du XX e siècle et le début du XXIe, qui est un des syndromes socioculturels les plus marquants de notre époque notamment sacralisé par l’avènement de la digitalisation de la société et qui indirectement, mais surtout insidieusement nous fait entrer dans l’ère de la déresponsabilisation. La société, dans sa façon de s’articuler, met en place une machine qui a vocation à déresponsabiliser tout le monde. Quel devrait être le rôle de l’État face à cette problématique vénéneuse ?

« On a délégué aux États et aux experts écologues cette question-là alors même que c’est une question citoyenne. »

Il faut continuer à défendre le fait que l’État crée un droit environnemental à même de condamner les criminels, qu’il protège, qu’il mette en place des politiques publiques de réforme des industries qui ne vont pas dans le sens de l’histoire, de transition de l’agriculture conventionnelle vers les agroécologies. Mais, il est vrai qu’il faut arrêter de penser que l’État a le monopole de cette tâche.

Comment mener cette bataille, quels leviers utiliser pour qu’elle ne soit pas seulement entendue mais qu’elle prenne effet ? Comment le faire dans un monde qui traverse une crise identitaire et économique ?

Comment peut-on arriver à mettre en place ce levier ? Je ne sais pas. Je n’ai pas de réponse plus concrète. Je pense que contribuer à une culture, c’est faire vivre un langage, changer la manière de dire les choses. J’appartiens à un mouvement par lequel on fait entrer des entités dont tout le monde se désintéressait dans le monde commun de la fabrique du monde collectif, on les parachute dans le champ de l’attention politique.

C’est aussi pour cela que le mot culture m’intéresse. Quand j’entends le mot culture, je l’entends au sens de culture du jazz ou de culture de l’hospitalité dans l’Asie des steppes. La culture tout le monde s’en empare, elle n’appartient à personne, c’est quelque chose que l’on fait vivre collectivement, à laquelle chacun apporte sa déclinaison. La culture permet à chacun dans son métier particulier d’apporter sa sensibilité. Cela permet à un architecte de penser une architecture qui aurait un autre rapport au vivant pour prendre un exemple. Comment on fait pour créer des habitats qui font la place à d’autres formes de vie, qui cessent d’ignorer leur existence ? Chaque profession peut décliner la culture.

Comment s’appelle ce mouvement ? Il s’agit de l’écologie politique, tout simplement. Du point de vue culturel, il y a une nébuleuse qui se met en place et qu’il faut accompagner. Il y a cette phrase d’Yves Citton que j’aime beaucoup : «Les histoires préscénarisent les comportements.» C’est tellement vrai. Nous, depuis les Trente Glorieuses, on a vécu toute notre vie en rejouant des mauvais films hollywoodiens que l’on a vus lorsqu’on était enfants. Il y a désormais un effet de levier colossal à chercher dans la transformation de la façon dont on raconte le vivant. ❚

Vous êtes donc pour une forme de responsabilisation individuelle vis-à-vis du vivant ? Bien sûr. Mais ce n’est pas le vieux débat petits gestes contre grandes luttes, cette controverse est froide et inutile.

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SOUTENEZ LE FONDS DE DOTATION MERCI Depuis 2009, le Fonds de dotation Merci agit pour que des femmes, des hommes et des enfants puissent se construire un avenir, en œuvrant à l’amélioration de leurs conditions de vie. Il mène des actions en France et à Madagascar.

WWW.FONDSDEDOTATIONMERCI.ORG 2

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n o m a d e

P H OTO © ED GAR SARIN

e x p o s i t i o n

EDGAR SARIN Harmonie Accidentelle — couteaux, 2017 Tirage Polaroïd «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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GAS-TRO ÉCOLOGIE PROPOS RECUEILLIS PAR

T H OMAS E R B E R ET

SARAH H E RZ

Jean Imbert, Simone Tondo, Julien Cohen et les sœurs Levha racontent comment concilier excellence culinaire, inventivité et respect de la nature. Portée par l’enthousiasme de ces jeunes chefs, une évolution vers une gastronomie plus vertueuse est en marche.

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JEAN IMBERT

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Au-delà de la question écologique, je trouve que suivre le rythme des saisons est poétique et inspirant .

e me suis dit très tôt : “Nous sommes ce que nous mangeons”, et à partir du moment où l’on est curieux, on a envie d’aller vers des pratiques soucieuses de l’environnement. La création de mon propre potager en permaculture est venue confirmer cette première intuition ; j’avais besoin de mettre les mains dans la terre pour m’engager encore plus concrètement sur la voie de l’écologie. Pas une écologie restrictive qui prescrit ce qu’il faut faire ou pas mais une écologie créatrice, qui met l’humain au premier plan, trouve des solutions, et valorise les producteurs, les agriculteurs, les pêcheurs qui ont fait le choix du respect de la nature. Je ne mets à la carte que des produits de saison au sein de mes restaurants et j’ai arrêté de cuisiner certains produits particulièrement nocifs pour l’environnement. Cuisiner de saison est de bon sens. Au-delà de la question écologique, je trouve que suivre le rythme des saisons est poétique et inspirant. J’aime le mouvement, je n’ai pas une vision de l’avenir figée… C’est pour cela que j’aime autant les couleurs changeantes de mon potager qui me rappellent chaque jour l’importance de la préservation de l’environnement.» ❚

P H OTO © BO BY

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Jean Imbert, formé à l’Institut Paul Bocuse, est aujourd’hui à la tête de plusieurs restaurants à Paris et à New York. Son dernier projet en date ? L’ouverture d’un café-restaurant sur la Côte d’Azur, To Share, à Saint-Tropez avec son ami de longue date, le chanteur et producteur Pharrell Williams.

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SIMONE TONDO

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a nature a trop souvent été écartée de nos préoccupations. Sa vulnérabilité nous fait aujourd’hui prendre conscience de la nécessité de ne pas vivre avec des regrets et d’agir de manière positive pour préserver nos écosystèmes. Sinon, ce sont autant de lieux de beauté brute, à l’image de ma Sardaigne natale, qui risquent de disparaître. La chaîne alimentaire est très importante, et je suis fasciné par l’artisanat, l’effort humain et animal. Mais, en tant que cuisinier engagé, la priorité est la générosité : il faut aider les producteurs en achetant de manière responsable. Cela passe par la réduction de la quantité de produits que nous achetons et le souci constant de leur qualité. Au restaurant, nous veillons donc à favoriser les produits français ainsi que les semences paysannes et les variétés anciennes, et nous privilégions une pêche durable et un choix de viandes réduit pour pouvoir permettre aux fournisseurs de faire tourner leur gamme de produits. Au quotidien, en cuisine, l’écologie passe par l’adoption de nouvelles pratiques : supprimer l’usage de plastique, utiliser le moins de produits chimiques possible… Nous avons aussi fait le choix, au restaurant, de ne plus imprimer ni de carte de vins ni de menu et à la place de faire circuler une belle ardoise, rappelant l’atmosphère des bistrots à l’ancienne. Pour faire avancer la cause écologique, un effort organisé et graduel est nécessaire afin de pouvoir se donner de vrais objectifs durables.» ❚

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Simone Tondo, trentenaire, originaire de Sardaigne, a repris le restaurant Racines à Paris, qui a récemment obtenu sa première étoile. Fasciné par la décoration et l’univers de la création, il a été traiteur pour le créateur belge Dries Van Noten, et est passé par les cuisines de nombreux restaurants parisiens renommés où il a forgé son approche de la bistronomie. Il propose aujourd’hui, chez Racines, une expérience unique autour d’une cuisine alliant le meilleur de l’héritage du bistrot à la française et le soleil de l’Italie de son enfance.

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P HOTO © M ICKA Ë L B ANDASSAK

En tant que cuisinier engagé, la priorité est la générosité : il faut aider les producteurs en achetant de manière responsable.


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JULIEN COHEN

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L’avenir, c’est d’être au plus près des producteurs et de ce que la terre nous offre, saison après saison.

ous avons, comme de nombreux chefs, commencé par faire le tri de nos déchets organiques, puis du compost avec l’entreprise Moulinot, ultra-compétente sur le sujet. Il faut savoir que ces démarches coûtent de l’argent. On a rapidement voulu aller plus loin, et plus vite. C’est comme ça qu’est venue l’idée de créer une ferme agro-écologique. Avec le fonds de dotation de la Fondation Merci, dont je m’occupe avec ma famille, nous avons créé cette ferme à côté de Paris. Faire ses propres légumes, c’est évidemment le cercle le plus vertueux. La rencontre avec Maxime de Rostolan, à l’initiative de Fermes d’avenir, a été très riche. Notre ferme est très inspirée de la permaculture mais avec une optique plus business. L’idée étant de pouvoir fournir le meilleur à nos restaurants et à ceux de nos associés, dans le respect des circuits courts et des gens qui y travaillent. On suit vraiment le plan de culture des saisons pour créer la carte. Je construis mes menus avec ce que j’ai sous les yeux. On vient par exemple d’inventer un plat incroyable à base de choux jeunes. Pour moi, l’écologie est une source de création et d’inventivité. L’avenir, c’est d’être au plus près des producteurs et de ce que la terre nous offre, saison après saison.» ❚

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Julien Cohen est le chef qui a remis du chic dans les trattorias et les pizzerias parisiennes. Il a également repensé ses restaurants (Les Cailloux, Grazie, Quindici, Pizza Chic…) comme des espaces où la convivialité est d’abord l’art de prendre soin de son environnement.

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TATIANA & KATIA LEVHA

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n tant que restauratrices, le respect de l’environnement nous semble être le seul moyen cohérent de faire notre travail, si étroitement lié à la qualité de la matière première organique et à l’humain. Nos expériences au sein des cuisines de palaces nous ont fait prendre conscience de l’ampleur et de l’absurdité du gaspillage alimentaire. Aussi, nous avons dès le départ fait de l’écologie une de nos priorités au sein de nos deux restaurants. La protection de la nature se retrouve aujourd’hui au cœur de toutes nos décisions. Nous portons une attention de tous les instants à notre approvisionnement selon différents critères : conditions d’élevage, type d’agriculture, proximité des lieux de production, conditionnement. Ce soin apporté à l’approvisionnement découle d’un double impératif environnemental et de qualité car un fossé existe entre les produits issus d’une agriculture respectueuse de la nature et les autres. L’écologie se retrouve aussi dans toutes nos activités à travers des pratiques de lutte contre le gaspillage et de gestion raisonnée des ressources en eau et en énergie. Notre objectif : innover toujours plus en faveur de l’environnement, en espérant que l’avenir qui nous attend soit plus vert !» ❚

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Tatiana et Katia Levha sont les deux sœurs franco-philippines à la tête des restaurants Le Servan et Double Dragon. Elles y proposent leur vision du bistrot français modernisé, mêlant tradition et influences asiatiques.

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Nos expériences au sein des cuisines de palaces nous ont fait prendre conscience de l’ampleur et de l’absurdité du gaspillage alimentaire.


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L’ABEILLE SENTINELLE DE L’ENVIRONNEMENT

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Le développement durable est devenu au sein de Guerlain un sujet partagé par tous : stratégique, inspirant et structurant. Il est aussi une source de sens et de fierté. Récemment nommée directrice développement durable, Cécile Lochard trace pour G.I.V.E. les grands piliers de la transition écologique et explique le projet star de la maison : la préservation des abeilles.

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uelle est la vision du développement durable chez Guerlain ?

dans le Var, à l’Observatoire français d’apidologie (OFA) fondé par Thierry Dufresne en 2013 et partenaire de Guerlain depuis 2015. Il y a en effet encore trop peu d’apiculteurs spécialisés et il devient urgent d’en former. Ces nouvelles apicultrices repartent de Provence avec l’accompagnement et le matériel nécessaire. Guerlain leur fournit également les essaims d’abeilles locales.

Sans réinventer la définition du développement durable, il s’agit plutôt de repenser les codes du luxe. Pour reprendre les mots de notre CEO, Véronique Courtois : «Plus que jamais, le futur de Guerlain s’écrira en conjuguant luxe et développement durable.» Réinventer les codes, c’est les faire rimer avec la durabilité. À titre d’illustration, le sujet de l’éco-conception est structurant puisque les écrins font partie intégrante de l’expérience «luxe». Lourds, imposants, nichés dans plusieurs boîtes. Aujourd’hui, chez Guerlain, nous cherchons à réinventer ces fondamentaux tout en restant fidèles à nos valeurs et sans compromettre la valeur perçue et l’esthétisme. Nos packagings, plus légers et moins volumineux, sont à la fois beaux, mais aussi durables (économie des ressources et réutilisation). Globalement, le secteur du luxe agit pour plus de durabilité depuis très longtemps, mais sans communiquer sa contribution. Nous devons désormais aller plus vite, plus loin et surtout, le faire savoir. Le développement durable invite le luxe à vivre avec son temps.

«  Les abeilles sont les premiers pollinisateurs… et les premiers parfumeurs ! » Et au niveau local ?

En 2018, nous avons ouvert la «Bee School», un programme de sensibilisation des enfants à la préservation des abeilles qui s’inscrit dans le cadre de l’engagement durable de la maison. Les équipes Guerlain du monde entier peuvent ainsi devenir ambassadrices des abeilles et de la biodiversité et se rendre dans des écoles primaires. À travers leur message, les enfants peuvent découvrir le rôle des abeilles, être sensibilisés à leur protection et mieux comprendre les enjeux de la biodiversité et du climat. (*l’ONU a élu le 20 mai – depuis 2018 – «journée internationale de l’abeille»)

Comment appréhendez-vous la nature ?

Depuis notre création en 1828, la nature nous inspire. Elle est au cœur de la raison d’être de Guerlain. On lui doit tant. Car sans biodiversité, pas de luxe. Sa protection apparaît donc comme une évidence pour notre maison dont l’activité repose sur les matières premières naturelles. Depuis plus de treize ans, nous avons placé sa conservation au cœur de nos actions. En France, en Europe ou aux confins du monde, Guerlain s’associe à des organisations et des acteurs locaux pour mettre en place des programmes et des filières durables pour nos approvisionnements essentiels, à l’instar du miel, de l’orchidée et de nos plantes à parfum.

Pourquoi avez-vous choisi de mettre une grande partie de votre énergie au service de la préservation des abeilles ?

P HOTO © G UE RLA IN

Quels sont donc vos piliers ? La biodiversité, l’innovation durable (éco-design, éco-formule et transparence), le climat et la contribution sociétale de la maison. Guerlain est très impliqué dans la préservation de la biodiversité, quels sont vos axes d’engagement ?

Au départ, l’abeille était une inspiration artistique notamment pour les flacons «Abeilles» imaginés en 1853 pour la Princesse Eugénie. Depuis, en plus d’être notre emblème, l’abeille est une source d’actifs précieux pour Guerlain. Nous utilisons notamment le miel d’Ouessant dans notre gamme Abeille Royale. Sans oublier le parfum ! Les abeilles sont les premiers pollinisateurs… et les premiers parfumeurs ! Sans elles, plus de fleurs et donc, plus de parfum sans même parler de la sécurité alimentaire qui nous concerne tous.

Nous avons notamment à cœur de protéger l’un des plus précieux trésors de notre planète, également symbole de notre maison depuis 1853 : l’abeille, sentinelle de l’environnement et première pollinisatrice. Un engagement qui n’a de sens qu’à la lumière des actions entreprises et des grands partenariats que nous dédions à sa préservation. Nous venons donc d’initier un partenariat avec l’Unesco-MaB (Man & Biosphere) pour financer la formation d’apicultrices dans les zones de biosphères et accompagner l’installation de leurs exploitations apicoles. Ce cursus se fait en France,

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Quelle est votre vision du luxe aujourd’hui ?

Celle d’un luxe plus transparent, sur ses filières comme sur ses ingrédients. Un luxe qui soigne et cultive les trésors de la nature tout en faisant travailler la main de l’homme, qui les façonne. Un luxe qui vit avec son temps et affirme sa contribution positive. ❚

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« Notre planète a 4,5 milliards d’années. C’est autant d’années de Recherche & Développement pour la nature qui a su, non seulement tout comprendre, mais aussi tout inventer. »

THIERRY DUFRESNE,

Fondateur de l’Observatoire français d’apidologie Comment est né l’Observatoire français d’apidologie ?

neurs de la naturalité). Un technicien de l’apiculture formé aux techniques de sélection, d’élevage et de production, sera également formé aux techniques marketing, commerciales et comptables afin d’être apte à créer et gérer son entreprise.

Depuis près de 20 ans, les apiculteurs alertent sur le déclin des abeilles qui sont à l’origine de près de 80 % de la pollinisation. Cette situation m’a fait prendre conscience que la sécurité alimentaire allait être impactée par le déficit d’insectes pollinisateurs. En 2014 à l’aube de ma retraite et après une carrière de dirigeant dans des grands groupes, j’ai souhaité consacrer mon temps, mon énergie et mes compétences, à œuvrer en faveur d’un sujet touchant l’intérêt général.

Vous étudiez également les bienfaits des produits de la ruche sur la santé humaine. En quoi consiste actuellement vos travaux ?

L’abeille est une sentinelle de la santé humaine. L’OFA conduit des travaux de recherche sur les bienfaits des produits de la ruche sur la santé humaine et intervient actuellement sur la problématique de la lutte contre l’antibio-résistance avec un programme de recherche en partenariat avec la Faculté de pharmacie de Marseille. Nous étudions l’impact de la propolis sur l’antibio-résistance.

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Comment appréhendez-vous la notion de sauvegarde des abeilles et de l’environnement ?

D’un point de vue économique, l’apiculture doit se développer et se professionnaliser par exemple avec le respect de l’étiquetage qui permettra aux apiculteurs rigoureux de valoriser leur production. Il faut également développer les structures de formation professionnelle afin de transmettre les connaissances et les techniques apicoles. Ces impératifs économiques doivent respecter les exigences écologiques afin qu’un effondrement de 30 % des colonies d’abeilles puisse susciter autant de préoccupations que celles provoquées par un effondrement de 30 % des indices boursiers.

Notre époque nous pousse à enfin avoir une conversation avec la nature, que nous dit-elle aujourd’hui et comment l’écouter ? Je pense que c’est maintenant, plus que jamais, le moment d’avoir une conversation avec la nature. La nature c’est une immense bibliothèque avec des milliers de livres qui nous donnent la plupart des enseignements dont nous avons besoin. Mais trop souvent nous ne sommes pas capables de les lire. Les solutions sont pourtant là, autour de nous. Notre planète a 4,5 milliards d’années. C’est autant d’années de Recherche & Développement pour la nature qui a su, non seulement tout comprendre, mais aussi tout inventer. ❚

Vous attachez beaucoup d’importance à la formation. En quoi cela consiste ?

Nous avons décidé de créer la BeeAcademy en partenariat avec l’Isema (l’École supérieure de commerce des entrepre-

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PROPOS RECUEILLIS PAR

SARAH H E RZ

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Cofondateur des hôtels Mama Shelter aux côtés de Serge Trigano et de Philippe Starck, philosophe des nouvelles urbanités et talmudiste high-tech, Cyril Aouizerate a toujours un temps d’avance pour penser notre rapport à l’espace. L’avenir est peut-être autour de nous, dans les périphéries, qui ont inspiré son concept de MOB. Un projet d’odyssée urbaine pour vivre mieux. Ensemble.

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problématiques écologiques. L’écologie, c’est prendre le pouls réel du problème – qui est vaste et très anxiogène – et essayer de le transcender par une certaine forme de poésie, de lier l’art et l’agriculture. Je suis pour une vision poétique du combat écologique.

N’est-ce pas une bonne nouvelle que de présumer que l’économie va être repensée au prisme d’une réconciliation entre les ressources naturelles et la production ?

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Il y a presque une révolution qui est en train de se mettre en place sur les questions de la mobilité et de l’habitat. Néanmoins, je pense que nous ne prenons pas ces sujets à brasle-corps, notamment dans les métropoles, car il y a un discours très politiquement correct. Par exemple, cela fait des années que je dis qu’il faut «enlaidir» Paris, qu’il faut sortir du spectre de la préservation du patrimoine. J’aimerais que l’on donne une liberté aux jeunes architectes afin qu’ils puissent créer de la densité sur les toits parisiens, un ou deux étages supplémentaires grâce à des structures très légères. Il y a un vrai sujet autour de l’espace public et de la liberté dans les villes. Au regard des enjeux que nous avons, perdre un mètre carré de vue d’un toit en zinc du XVIe ou du XVIIe siècle, ne me paraît pas fondamental. S’il faut annexer une partie du domaine public afin de créer des petites maisons pour des personnes ayant des difficultés, il faut le faire et tant pis si ce n’est pas esthétiquement transcendant. Je pense qu’il y a beaucoup de champs de liberté à créer pour essayer de résoudre les problématiques de logement. Nous avons besoin d’innovation humaine et humaniste.

écologie est-elle, pour vous, un humanisme ?

Il faut reconstruire le lien qu’avait l’écologie avec un certain humanisme. Aujourd’hui, avec l’influence des réseaux sociaux, de certains médias ou de certaines organisations, on dilue la puissance de ce que peut incarner l’écologie sociale. C’est pour moi le dépassement de l’analyse rationnelle du réchauffement climatique par ce que j’appelle «la philosophie du panache» ; une sorte d’optimisme qui est l’allié de l’humanisme. Il faut sortir du discours «tous coupables». Nous sommes des hommes et des femmes, plein de contradictions, et n’avons pas nécessairement de culpabilité intrinsèque. La seule chose qu’il nous reste c’est notre panache.

En quoi l’écologie sociale est-elle au cœur de vos projets ?

Quand je développe un projet, j’essaye toujours de développer un territoire. Je me demande comment nous pouvons créer, dans une ville, qui n’est pas forcément perçue comme «touristique» un nouveau territoire. Quand je décide d’aller à SaintOuen, ce n’est pas anodin. Ensuite, il y a cette idée très forte – chez MOB – de rendre nos parties extérieures, qui sont des lieux privés au sens légal du terme, publiques. À Saint-Ouen, nous allons avoir quasiment quarante potagers ouvriers dans notre hôtel, c’est un moyen d’échapper à la notion de propriété individuelle et de dire «ma terre, c’est la vôtre». Permettre à quarante familles urbaines qui vivent dans des appartements, sans terrasse, d’avoir leur potager. Ça ne va pas sauver la planète mais ce sont des actions symboliques qui leur permettent de découvrir la permaculture et ses difficultés. Nous sommes aussi en train de mettre en place, avec nos voisins, un compost collectif qui leur permettrait d’entretenir leur jardin, qu’ils aient un potager chez nous ou non. Nous essayons de favoriser la mixité sociale en proposant des prix qui ne soient pas élitistes et de créer un mélange d’agri-culturel et d’engagement.

Pouvez-vous préciser ce que signifie pour vous «la philosophie du panache» ?

La philosophie du panache, pour moi, c’est mettre de la beauté au cœur de notre expérience de vie. Par exemple, je dis souvent que nous devrions payer un petit impôt pour regarder les paysages. Le travail que font les paysans est colossal et nous en bénéficions gracieusement en roulant, en nous baladant à pied ou à vélo. Ils créent quelque chose d’indéfinissable et nous offrent beaucoup d’émotions. Je parle d’ailleurs plus de paysages que de biodiversité, car je lutte contre le trop-plein du scientisme dans les questions écologiques. Cela ne signifie pas que nous n’avons pas besoin de la science mais l’homme est, par essence, complexe et si nous ne parlons pas à l’âme, il n’y a aucune raison d’espérer un changement effectif sur les

Quelles sont les villes qui nourrissent votre créativité ?

Il y a une ville qui m’a beaucoup inspiré très jeune, c’était le New York des années 80. Mais, aujourd’hui, c’est une des villes

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les plus ennuyantes qui soit. J’ai vécu pas mal de temps à Tel-Aviv et là-bas il y a quelque chose autour de l’optimisme, une sorte de liberté créative ancrée dans un univers un peu compliqué. J’ai trouvé des artistes et des créateurs qui font des choses incroyables avec trois fois rien. J’essaye aussi d’avoir des lieux où je n’ai pas de projets pour en profiter pleinement. Je me rends souvent dans le Sud-Ouest et les Hautes-Pyrénées. Je vais beaucoup dans un gîte tenu par un couple et finalement, j’y vais presque pour eux. J’ai un rapport au voyage assez simple, qui passe par l’humain et la cuisine.

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez en ce moment ?

Il y a le MOB House que nous allons ouvrir en mars prochain, toujours à Saint-Ouen, dans le quartier général. Ensuite, nous avons un projet à Bordeaux, dans une ancienne halle à grains, au sein d’un quartier qui s’appelle Brazza. Nous avons toujours nos projets aux États-Unis, à Washington et à Los Angeles, qui sont pour le moment évidemment à l’arrêt. Dès que je pourrai y retourner, nous allons avancer sur celui de Dakar qui est vraiment une ville dans laquelle il se passe quelque chose d’énergisant autour d’une nouvelle génération de créateurs et de créatrices, au sens large, dans la mode, l’électronique, le commerce…

L’éco-concept du MOB est-il toujours lié à l’urbanité ? Ou vous imaginez un jour faire un MOB hors de la ville ?

Nous travaillons depuis deux ans sur ce sujet, sur l’aménagement d’un domaine de 30 hectares dont une partie sera dédiée à une école de tourisme raisonnée, d’écologie sociale, que l’on souhaite créer depuis longtemps. Nous voulons former la génération de demain aux problématiques du bio dans un lieu à l’extérieur de Paris. La question de la redynamisation des territoires et des zones périphériques est importante. Nous avons tendance à dire qu’il n’y a plus d’espoir dans les zones périphériques, moi je pense exactement le contraire. Vis-à-vis du climat, il va y avoir une redistribution des cartes et des valeurs immobilières dans les dix à vingt prochaines années. Je ne suis pas sûr qu’être propriétaire d’un appartement d’une ville où il fera 60 degrés l’été sera très rentable. Il y aura de plus en plus d’intérêt pour les villes en altitude ou plus proches de la nature. Les zones périphériques peuvent tirer leur épingle du jeu pour devenir des nouveaux lieux de vie. ❚

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À l’heure de la prise de conscience écologique et du chômage de masse, la relocalisation des activités apparaît plus que jamais comme un impératif. C’est le défi du label Low Impact, cofondé par Carol Girod et Christophe Lépine : devenir le premier producteur de T-shirts européen sociable et durable.

GÉNÉROSITÉ Low Impact a pour but premier d’apprendre un métier aux jeunes en réinsertion afin de pallier le manque de maind’œuvre compétente dans l’industrie du textile. En plus de redonner une chance à tous par la création d’emplois, notre volonté est d’encourager les échanges intergénérationnels entre des couturières chevronnées et la nouvelle génération. Aller dans l’atelier d’insertion à Roubaix, c’est voir le monde dans toute sa générosité. Toutes les nationalités y sont représentées. Aujourd’hui 65 ateliers ont vu le jour au sein de l’Economie Sociale et Solidaire.

INNOVATION Produire des T-shirts dans une logique économique sociale et solidaire est une innovation. On a fait le choix du temps long au détriment de la productivité. C’est pourquoi notre coton, issu d’une coopérative grecque, est acheminé par voie ferroviaire et les T-shirts ne parcourent pas plus de 5 000 km. La recherche de fibres peu consommatrices d’eau comme le chanvre est un challenge quotidien. Surtout, nous avons la certitude que l’avenir du textile passe par la robotisation. Il faut innover dans les outils industriels et former les jeunes à ces nouveaux usages, pour qu’un jour ils puissent - peut-être - eux-mêmes créer leur propre marque de mode.

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VALEURS Le sens du partage et la transparence sont les valeurs fondamentales de Low Impact. Nous avons à cœur de communiquer tous les noms de nos fournisseurs, une pratique peu courante dans cette industrie, afin de tous avancer dans le même sens. Partager ses informations et ses apprentissages conduit à réduire collectivement notre impact. Dès le printemps, une application permettra, par le biais d’un QR code sur le packaging des T-shirts, de connaître le nombre exact de kilomètres parcourus, d’en apprendre plus sur les matières premières utilisées et de savoir qui a participé à leur confection.

ÉMOTION Au mois de mars, le projet Résilience naissait, 2500 hommes et femmes se déconfinaient pour produire 20 millions de masques. La confection de T-shirts Low Impact est la continuité de cette aventure liée à la crise sanitaire. Notre responsabilité est immense et notre émotion quotidienne car les personnes qui travaillent dans ces ateliers ont tous une histoire de vie très lourde. La réalité du travail social et solidaire n’est pas facile. Nous avons fait naître de l’espoir chez ces gens et nous ne pouvons pas les décevoir.

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PROPOS RECUEILLIS PAR

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Après avoir fait partie des dix derniers finalistes de l’Andam pour l’accessoire (prix pour la jeune création) et collaboré avec Pamela Anderson pour une collection vegan, Amélie Pichard poursuit son chemin d’outsider en essayant de mettre ses convictions écologiques en phase avec son approche du business. Un challenge qu’elle semble aborder avec sérénité pour la première fois en dix années de création. Un comble dans une ère post-Covid.

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ment d’un mois sur l’autre. Mais je crois qu’ils aiment bien que je m’accroche, et puis, ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas vraiment m’aider. Mon produit est trop particulier.

ous célébrez vos dix années d’existence l’année prochaine. Depuis, les collections ainsi que les rythmes de production se sont multipliés. En quoi cette évolution vous a affectée ?

Un choix cornélien. Finalement, quelle expérience tirez-vous de cette collaboration ?

En presque dix ans, mon métier a beaucoup changé. À l’origine, je participais à la fashion week sans me poser de question. Puis, je me suis progressivement rendu compte de l’étrangeté de tout ce système. Je n’arrivais plus à fournir des nouveautés quasiment tout le temps, comme la semaine de la mode l’exigeait, ni à renouveler perpétuellement mon magasin, alors que les clientes souhaitaient toujours les mêmes produits de ma part. En réalité, mes produits correspondent peu à un achat coup de cœur, certaines de mes clientes peuvent attendre trois ans avant de s’offrir le sac de leurs rêves. D’ailleurs, je ne me considère pas vraiment comme une marque de mode. Non seulement je ne veux plus être dans le système de production et de vente traditionnel, mais je ne veux pas non plus entrer dans le système des influenceurs, des stars, que mon produit soit partout et qu’ensuite les gens s’en lassent. Je trouve ça dangereux.

Je veux que les choses soient le mieux produites possibles avec les moyens du bord. Il n’y a rien de parfait, le vrai parfait serait de ne pas produire. Pourtant, si une marque sincère comme la mienne s’arrête, les mentalités ont peu de chances de changer. J’ai un autre sujet en tête aujourd’hui : à quel point une entreprise doit-elle grandir ?

Ce sont des thèmes importants, pourtant quand on regarde votre communication et vos réseaux sociaux, le ton est plutôt léger…

Rien n’est drôle dans mon métier, et pourtant je pars du principe qu’il faut de l’humour parce que sinon la vie est triste et dure. Je pense que l’épidémie de Covid et le confinement ont aidé à se poser des questions sur le fait de prendre le temps et de profiter de la vie. J’ai l’impression que les mentalités ont évolué de 3-4 ans en 2 mois. Parce que la question de fond c’est, pourquoi faut-il passer sa vie à être rentable ? Il existe toujours certaines marques avec une rentabilité énorme et zéro écoresponsabilité, qui pourtant soutiennent Greta Thunberg. Les gens ont vraiment une pensée bipolaire, il suffit de feuilleter le magazine «Forbes» pour s’en rendre compte. La richesse attire mais en même temps on sait que si on s’enrichit c’est au détriment de quelqu’un ou de quelque chose. Du coup j’ai décidé de ne pas vouloir grandir tant que je n’ai pas remis les choses à l’endroit : je sors mes manifestos, des petits textes rappelant mes valeurs et invitant à réfléchir sur certaines thématiques, et une ligne de petits sacs dans des nouveaux matériaux comme du cuir de feuille.

Cela a dû être dur de sortir du système classique, non ?

Oui d’autant qu’au moment où je l’ai fait, je venais de faire entrer des investisseurs dans mon capital. J’étais dans une démarche de rentabilité. Il fallait que l’argent entre, au moins pour payer les salaires. Je ne regardais plus que ça le matin. C’était devenu tout sauf drôle. Pour autant, je ne voulais pas entrer dans ce système de pensée commercialisée alors j’ai dû résister. J’ai dû faire comprendre à des diplômés d’école de commerce qui expliquent en deux slides Powerpoint là où doit aller ma marque que, justement, je ne voulais pas lisser ma marque. Un produit, comme un être humain, ne peut pas plaire à tout le monde.

Vous avez plus de 70 000 abonnés sur les réseaux sociaux. Vous avez de vrais fans…

Et vos investisseurs ont compris ?

Il y a eu des moments où c’était compliqué. Parfois, je me suis dit que ça devait les faire marrer de voir que ça n’évoluait pas vrai-

Honnêtement, je suis contente d’avoir des fans, ce sont eux qui me donnent la foi pour continuer. Quand je me sens mal, je

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Justement comment définiriez-vous votre marque ou votre produit aujourd’hui ? Cette marque c’est moi, elle évolue. Après ma collaboration avec Pamela Anderson, les gens pensaient que ma marque était vegan, alors que non, pas seulement. Comme au resto, je propose un plat sans viande et un autre avec viande. Pourquoi une marque devrait dicter les choses ? Une marque n’a pas à dire comment faire, ce qu’il convient d’acheter ou non. Je ne veux pas me poser en donneuse de leçons, je propose du cuir végétal et du cuir vegan. Le cuir vegan, c’est le pinatex, du cuir élaboré à partir de peau d’ananas. Le cuir végétal a été tanné végétalement, sans chrome. Chaque choix soulève une nouvelle question, le cuir vegan n’échappe pas à ça. Quand j’ai fait cette collection, j’ai compris que faire le choix du vegan n’était pas faire un choix écologique. En 2014 [date de sortie de cette collection ndlr], je ne pouvais pas avoir un matériau à la fois bon pour la planète et bon pour les animaux.


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relis des messages d’amour et de soutien. Mais je garde aussi les messages «lol», ça me donne une vision de la société aujourd’hui. D’ailleurs, à ce sujet, je trouve ça vraiment difficile que le client soit roi. C’est vrai qu’il a été mal éduqué : on lui a vendu des produits de mauvaise qualité, du coup dès qu’il y a quelque chose qui ne lui convient pas, il est super agressif. Au point qu’on a des clientes qui ne tolèrent pas l’usure naturelle d’un produit. C’est comme si elles ne supportaient plus l’imperfection. Pourtant, quoi de plus agréable qu’un produit qu’on use jusqu’au bout. Il prend des rides, il se patine. Heureusement, on a aussi des fanatiques qui nous racontent qu’elles dorment avec le modèle de sac qu’elles viennent d’acheter.

Qu’évoquez-vous dans ces petits manifestes ?

Il y a des réponses. Par exemple, le prix juste. Je raconte qu’on a baissé les prix en 2018 quand on est sorti du système de vente classique en multimarques pour vendre uniquement sur notre site. À l’époque, je ne pouvais pas m’offrir mes propres produits. J’explique également qu’on n’a pas de surstock, on n’a pas de saisonnalité. Il existe aussi un site de petites annonces, c’est une plateforme de seconde main pour que les clientes puissent trouver le produit qui les intéresse en s’adressant à la communauté de clientes.

L’épidémie de Covid et surtout le confinement ontils eu un impact sur votre fonctionnement ?

Hormis le lancement de nouveaux modèles qu’on a décidé de reporter d’une saison, ça ne m’a pas tant impactée. La société tourne bien comme si on était dix, alors qu’on est que trois. J’ai déjà entamé cette démarche de rationaliser l’entreprise, je veux toujours pousser le système.

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Et à titre plus personnel, comment voyez-vous l’avenir ?

Je sais que je veux des enfants, mais je ne veux pas les avoir à Paris. Je réfléchis à comment vivre différemment. Aujourd’hui, je fais des sacs et des chaussures, mais peut-être qu’un jour je ferai une maison autonome. Après tout, j’ai déjà fait de la confiture, et j’adorerais vendre de la vaisselle. Je ne veux pas forcer les choses, mais on ne va pas se mentir, je ne vois pas comment quelqu’un qui a des convictions peut aussi avoir des objectifs financiers. Mais je me dis qu’à force d’être droite dans mes bottes, je vais finir par être au bon endroit au bon moment. ❚

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CHARLES LE HYARIC La Nébuleuse, 2019 Structure en bois, grillage et filasse «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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irection Saint-Denis et Zone Sensible, un lieu créé en 2017 par l’artiste plasticien ­Olivier Darné dans la dernière ferme maraîchère du XIXe siècle encore en activité aux portes de P ­ aris. À cinq cents mètres du métro Saint-Denis Université, au milieu des barres d’immeubles où vivent des familles aux mille et une nationalités, on découvre un jardin d’Éden. Sur un hectare et demi, se mêlent ruches, plantations de légumes, de fruits et fleurs. La ferme, ouverte tous les samedis au public, est aussi un lieu d’échanges et de discussion où sont orga-

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nisés conférences et événements culturels. Le jour de notre visite, c’est la géographe et chercheuse au CNRS, Nathalie Blanc, qui est à l’honneur, et présente le fruit de son travail sur les liens entre alimentation et territoire. Découvrir Zone Sensible c’est également la possibilité de rencontrer Olivier Darné. Il est l’âme du lieu. Passionné par la nature et les abeilles, il questionne et bouscule depuis vingt-cinq ans les espaces urbains publics, notamment en y implantant des ruches. Avec Zone Sensible, il cherche à décloisonner les questions, les pratiques, les publics et même les écoutes. Il s’agit pour lui de relier les mondes de l’agriculture, de l’art contemporain et de l’expertise scientifique autour du triptyque, nature, culture, nourriture.

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Comment décloisonner les mondes et les univers à travers ce lieu ?

Sur ce sujet, nous sommes au début de quelque chose. La ferme Zone Sensible est un lieu d’histoire car, quand nous avons gagné l’appel à projets en 2017, il s’agissait de la dernière ferme maraîchère encore en activité aux portes de Paris. Nous voulions donc préserver ce lieu de patrimoine mais aussi lui donner une nouvelle destination afin de voir comment il pouvait être un lieu d’hospitalité pour la nature et les humains. C’est pourquoi nous avons décidé de faire de ce lieu un espace public, ouvert à tous chaque samedi, du printemps à l’hiver. Nous avons décidé d’en faire un lieu gratuit pour assurer la plus grande diversité des publics possibles. Notre entreprise de décloisonnement commence à fonctionner. Cela a pris du temps mais les voisins ont compris qu’il s’agissait d’un lieu accessible à tous. Nous avons signé un bail de 25 ans avec la ville, c’est un projet sur le temps long.

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Quels sont vos futurs projets pour Zone Sensible ?

Le fait que nous travaillions sur le temps long nous permet d’envisager Zone Sensible non pas comme un lieu fini mais en perpétuelle évolution. Aujourd’hui, on se rend compte des inégalités en matière d’alimentation, la malbouffe touche particulièrement les plus précaires, posant de réels problèmes de santé publique. Or, il y a une contradiction manifeste à cela car bien souvent c’est moins cher de cuisiner avec des produits frais que d’acheter des produits industrialisés. Il y a donc un vrai travail à mener à ce sujet. J’ai interpellé Alain Ducasse sur le fait que nous ayons le sentiment que la haute gastronomie ne puisse pas franchir le périphérique. Il n’y a pratiquement pas de restaurant étoilé en banlieue alors que c’est un territoire d’inventions culinaires. C’est comme cela qu’est né notre projet de créer une académie de cuisine s’articulant autour du fameux triptyque nature, culture, nourriture. Aujourd’hui, il a muté car nous nous sommes rendu compte que ce n’était pas pertinent d’enfermer tout cela dans la cuisine, alors qu’il faut la décloisonner. Aussi, nous voulons créer une académie du vivant, baptisée «Mieux», qui est le pluriel de miel. Nous allons certes travailler autour de la cuisine dans ce lieu mais pas seulement car nous souhaitons créer un campus de formation autour des métiers liés au vivant (connaissance des sols et des ressources, apiculture, maraîchage, permaculture), une épicerie sociale et solidaire, ainsi qu’un espace d’exposition et de programmation. ❚

ouvez-vous nous expliquer comment est né et en quoi consiste le projet Zone Sensible ?

Zone Sensible part d’un constat relativement simple : cela fait quarante ans que l’on dispose d’expertises convergentes qui rendent compte de la pression dramatique qu’exerce l’homme sur son environnement immédiat et au sens large. Les diagnostics sont faits et sont tous alarmants. Il faut passer à l’action. Je vois donc Zone Sensible comme un passage à l’acte et une capacité à travailler grandeur nature, sans forcément se réfugier dans une campagne éloignée de la densité urbaine. Il s’agit de montrer qu’en ville aussi, nous pouvons créer de véritables territoires nourriciers et de nouveaux paysages. Toutefois, Zone Sensible n’a pas vocation à être seulement une ferme de production de nourriture. L’objectif est aussi que la ferme devienne l’espace politique des temps futurs. Nous cherchons à montrer qu’il y a des alternatives à notre modèle de production, portées par des faiseurs, des intellectuels, des artistes.

Pourquoi avoir choisi Saint-Denis ?

Saint-Denis est le territoire où je vis, je dors, je mange et je travaille. C’est une ville que j’aime beaucoup par sa réalité contrastée. Il s’agit d’un territoire amplifié en solutions et en difficultés. On a tendance à stigmatiser les difficultés d’un espace comme celui-là mais je considère sa diversité sociale et culturelle comme une chance. Ce sont les 136 nationalités qui cohabitent à Saint-Denis qui permettent le brassage, l’invention de langages, la mise en place de solutions, de schémas de solidarité et de survie face aux difficultés quotidiennes.

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Après avoir été PDG d’André de 2005 à 2013, François Feijoo rachète la société au mois d’août 2020 avec l’envie de propulser «le chausseur sachant chausser» dans une nouvelle ère plus généreuse et responsable. Rencontre avec cet éternel optimiste qui prône l’intelligence collective.

GÉNÉROSITÉ André est une marque patrimoniale qui a vécu avec les Français depuis 1900. Le f­ ameux slogan d’André «le chausseur sachant chausser» date de 1932 et n’a pourtant pas pris une ride. Une marque comme André, avec une forte notoriété et un grand réseau de magasins, se doit d’aider les jeunes créateurs français en leur offrant une vitrine. La générosité, c’est aider les nouvelles générations. Nous avons donc l’ambition de multiplier les collaborations locales. La générosité a de nombreuses vertus : elle fait du bien aux autres et à soi-même. Nous vivons dans un monde qui est dans l’opposition permanente : les grands groupes contre les start-up, le global contre le local… Tout le monde gagnerait à avancer ensemble, l’opposition n’est ni positive, ni vertueuse.

INNOVATION J’ai toujours prôné l’innovation afin d’être acteur du monde de demain. Je crois en l’innovation dans le management en donnant plus de latitude aux responsables de boutiques et aux équipes du siège. Nous devons aussi faire évoluer André vers une démarche plus écoresponsable. Pour cela, l’association Génération responsable nous accompagne sur des chantiers RSE. Le sourcing des produits ne se fait quasiment qu’en Europe pour améliorer notre empreinte carbone. Par exemple, nous allons collaborer avec le label «Le cuir est dans le pré» fondé par Auriane de Saint Albin qui crée des cuirs à partir de vaches bien élevées, dont le bien-être est respecté.

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VALEURS Le travail en équipe est fondamental pour faire son métier de chausseur en respectant la qualité du produit et les personnes qui l’achètent. Retrouver le goût des choses bien faites même pour une marque à prix accessible, c’est essentiel. Tout comme le respect des matières, des formes et de la qualité des produits. Il y a aussi la transmission qui me tient à cœur car elle a tendance à disparaître. Pour cela, j’aimerais mettre en place des formations de chausseur car c’est un métier complexe qui se perd.

ÉMOTIONS Il faut une bonne dose de passion et d’optimisme pour se lancer dans cette aventure. Reprendre une société avec 220 salariés et 70 magasins, surtout en période de crise sanitaire, est une vraie école de la pugnacité et de la persévérance. Toutes nos décisions sont conduites par nos émotions, beaucoup plus que par la raison, j’ai pu m’en apercevoir avec des études faites par la société Datakalab qui mesure les émotions. Nous avons pu constater que lorsque vous avez une émotion positive dans une boutique, c’est qu’il y a eu une interaction avec une personne. La relation entre un client et un vendeur est une expérience à double sens : le client et le vendeur prennent du plaisir. La dimension humaine est fondamentale dans le commerce. Le digital doit accompagner cette relation mais ne pas la supplanter.

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BIENVENUE À LA LAITERIE DU BERGER, LA PÉPITE SÉNÉGALAISE

QUI A SÉDUIT DANONE PROPOS RECUEILLIS PAR

SARAH H E RZ

Bagoré Bathily a le charisme d’un footballeur et la sagesse d’un philosophe. Il aurait pu avoir mille autres vies que la sienne, après ses études de médecine en Belgique. Mais ce Franco-sénégalais a voulu créer un cadre pour relier les éleveurs de lait (surtout des femmes) de Richard Toll, au nord du ­Sénégal avec la population locale qui consommait essentiellement du lait importé. La Laiterie du Berger est devenue un laboratoire. Et l’incroyable success story d’un entrepreneur «à mission».

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agoré Bathily, vous décrivez La Laiterie du Berger comme une sorte de conte de fées

de liens entre tous les acteurs de la filière. Quinze ans après sa création, La Laiterie du Berger est passée de 400 000 euros à 15 millions de chiffre d’affaires. Elle emploie 450 personnes et fait vivre 1 200 éleveurs (dont trois quarts de femmes).

Il était une fois la rencontre de deux mondes : l’Afrique et le monde mondialisé. J’ai eu la chance de faire des études. J’ai passé mon Bac à Dakar puis j’ai fait mes études de médecine en Belgique. Malgré une spécialisation en production animale, j’ai eu du mal à trouver l’emploi que je souhaitais. J’ai alors rejoint une ONG, en Mauritanie auprès de communautés d’éleveurs. Les conditions étaient insalubres : je passais une nuit sur deux dans la brousse avec des éleveurs qui gagnaient moins d’un euro par jour. Mais ces gens avaient un rapport incroyable aux animaux, un rapport plein d’émotions. Je suis métis, franco-sénégalais, donc j’étais à l’aise entre deux cultures. Je me suis demandé ce que je pouvais faire en tant que vétérinaire. Je voulais des rapports sains et alignés avec les intérêts des éleveurs. Je me suis dit qu’il fallait faire une laiterie. Au Sénégal, la moitié de la population travaille dans l’agriculture, un quart est éleveur, et pourtant quand j’ai créé La Laiterie du Berger, en 2006, 90 % du lait consommé était du lait en poudre importé.

De quoi êtes-vous le plus fier ?

De mes deux filles. Et sur le plan professionnel, l’équipe de la Laiterie m’impressionne énormément. Il y a des formes d’exploits au quotidien. Notamment chez les vendeurs. Notre culture des ventes ressemble à l’esprit de nos villes qui vont à 200 à l’heure. Nos forces de vente, c’est un truc de fou. D’un côté, on a développé des applis ultra-pointues (que n’utilisent pas forcément encore les usines occidentales) pour faire le suivi et l’analyse des ventes et de l’autre, nos vendeurs – vêtus de leur maillot de foot vert – se réunissent le matin autour d’un bakh, la danse des lutteurs sénégalais. Cette alliance de technologie, de tradition et de créativité est unique. Et puis, je suis fier aussi d’avoir engagé essentiellement des équipes locales. Toute l’équipe de direction est d’ici, à part la DRH. Du rêve, de l’engagement, de la rigueur et un brin de folie, voilà ce qui rassemble les employés de La Laiterie du Berger et ça me rend superfier.

Qu’est-ce qu’une entreprise sociale pour vous ?

Tout comme la crise que nous traversons, la crise de 2008 a été un choc qui a fait réfléchir plein de gens. La Laiterie a été un laboratoire qui a permis de repenser la façon de faire des affaires et de développer une entreprise. Il y a plein de parties prenantes dans ce projet. On a voulu développer une filière, un réseau d’échanges entre les éleveurs et les cultivateurs, pour que les bêtes puissent être nourries localement, en minimisant les déchets et sans endommager la terre. Cette vision territoriale dépasse largement la laiterie. Comme souvent en Afrique, l’entreprise a aussi comme objectif de résoudre un problème social.

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Pouvez-vous résumer cette success story ?

Il a fallu apprendre vite les basiques du métier d’entrepreneur. C’est une question vitale. On a dû, avec l’aide de ma famille, faire un business plan, pour me convaincre – moi d’abord – d’arrêter de chercher du travail et autour de moi pour lever des fonds. L’accès au financement est un défi énorme pour les entrepreneurs africains. On a mis deux ans pour formaliser le projet. J’étais alors marié, ma femme travaillait, je devais aller vite. Les défis étaient infinis : produire des produits de qualité, assurer la rentabilité. Les quatre premières années ont été un enfer. En même temps, j’ai rencontré beaucoup de fées qui se sont penchées sur le berceau, pour reprendre une image de chez vous. Danone d’abord, dont le président du fonds qui a soutenu La Laiterie du Berger, était proche. Danone n’était alors pas du tout dans la géographie africaine. Et le contexte est celui d’une gigantesque crise économique en 2008. Au Sénégal, et comme dans beaucoup de pays africains, la crise était alimentaire, même humanitaire. Danone a cru dans le projet malgré tout. On n’était pas du tout rentables mais on avait le bon modèle. On apportait de la sécurité alimentaire dans le temps long. Emmanuel Faber, qui est aujourd’hui PDG de Danone, était à nos côtés. Danone nous a aidés à former les équipes, à mettre en place des process solides. Des chefs de production de Danone nous ont accompagnés au fil des mois. Cela nous a permis de gagner beaucoup de temps : comment débloquer une machine ? Comment motiver les forces de vente ? Les équipes d’experts étaient heureuses je pense et fières de partager leurs savoir-faire avec nous. Par ailleurs, le Crédit Agricole, une autre entreprise française, nous a aidés à développer les territoires et notre réseau pour créer un maximum

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Ce numéro de G.I.V.E est consacré à l’écologie positive. En quoi l’écologie est-elle une opportunité pour le Sénégal et l’Afrique ? Et quelle serait votre définition de l’écologie positive ?

L’écologie est un sujet mondial. Le moment, c’est maintenant. On ne peut plus penser nos industries comme avant en Europe. L’écologie positive, ce n’est pas un nouveau standard ou une nouvelle norme. Il ne faut pas voir ça comme une contrainte. On se rend compte que nos modélisations n’intégraient pas les ressources naturelles. Produire localement ou importer, ça n’a pas le même coût pour la planète. L’écologie positive prend comme des opportunités les harmonies que la nature utilise pour faire ses grands projets. Une rivière, une fourmilière… ça tient tout seul, il n’y a pas de déchets, pas de grandes tensions. Il faut copier les processus naturels, et les envisager comme des vents porteurs. C’est une invitation, et même une fantastique opportunité. ❚ Merci à Dani Garbarz

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«  L’écologie positive prend comme des opportunités les harmonies que la nature utilise pour faire ses grands projets. »

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NESPRESSO RESPONSABILITÉ, CIRCULARITÉ, NEUTRALITÉ CARBONE :

WHAT ELSE ? Comment l’entreprise la plus glamour de la grande consommation a-t-elle, dès ses origines, mis l’environnement au cœur de sa stratégie et de sa vision ? Nathalie Gonzalez, Directrice générale adjointe de Nespresso et Hélène Coulbault, responsable communication corporate et RSE, retracent les grandes étapes environnementales de Nespresso jusqu’à la neutralité carbone, objectif 2022 au niveau mondial.

Votre engagement commence en amont, c’est-à-dire par la protection des caféiculteurs et des terres…

On achète le café environ 40 % plus cher que le prix du marché et c’est une mission sociétale essentielle. C’est peut-être loin du consommateur français mais notre rôle est aussi de donner aux producteurs de café des conditions de vie décentes et incitatives pour les jeunes. Quand on raisonne en termes de responsabilité et de développement durable, on ne peut pas se contenter de parler de l’aval. Nous avons, par exemple, mis en place un programme qui s’appelle Reviving Origins, où nous faisons renaître la culture du café dans des zones oubliées, programme dont nous constatons concrètement l’impact sur la vie quotidienne des populations. La vraie sustainability est là-dedans. On peut même lire ces enjeux sociaux à la lumière du changement climatique. Si nous ne faisons rien, d’ici à 2050, 50 % des zones de production de café auront disparu. Le café se cultive dans les zones tropicales montagneuses, particulièrement sensibles au changement climatique. Il y a donc un impératif à améliorer la résilience des producteurs de café au changement climatique. Cela passe par des initiatives comme l’agroforesterie qui permet d’améliorer la qualité des sols, de limiter l’érosion et les glissements de terrain, phénomènes directement liés au changement climatique.

omment êtes-vous passés d’une communication centrée autour du glamour – notamment grâce au charme de George Clooney – à une communication fondée sur l’engagement ?

Ces deux types de communication ne sont absolument pas antinomiques. En réalité, ce qui est étonnant, c’est que les gens n’aient pas conscience que Nespresso est une entreprise à mission et ce depuis très longtemps. Le côté glamour de la maison a sans doute contribué à l’occulter mais, par exemple, la collaboration avec George Clooney s’est construite autour du fait qu’il était membre du comité mondial de développement durable de Nespresso. Nespresso est une maison visionnaire sur les enjeux de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) depuis longtemps. Quand je suis allée au Costa Rica il y a quelques années, un des caféiculteurs que j’ai rencontrés, m’a dit que George Clooney était venu

Comment choisissez-vous vos 110 000 caféiculteurs partenaires ?

Le premier critère est la qualité du café. Nos agronomes recherchent un profil aromatique de café bien particulier. On forme alors les populations locales aux pratiques agricoles durables, avec l’aide de l’ONG Rainforest Alliance. Un bon café est un café issu d’écosystèmes préservés, on ne peut pas faire de bon café à partir d’écosystèmes dégradés. La préservation des écosys-

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quelques mois plus tôt, et il m’a montré l’arbre qu’ils avaient planté ensemble. Nespresso agit de façon responsable depuis toujours. Le capitalisme noble et l’écologie peuvent et doivent aller de pair.


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tèmes, qui va de pair avec la qualité, est donc l’élément fondateur de notre ADN.

empreinte carbone, en faisant de l’agroforesterie. Cela permet d’améliorer la qualité du café, d’assurer un revenu complémentaire aux caféiculteurs qui peuvent vendre des fruits, tout en protégeant les écosystèmes. On a alors décidé de désinvestir en publicité pour financer cette plantation d’arbres. Cette décision était audacieuse. Nous revendiquons aujourd’hui un café neutre en carbone. D’autant que nos capsules sont aujourd’hui faites à partir d’aluminium recyclé.

Pourquoi avez-vous fait le choix d’être en relation directe avec vos producteurs partenaires ?

Il y a une vingtaine d’années, quand Nespresso a commencé à avoir un succès global d’ampleur, on s’est rendu compte que la production ne suivait pas la demande, il n’y avait pas assez de café de très haute qualité. Nous n’achetons que des cafés dits gourmets, qui correspondent aux plus hauts niveaux d’exigence. Chez Nespresso, on a fait le choix d’une collaboration directe avec nos caféiculteurs partenaires que nous connaissons personnellement et visitons régulièrement. Le pouvoir au sein de l’entreprise n’est pas du côté du marketing mais du côté des agronomes et des experts du café. Les agronomes Nespresso parcourent le monde et apprennent des techniques durables aux caféiculteurs pour faire du café d’excellence. C’est grâce à sa taille que Nespresso a pu financer des programmes auprès des caféiculteurs et les aider. La puissance économique au service du bien commun existe. L’opposition caricaturale et primaire entre des petites structures vertueuses et des grands groupes sans scrupule, est stérile et fausse. La transformation positive pour le monde de demain passe par la convergence entre croissance et actions à impact positif.

«  Le café se cultive dans les zones tropicales montagneuses, particulièrement sensibles au changement climatique.  »

Le recyclage est un axe essentiel de votre engagement. Quels sont vos défis ?

Il y a quinze ans, nous n’étions pas vraiment conscients de l’impératif de mise en œuvre de pratiques de recyclage et ce sont nos clients qui nous ont poussés à la réflexion quant à la nécessité de recycler les capsules en aluminium. L’aluminium est un matériau, contrairement au plastique, qui peut se recycler à l’infini. On a d’abord proposé des lieux de collecte comme nos boutiques, des points Mondial Relay, des déchetteries, puis on a voulu aller plus loin, en facilitant le tri. C’est la transformation que nous sommes en train de mener aujourd’hui avec des acteurs extérieurs, notamment Citeo, pour faire en sorte que les capsules soient recyclées directement via la poubelle de tri de chaque consommateur. Nespresso a d’abord financé des machines de recyclage de l’aluminium et des petits métaux directement dans les centres de tri, et finance désormais chaque tonne d’aluminium qui sort des centres de tri à hauteur de 300 euros via son fonds de dotation. Ce financement ne profite pas uniquement à Nespresso car les machines permettent de recycler l’aluminium de tous les emballages. En tant qu’entreprise, on règle une problématique citoyenne car notre action permet une amélioration globale du système de recyclage.

Il existe de nombreuses idées reçues sur l’aluminium…

L’aluminium est l’unique matériau, avec le verre et les autres métaux, qui est recyclable à l’infini, sans perte de ses propriétés. On ne peut recycler le papier qu’à cinq reprises par exemple. L’aluminium est donc à la fois le seul matériau qui permette de protéger tous les arômes du café de l’air, de l’humidité et de la lumière sur une longue période et à être recyclable à l’infini. Il n’existe pas d’autre matériau qui préserve aussi bien et aussi longtemps les qualités gustatives du café.

La durabilité et la réparation sont-elles essentielles à l’économie circulaire ?

La réparation est un sujet qui nous tient à cœur. C’est d’ailleurs pour cela que je préfère le terme d’économie circulaire plutôt que de recyclabilité pour définir nos axes stratégiques en termes de RSE. En effet, nous avons un SAV très performant depuis vingt ans déjà, qui permet aux machines que nous vendons de durer dans le temps. Ce SAV fonctionne notamment grâce à des personnes en situation de handicap, avec lesquelles nous travaillons depuis des années.

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Quelles sont vos actions pour atteindre la neutralité carbone ?

Pouvez-vous, pour terminer, nous donner votre définition de l’écologie positive ?

La neutralité carbone est un engagement visionnaire volontariste chez Nespresso. On a été pionniers sur la problématique de la neutralité carbone, grâce notamment aux actions de l’ancien DG de Nespresso France et de Guillaume le Cunff, l’actuel CEO monde de Nespresso et ancien directeur marketing international, qui avait un attachement personnel et particulier pour les sujets RSE. Depuis 2015, on plante des arbres pour compenser notre

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J’ai du mal à penser qu’une écologie négative puisse exister. Mais pour parler d’écologie positive, je lierais l’écologie au long terme. L’écologie positive est une écologie qui a un impact multifactoriel, tant sur les hommes que sur l’environnement et sur le long terme. C’est dans ce mouvement que s’inscrit Nespresso. ❚

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PROPOS RECUEILLIS PAR

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Lutter contre le gaspillage en mettant en relation les consommateurs et les commerçants, voilà l’idée de l’application Too Good To Go qui, depuis 2016, est devenue la référence en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire. Sa fondatrice et «waste warrior» Lucie Basch s’engage aujourd’hui sur tous les fronts pour atteindre l’objectif fixé par le gouvernement : réduire le gaspillage alimentaire de 50 % d’ici 2025.

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tonnes de nourriture qui sont gaspillées chaque année. Il était essentiel de remettre le gaspillage alimentaire au centre des conversations et de permettre à chacun d’agir contre ce fléau.

Les mouvements sociaux récents montrent que certains voient l’écologie comme un enjeu déconnecté de leur quotidien. Comment faire en sorte que l’écologie rime avec facilitation de la vie quotidienne ?

Nous parlons d’une solution gagnant-gagnant-gagnant : à la fois pour l’utilisateur, le commerçant partenaire, mais aussi la planète, lorsqu’on sait que le gaspillage alimentaire représente 8 % des émissions de CO2 au niveau mondial. L’urgence climatique n’est pas déconnectée de notre quotidien : entre les canicules et les catastrophes naturelles à répétition, elle est plus que jamais visible et palpable dans notre quotidien. L’écologie ne peut plus être partisane. Elle doit être synonyme d’actions, à portée de tous, pour un changement en profondeur, dans une situation face à laquelle on ne peut plus rester sans rien faire. C’est à chacun d’entre nous de trouver les solutions qui allient nos intérêts quotidiens – notamment économiques – à notre besoin d’investissement et de changement pour notre futur écologique. À travers notre application, nous offrons aux utilisateurs un moyen simple et concret de s’engager activement dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, tout en augmentant leur pouvoir d’achat puisqu’ils récupèrent des paniers de produits invendus à prix (très) réduits. C’est donc la preuve qu’écologie et économie peuvent aller de pair : en réduisant le gaspillage alimentaire, on crée de la valeur économique qui peut être répartie entre les différentes parties prenantes.

e quel constat est né l’application Too Good To Go ? Quel a été votre déclic pour lutter contre le gaspillage alimentaire ?

Passionnée par l’alimentation et son impact sur la société, j’ai démarré ma carrière chez un géant de l’agroalimentaire au RoyaumeUni. Sensible au gaspillage alimentaire depuis toujours, j’ai rapidement compris son ampleur en travaillant dans plusieurs usines de production alimentaire et je me suis interdit de l’accepter. J’ai donc démissionné et démarré l’aventure Too Good To Go début 2016 pour faire changer les choses. Too Good To Go est né du constat suivant : un tiers de la nourriture produite dans le monde est gaspillée. En France, ce sont 10 millions de

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Les Français sont en réalité plus que jamais prêts à s’engager : selon l’étude Yougov, 33 % ont moins gaspillé de nourriture pendant le confinement, et un Français sur deux a compris davantage la valeur écologique de la nourriture. Notre vision est donc tout à fait ancrée dans les réalités des consommateurs, mais il est indéniable que ces derniers manquent d’information pour être totalement sensibilisés à la cause du gaspillage alimentaire, et plus largement aux causes environnementales dans leur ensemble. C’est pour cela que nous accordons une attention toute particulière à l’éducation et la sensibilisation. Nous avons, par exemple lancé une campagne nationale de sensibilisation sur les dates de consommation car, peu lisibles et compréhensibles, ces dernières sont responsables de 20 % du gaspillage alimentaire dans les foyers. De même, nous lançons un programme éducatif, visant en particulier les écoles, car les enfants sont les consommateurs de demain et qu’il est important de les sensibiliser à cette thématique dès le plus jeune âge.

Carrefour. Aujourd’hui, les consommateurs passent un message clair aux acteurs de la grande distribution et de l’industrie alimentaire. Ces derniers ont donc compris que leur avenir dépend de la mise en place rapide d’actions concrètes. Aux côtés des autres experts du Comité d’orientation alimentaire de Carrefour, nous challengeons et tentons d’inspirer Carrefour à s’engager sur des actions concrètes, dont l’impact est mesurable. À travers la définition d’un magasin collaboratif ou d’une comptabilité carbone, les réflexions sur la filière bio et sur une agriculture plus durable, ou encore sur les actions à mettre en place pour réduire le gaspillage alimentaire, nous réfléchissons ensemble au futur de la grande distribution. Signataires d’un «Pacte sur les dates de consommation», ils ont déjà pris des mesures concrètes sur la modification des dates et sur les rayons anti-gaspi. Nous sommes là pour les pousser à faire toujours davantage !

Vous faites partie d’une nouvelle génération d’entrepreneurs engagés dans la défense de l’environnement. Quels sont les entrepreneurs ou entreprises que vous trouvez particulièrement inspirants aujourd’hui ?

Depuis deux ans, nous nous sommes saisis du sujet des dates de péremption, responsables de 10 % du gaspillage en Europe. Nous avons publié en février 2019 notre livre blanc sur les dates de péremption qui faisait un état des lieux et listait des mesures simples à appliquer et efficaces, déjà utilisées dans d’autres pays. Le livre blanc a été un vrai succès médiatique et nous avons donc contacté nos partenaires et d’autres marques pour réfléchir ensemble à comment on pourrait faire évoluer les dates de consommation pour réduire le gaspillage. Après neuf mois de travail, en janvier 2020 nous avons lancé le Pacte sur les dates de consommation signé par 52 acteurs de la filière alimentaire (industriels, distributeurs, fédérations et associations de consommateurs et de protection de l’environnement). Le Pacte comprend 10 engagements ambitieux, concrets et mesurables, portant sur la gestion et la compréhension des dates de consommation et bénéficie du soutien des ministères de la Transition Écologique et de l’Agriculture et de l’Alimentation.

En quoi consiste ce pacte date de consommation ? Quels en sont les engagements ?

Nous avons la chance d’évoluer dans un écosystème hyperstimulant, où on échange avec de nombreuses organisations aux idées impactantes pour faire évoluer nos prises de conscience. Le tout avec une motivation sans faille pour faire bouger les choses. Biberonnée chez MakeSense, j’ai pu mettre des mots sur mon engagement et je suis ravie de fréquenter aujourd’hui de nombreux entrepreneur.e.s inspirant comme Julie Chapon de Yuka, Frédéric Mazzella de Blablacar ou encore les fondateur.rices de WeCanDoo et Clear Fashion qui ont rejoint nos locaux récemment !

Vous avez rejoint le Comité d’orientation alimentaire créé par Carrefour. Pensez-vous que la grande distribution ait pris la mesure de la nécessité de lutter contre le gaspillage alimentaire ? Si non, comment faire en sorte qu’ils prennent conscience de l’enjeu ?

Comment travaillez-vous avec le gouvernement pour changer les réglementations contre l’anti-gaspillage ?

Nous avons pour ambition de mettre en place de nouvelles bonnes pratiques sur le terrain avec nos partenaires, pour que ces bonnes pratiques deviennent in fine la norme. Pour cela, nous devons remettre en cause la norme établie, et inventer de nouvelles manières de produire et consommer. Mais il n’y aura pas de changement en profondeur sans prise en compte de tous les acteurs de l’industrie alimentaire. Il faut viser une action collective, travailler ensemble dans le même sens et faire bouger les choses. C’est aussi en engageant de gros acteurs à prendre part au mouvement que nous pourrons avoir un impact d’ampleur pour réduire le gaspillage alimentaire. Too Good To Go, en tant qu’autorité de lutte contre le gaspillage alimentaire, a le devoir de travailler avec tous les acteurs qui souhaitent s’engager dans une démarche plus positive, ce qui est le cas de

Le gouvernement s’est fixé comme objectif de réduire de 50 % le gaspillage alimentaire d’ici 2025. Nous entendons clairement y contribuer, en inspirant et en engageant l’ensemble de la société dans la réduction du gaspillage alimentaire. Nous travaillons donc à sensibiliser consommateurs, entreprises, pouvoirs publics et les enfants dès l’école à travers plusieurs initiatives concrètes et impactantes, comme le Pacte. Il est essentiel que les pouvoirs publics et les acteurs du terrain travaillent main dans la main pour l’atteinte de leurs objectifs communs. Pour maximiser notre impact, nous avons rapidement créé un pôle Affaires publiques chez Too Good To Go. Au-delà du succès de l’application, pour impacter le gaspillage alimentaire avec ampleur, il nous faut influencer les politiques. Il

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s’agit de mener le combat à tous les niveaux : européen, national, mais aussi local au niveau des territoires. À l’occasion des élections municipales, nous avons par exemple lancé la charte #Mavilleantigaspi, pour permettre aux maires de s’engager de façon concrète dans leur commune contre le gaspillage alimentaire (mettre en place d’une cantine zéro gaspi, organiser des ateliers de sensibilisation…). Cette charte rassemble aujourd’hui 41 maires élus, dont ceux de grandes villes comme Paris, Lyon, Marseille ou Bordeaux. La France est-elle assez avancée dans le domaine de la lutte anti-gaspillage ? Comment se positionnent les autres pays ? La France est pionnière en matière de législation : elle a été le premier pays à mettre en place une loi sur le gaspillage alimentaire, la loi Garot de 2016. Depuis, d’autres avancées ont suivi, avec la Loi Egalim en 2018 et prochainement la Loi Agec (Anti-gaspillage et économie circulaire). Il s’agit d’une bonne première étape et d’un symbole fort, c’est encourageant mais il s’agit encore de textes législatifs dont l’application tarde à arriver. De plus, certains éléments n’ont toujours pas été assez pris en compte dans ces lois. Je pense notamment au volet éducatif, à la fois pour les enfants et le grand public. Il faut que les bonnes pratiques deviennent la norme et fassent système. C’est à l’État de légiférer. Dans les autres pays, il existe de bonnes initiatives, mais celles-ci sont surtout locales comme à Milan par exemple. Ces propositions locales sont essentielles. Mais les efforts individuels doivent être complétés par une ambition et des actions globales. Le sujet doit donc aussi être porté au niveau européen par exemple. De nombreux efforts restent à faire. Sur le sujet des dates notamment, les initiatives nationales sont dépendantes de réglementations de l’Union européenne, comme le règlement INCO. Cela rend des modifications et adaptations locales compliquées et ce n’est qu’en travaillant ensemble que nous pourrons créer un mouvement mondial de lutte contre le gaspillage alimentaire et mettre fin à cette absurdité qui nous dépasse. ❚

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LA FORCE ET LA SAGESSE DU TIGRE CHEZ VOUS, CHAQUE JOUR. w w w.y o g a p l a y. f r

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CITEO

LE  TRI DANS LA CITÉ Jean Hornain, Directeur général de Citeo, évoque les grands enjeux du tri en France et l’impact de la Covid sur nos comportements. Responsabilité, innovation, éducation… sont au cœur des missions de cet acteur essentiel de l’économie circulaire.

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ouvez-vous présenter Citeo en quelques mots ?

Citeo est une entreprise à mission qui s’engage pour accompagner les acteurs économiques à produire, distribuer et consommer en préservant notre planète, ses ressources, la biodiversité et le climat. Nous agissons pour contribuer à répondre à l’urgence écologique et accélérer les transformations qui s’imposent. Porteuse du principe de Responsabilité Élargie des Producteurs, l’entreprise a été créée en 1992 par des pionniers de l’économie circulaire (Antoine Riboud, Jean-Louis Beffa, Paul Ricard) pour piloter le dispositif national de tri et de recyclage des emballages ménagers. Ces grands patrons étaient impliqués dans les questions écologiques et sociales de l’entreprise. C’était alors révolutionnaire. La Responsabilité Élargie du Producteur est une obligation légale en France : les entreprises doivent prendre en compte la fin de vie des emballages qu’elles mettent sur le marché. C’est aussi l’invention de l’économie circulaire pour les emballages et les papiers. Citeo, c’est la responsabilité de la cité au sens grec. On a tous une part de responsabilité : entreprises, collectivités locales, citoyens.

Comment agissez-vous concrètement ?

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L’entreprise qui met sur le marché un produit emballé paie une écocontribution en fonction du matériau qui est utilisé. Le verre est le matériau pour lequel la contribution est la plus faible et le plastique, celui pour lequel elle est la plus forte. Aujourd’hui, 30 000 entreprises contribuent, des plus grosses

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de la grande consommation aux plus petites structures. Cet ensemble de financements permet de proposer aux entreprises différents services, avec notamment l’axe majeur de l’éco-conception qui vise à améliorer la recyclabilité des emballages, mais aussi aux citoyens, avec la mise en œuvre de campagnes de mobilisation. Le levier central du recyclage à l’heure actuelle, ce sont les collectivités locales qui ont la responsabilité du traitement des déchets en France.

France et à l’international, accompagné et expérimenté 50 projets portant sur le réemploi, l’éco-conception… L’année dernière, Malengé a remporté le prix Citeo de l’innovation grâce à un emballage innovant en fibres de cellulose. Cette année encore, malgré le contexte, Citeo lance la 5e édition du concours pour apporter des solutions concrètes aux parties prenantes et ainsi accélérer la transition vers l’économie circulaire. L’innovation est un axe majeur et elle peut aussi concerner les comportements des gens pour trouver de nouvelles façons de collecter, de trier, de produire.

Les Français sont-ils de bons élèves en matière de tri ?

Au global, en France, 70 % des emballages ménagers sont recyclés et 57 % des papiers graphiques. Il s’agit d’une moyenne nationale et les zones rurales et semi-rurales sont beaucoup plus performantes en termes de tri que les zones urbaines. Le tri, en France, après le vote, est le premier geste citoyen. Près de 89 % des Français trient, c’est donc un geste bien ancré. En revanche, même si les Français trient de plus en plus leurs déchets, seul 1 Français sur 2 trie systématiquement ses emballages. Des freins persistent. Parmi les Français, il faut distinguer, paradoxalement, les plus de 65 ans qui sont les meilleurs trieurs et les moins de 24 ans qui trient moins. Il y a une vraie différence générationnelle, mais aussi une différence liée à l’habitat. Quand on habite en ville, l’espace dans les habitations est réduit, on a souvent des modes de consommation assez nomades – on achète de la vente à emporter, de la vente à distance. C’est pourquoi nous travaillons sur la simplification du geste de tri qui permet aujourd’hui à 30 millions de Français de trier tous leurs emballages plastiques.

Citeo est à la croisée de nombreuses expertises. Sait-on bien former les talents dont vous avez besoin ?

Nous employons beaucoup d’ingénieurs. Nous avons développé avec certaines écoles, comme l’École centrale de Lyon ou l’ESCP par exemple, une chaire spécifique de l’économie circulaire parce que c’est une thématique stratégique pour les entreprises et pour la planète. Quand on pense un produit et son marketing mix (prix, produit, distribution, promotion), l’éco-conception en est un vrai levier. Le sujet est en train de toucher les patrons qui s’engagent, l’éco-conception d’une façon générale des produits et des services est vraiment un enjeu majeur. On voit bien que le mouvement a été pris par les entreprises qui s’engagent vraiment de plus en plus. Mais c’est un sujet difficile parce que c’est un sujet de transformation parfois économique, comportemental, sociétal…

Pourquoi ne parvient-on pas à diminuer notre consommation de plastique ?

Concernant la pandémie, on se demande tous où finissent les masques mais il y a aussi toutes les ventes à distance qui génèrent plus d’emballages…

Aujourd’hui, il y a une défiance par rapport au plastique, considéré comme le problème environnemental le plus préoccupant dans de nombreux pays. Ce qui est légitime ; il y a 8 millions de tonnes abandonnées dans les océans chaque année. Néanmoins, attention à ne pas se tromper de combat. Le plastique a de multiples usages dans notre quotidien ; c’est un matériau d’emballage performant qui protège et conserve nos produits alimentaires, cosmétiques… Les choses évoluent. De nombreuses entreprises sont engagées dans des stratégies de réduction du plastique, des plans d’actions d’éco-conception et dans l’intégration de plastique recyclé dans leurs emballages. Citeo s’est engagée avec ses clients et les fabricants d’emballages dans la recherche de solutions de l’éco-conception au recyclage et au réemploi pour les emballages en plastique, conformément à sa stratégie 100 % solutions.

Les masques ne se trient pas. Ils représentent un danger sanitaire mais aussi un danger pour l’environnement s’ils ne sont pas jetés au bon endroit. Pour la protection de tous, il convient de jeter les mouchoirs, masques et gants usagés dans la poubelle à ordures ménagères. Aujourd’hui plus que jamais, rappelons que le tri est le premier geste qui donne du répit à nos ressources. Il permet de fournir des matières secondaires indispensables au secteur de la grande distribution ou encore au secteur pharmaceutique.

La Covid rend-elle les Français moins responsables d’un point de vue écologique ?

Nous avons fait une étude en juillet, à l’issue du premier confinement. Sur le maintien du geste de tri, c’est rassurant : quasiment 80 % des Français ont gardé leurs habitudes de tri pendant le confinement. Quasiment 20 % des Français ont fait encore plus attention à la gestion et au volume de déchets produits. Et 9 sur 10 veulent continuer à agir pour l’environnement.

On parle beaucoup de recyclage, mais vous œuvrez beaucoup pour l’éco-conception. De quoi s’agit-il ?

Nous travaillons étroitement avec les entreprises, les fédérations ou le monde de la recherche pour éco-concevoir de nouveaux emballages plus respectueux de l’environnement. On a un autre levier d’action sur l’innovation qui est l’animation de notre «Circular Challenge». C’est un concours d’open innovation pour détecter les start-up qui développent des solutions innovantes. Nous cofinançons les lauréats et surtout nous les rapprochons de nos clients. En 5 ans, nous avons identifié plus de 1 200 projets en

Quelle est votre définition personnelle de l’écologie positive ?

Pour moi l’écologie positive combine deux choses : la liberté, notre liberté de choix et d’action, et la responsabilité, largement fondée sur la connaissance et la prise en compte des conséquences de ces choix. ❚

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Pour approfondir vos connaissances, rendez-vous sur la page du Défi-Tri www.triercestdonner.fr/commenttrier-les-dechets-et-comprendre-lesbenefices-du-recyclage

Je relève le

DÉFI-TRI !

Papier, verre, plastique, métal, carton et brique alimentaire, en répondant au quiz du Défi-Tri, vous saurez tout sur les matériaux recyclables et comment mieux les trier au quotidien ! En 2019, grâce au recyclage des emballages, combien de tonnes de CO2 ont été évitées ?

Les masques se jettent dans les ordures ménagères et jamais dans le bac de tri.

1,6 MILLION DE TONNES

VRAI !

La vaisselle va dans le bac de tri…

Une boîte de pizza salie ne se recycle pas.

FAUX !

FAUX !

En moyenne, combien de fois la fibre de papier se recycle ?

Les emballages en acier se recyclent à l’infini.

5 FOIS

VRAI !


C o u l i s s e s

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C o u l i s s e s

LOUVE UN SUPERMARCHÉ COOPÉRATIF

POUR CONSOMMER

AUTREMENT PAR

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J ULI E Q UE LVE NNEC

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18e arrondissement de Paris, rue des Poissonniers, 18 h 54. Ce samedi, l’affluence bat son plein dans ce lieu qui, de l’extérieur, ressemble à un entrepôt branché, mais provisoirement abandonné. Un logo minimaliste : le dessin d’un loup sur une façade sombre. De toute évidence, ce n’est pas le design qui nous a poussés à découvrir ce site mais le bouche-à-oreille. À l’intérieur, les cageots sont posés au sol, les bips des caisses s’enchaînent, les bobos du quartier sortent avec leurs paniers en osier remplis de poireaux et de choux romanesco, un trentenaire passe le balai… Nous sommes bien à La Louve.

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est Tom Booth, son cofondateur, qui nous accueille. Entre le coin primeur et les rayons frais, il nous raconte, avec son accent américain, cette folle aventure dans laquelle il s’est lancé pour ­ implanter un supermarché pas comme les autres : «Avec l’aide de la mairie du 18e arrondissement, nous avons ouvert cet espace de 1 450 m2 en 2016 qui a favorisé l’attractivité du quartier.» L’idée est née outre-Atlantique, au Park Slope Food Coop dans le quartier de Brooklyn à New York. Le magasin a récemment fêté ses 45 ans, prouvant son succès, même aux plus réticents. À La Louve, les coopérateurs ont accès à des produits vendus aux prix d’achat, ce qui rend le prix du panier moyen de 20 à 40 % moins cher que celui d’un supermarché classique. Les produits sont de saison, de provenance la plus locale possible, avec le minimum d’emballage plastique. Les champignons, par exemple, proviennent d’un hangar de Porte de La Chapelle, à cinq minutes à pied. Le mot d’ordre est d’éviter au maximum le recours aux intermédiaires. Tom Booth nous énumère les six critères pour sélectionner les produits, qu’il avoue parfois «contradictoires» : 1) respectueux de l’environnement, 2) locaux, 3) équitables, 4) de bonne qualité gustative, 5) à des prix abordables, 6) répondant aux besoins culinaires du quartier. Les coopérateurs sont prévenus : la marge brute réalisée sur les ventes ne sert qu’à rembourser les crédits, payer les salariés et réinvestir. Aujourd’hui, plus de 9 000 clients-coopérateurs déambulent dans les rayons. La Louve est-elle un lieu militant ? Sûrement pour certains. Peut-être pour les plus Greta Thunberg des coopérateurs qui voient leur consommation comme un geste politique du quotidien. À l’évidence, les motivations et les profils varient. Mais se nourrir – socle de la pyramide des besoins de Maslow – n’est finalement pas une affaire si simple. «La force de notre projet écologique radical est que l’on accueille les contradictions du monde actuel dans notre magasin», ajoute le cofondateur qui a pour objectif premier de démocratiser la qualité grâce à des prix abordables. Néanmoins, La Louve devient un lieu de vie, d’échange et de partage où chacun apporte sa pierre à l’édifice dans la bienveillance. Trois heures par mois, il faut se mettre à la tâche : nettoyage, mise en rayons, encaissement, coupe et emballage de fromages… L’organisation fonctionne comme une agora. On discute ensemble, on vote pour choisir si tel produit a sa place dans les rayons, on se concerte sur les grandes décisions de l’avenir du magasin. Bien sûr, comme dans toute organisation, certains sont moins impliqués que d’autres, absents des AG, alors que d’autres endossent le rôle d’orateurs grecs pour défendre corps et âme leurs positions. Et ainsi va la vie à La Louve. Une société dans une société, où l’écologie sociale est reine.

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En réalité, seulement 5 000 membres sont actifs, à savoir ceux qui y font leurs courses régulièrement. Une chose est sûre : tout cela ne serait possible sans le travail des douze salariés qui gèrent au quotidien toutes les missions et permettent d’organiser les bénévoles. Quelles conditions pour devenir coopérateur ? Pour avoir le droit d’y faire ses courses, il faut tout d’abord acheter des parts sociales du magasin, à hauteur de 100 euros. Les étudiants boursiers et les bénéficiaires des minima sociaux ne doivent payer que 10 euros. Un investissement unique, mais remboursable si le coopérateur décide de quitter le supermarché et qui permet de créer un engagement auprès de ses membres. Avec la crise sanitaire, La Louve n’a pas dérogé à la règle et a dû, elle aussi, repenser son fonctionnement. Les trois heures de travail par mois ne sont plus obligatoires, mais seulement fortement conseillées pour soulager les salariés sur place. Mais les membres se prennent au jeu, et les voilà en train de prêter mainforte, avec le sourire, tout en faisant leur shopping hebdomadaire. Le succès de La Louve ne s’arrête pas à Paris. Cette initiative en a inspiré d’autres à Lille et Montpellier, mais aussi à Bruxelles. Tom Booth explique : “Depuis notre lancement il y a quatre ans, nous avons eu des centaines de demandes d’aide pour copier notre modèle. C’est important d’aider ces projets pour engendrer une vague de nouveaux supermarchés coopératifs en Europe.” Ce modèle novateur, basé sur la bonne volonté des coopérateurs, est traité d’utopiste par certains, car il présente des risques opérationnels et financiers potentiellement dangereux pour sa survie. Pourtant, beaucoup y voient une opportunité pour agir différemment. Accepter que ce dispositif pionnier évolue perpétuellement avec ses bientôt 10 000 coopérateurs qui l’accompagnent et comprendre qu’il est impossible d’y retrouver tous les produits offerts par les grandes surfaces classiques : voici le mot d’ordre des membres de La Louve et la clé de son succès. Preuve à l’appui, le chiffre d’affaires a doublé entre 2018 et 2019. Finalement, ce supermarché pas comme les autres, c’est avant tout un retour au bon sens : participer à la vie de la cité, responsabiliser les citoyens, consommer différemment pour sa santé, son budget et la planète. ❚

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© H O ËL DU RET / A DAG P, PA RIS, 20 2 0

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HOËL DURET Sans titre - Tank series, 2020 Photographie numérique «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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POUR UNE

ÉDUCATION

NATURELLE L’ÉCOLE DU DOMAINE DES POSSIBLES TEXTE PAR

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En Camargue, il existe un domaine conçu pour déplacer les lignes de flottaison dans l’éducation et l’agriculture vers un avenir vivable. Initié par l’ex-ministre de la Culture Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani, propriétaires d’Actes Sud, le Domaine de Volpelière, imaginé comme une utopie, prend peu à peu la forme d’un espoir tangible qui pourrait finir par faire «école».

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l arrive que parfois, lorsqu’on voyage aiguillonné par sa seule curiosité insatiable, guidé par une «intuition expérimentée», on finisse par tomber sur quelque chose de véritablement merveilleux qui chamboule nos convictions, remet en cause nos raisonnements les plus établis, et nous permet d’en arriver à la conclusion que, peut-être, la planète et l’humain ont encore des motifs vertueux de cohabiter harmonieusement tout en faisant honneur à notre espèce. Redonnant ainsi l’espoir en la possibilité de vivre des lendemains dociles et harmonieux où le vivant ne serait plus considéré en silos à la seule disposition du bon vouloir de l’être humain, mais bien comme un tout indissociable qui ne pourrait être conçu autrement que dans son unicité. C’est un peu la sensation astringente qui nous parcourt tout au long de notre visite du Domaine de Volpelière dit également Domaine du Possible et portant ainsi bien son nom. Créé grâce aux dons de 136 hectares de JeanPaul Capitani à ce qui deviendrait une association éducative et agricole, le Domaine voit le jour en 2015.

Domaine du Possible Route de la Volpelière, Mas-Thibert, 13104 Arles www.ecole-domaine-du-possible.fr www.universite-domaine-du-possible.fr

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ÉDUCATION : LA NATURE AU CENTRE DU TOUT

« L’école a été conçue, avec l’aide de l’architecte Patrick Bouchain, selon des principes agroécologiques et inclusifs mettant la nature au centre du tout. » 116

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école a été conçue, avec l’aide de l’architecte Patrick Bouchain, selon des principes agroécologiques et inclusifs mettant la nature au centre du tout. Cette source de savoir essentiel positionnant la compréhension du monde qui nous entoure est vitale pour le développement des enfants. Une vingtaine de personnes y travaillent. Jean, le directeur, la trentaine éveillée, en parle comme d’un centre de bienveillance où tous les enfants sont traités de la même manière afin de favoriser l’intégration de chaque élève en fonction de sa personnalité propre, où la progression de chacun n’entraverait pas celle du collectif mais où ce dernier justement apprendrait aussi à chacun l’art de la différence. 125 arbres fruitiers (grenadiers, pistachiers, figuiers…) peuplent le jardin de l’école dont les classes s’étalent du primaire au collège (le lycée prendra forme prochainement). C’est une véritable école de la vie qui se déploie sous nos yeux ébahis. Où les enfants cueillent dans le jardin ce qu’ils mangeront à l’heure du déjeuner ou le lendemain, cuisiné par le chef Gilles Benson («l’un de mes plus grands plaisirs aujourd’hui est de faire découvrir nos légumes aux enfants»). Cet Arlésien pure souche, ex-complice d’Armand Arnal, la rock star locale en gastro et fondateur de la Chassagnette, fut chef privé de grandes fortunes et a décidé de se recadrer en des territoires moins fantaisistes, plus apaisants tout en mettant son art au service des enfants et de tout le domaine – ce qui en fait aussi accessoirement l’une des meilleures cantines de France si ce n’est la meilleure. Si l’on ajoute au tableau un centre équestre dédié qui permet aux enfants d’être en contact avec l’animal, d’apprendre à vivre avec lui, de communiquer avec lui «ce qui aide énormément à travailler sur certaines pathologies», nous confirme l’un des enseignants, on ne s’étonne plus alors de voir sur le visage de chaque enfant croisé l’étincelle reflétant la présence d’une forme d’épanouissement transcendant chaque mur de l’école. Le système éducatif y est basé sur la curiosité, les arts (appliqués), la mixité, l’éveil à la pratique de la musique ainsi qu’à celle d‘un instrument maîtrisé à la fin du cycle, et repose sur un corps enseignant totalement dédié à sa mission pédagogique. Observer, faire le tour de l‘école, des classes pendant que les professeurs exercent, laisse songeur. Fort heureusement avec cette école expérimentale n’ayant rien de fantaisiste – au contraire – le plus grand sérieux est ici exigé dans le déploiement de sa fonction. On se dit alors que toutes les voies qui mènent à l’âge adulte n’ont pas encore fini d’être explorées et que certaines seront sans doute la source d’un avenir reconsidéré plus en fonction des désirs de chacun, avec une véritable aspiration à vivre le monde en soi, au plus près de lui. Merveilleuse nouvelle : l’école a obtenu cette année un double conventionnement de l’État, qui reconnaît officiellement le modèle éducatif en présence.


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« Les enfants cueillent dans le jardin ce qu’ils mangeront à l’heure du déjeuner. »

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PATAGONIA

Marques vertueuses et nouveaux territoires d’exploration

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On savait depuis toujours que Patagonia reversait un pourcentage de ses bénéfices à des ONG, et non contente d’être pionnière en ces nouveaux modèles, la marque d’outdoor la plus célèbre du monde a lancé tout un programme actif lié à l’agriculture biologique régénératrice et qui pourrait être à l’international ce que le Domaine du Possible développe en local. Coïncidence heureuse, les deux entités se sont retrouvées et, fortes de leur vision commune, elles ont uni leurs forces dans ce combat pour un nouveau modèle agricole mondial que Patagonia mène désormais. eu.patagonia.com/fr/fr/activism

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L’AGRI-CULTURE : RÉINVENTER LES MODÈLES

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a Volpelière, c’est aussi un centre voué au développement d’un écosystème agri-culturel repensant la relation à la nature, au vivant ainsi qu’aux modes de production liés à ce que certains nomment désormais l’agroéconomie. Et qui pourrait se répartir en deux ensembles complémentaires bien que distincts ; un domaine agricole de 136 hectares cultivé en bio depuis 1972, alors geste véritablement pionnier, et qui depuis 2014 intègre les principes de permaculture et d’agroécologie à grande échelle à toutes ses récoltes selon différents ateliers tels que maraîchage, apiculture, agroforesterie. Et un centre de formation et de recherches agricoles entièrement dédié aux changements de paradigmes et d’échelles en agroécologie ou comment passer, pour être précis, de modèles agroéconomiques appliqués au micro-farming qui peut avoir une nécessité et viabilité privées à celui du macro-farming, seul capable de déployer tous ces principes sur une économie plus collective et alors seulement profitable à tous. À cet égard, et sans vouloir entrer dans des considérations trop professionnelles dont ce magazine n’est pas l’écho, deux rencontres passionnantes sont assez allégoriques des méthodes pratiquées ici qui serviraient aussi à illustrer les changements sociétaux en cours dans le monde d’aujourd’hui. Au maraîchage, Antoine et Aurélien. Le premier est ingénieur diplômé de l’École Centrale. Après avoir fréquenté des entreprises classiques durant deux ans – suffisamment longtemps pour se rendre compte qu’il n’était pas fait pour ce modèle – il s’est reconverti dans «l’agricole/ nouvelle ère». À base de woofing, de stages ici et là, en passant par la ferme biologique du Bec Hellouin et autres circonvolutions, il s’est retrouvé à Volpelière avec Aurélien, ancien photographe au profil baroudeur parvenu aux mêmes conclusions par des chemins de vie différents. Ensemble, ils réalisent du maraîchage diversifié qui va de la conception du poulailler aux choix des légumes à planter sous serre photovoltaïque avec la mission de devenir économiquement autonome en pratiquant la vente directe uniquement (on peut aussi acheter leur production sur la coopérative locale cagette.net) tout en fournissant l’intégralité du domaine. Et tous deux d’arborer des sourires luminescents d’êtres humains en pleine possession de leur vie et exultant la joie d’une activité vertueuse, pour la terre mais aussi pour eux-mêmes. «Aussi très dur tu peux ajouter, lance Antoine néanmoins. Il faut quand même rappeler aux gens que ce sont des métiers très durs, où le salaire n’est pas exceptionnel non plus. C’est la raison pour laquelle la passion est indispensable.» Et puisque physiquement, il ressemble à un croisement insolite entre Kurt Cobain et Robert Redford, je me dis alors qu’en 2020, les nouveaux agriculteurs sont les rock stars de notre époque ! Émilie, elle, dirige tout simplement la partie «agricole» du domaine, son université et ses exploitations. Personnage insolite à l’énergie chevillée au corps, au parcours de vie insolite comme beaucoup ici, elle rayonne comme les terres dont elle assume la responsabilité avec un panache contagieux et un savoir qui semble infini. Elle se définit comme une enfant de la rivière du Var, a fait ses

études en cherchant à connecter l’humain à la nature, a travaillé avec l’ONG de Pierre Rabhi, a beaucoup pratiqué l’Afrique, puis s’est installée dans la Drôme où elle est devenue cultivatrice et a développé une ferme spécialisée dans la spiruline – l’un des superaliments les plus prisés du moment avec le chia. Parallèlement à ce parcours déjà riche en rebondissements, elle se rapproche du couple Perrine et Charles Hervé-Gruyer, fondateurs du Bec Hellouin et pionniers de la permaculture, reconnus dans le monde entier pour l’excellence de leur pratique qu’ils ont largement contribuée à développer depuis le début du 21e siècle. C’est même Perrine qui glissera à l’oreille d’Émilie d’aller s’occuper du Domaine du Possible. «C’est tout l’enjeu ici, précise Émilie, utiliser les principes de la permaculture développés par Charles et Perrine qui, à la base, ne fonctionnent qu’en mode micro-farming sur un modèle de grands domaines qui seuls permettront de rendre ces mêmes principes viables à des échelles réellement applicables à toute une communauté. Mais il fallait bien commencer par les développer d’une manière rationnelle.» L’idée étant de créer un système agraire solidaire, Émilie développe ses ruches

qu’elle a réintroduites sur les terres de Volpelière afin que l’abeille noire retrouve ses marques en son royaume, mais elle met évidemment autant de cœur à construire l’université agricole du domaine, puisque le nerf de la guerre demeure la formation encore une fois. Le domaine reçoit des jeunes – ou moins jeunes – qui souhaitent se spécialiser dans cette activité, apprendre ces nouvelles méthodes de production et travailler sans relâche à les améliorer afin de continuer de rapprocher l’homme de la terre. Le but est donc non seulement de parvenir à changer d’échelle en agroécologie, mais aussi de former des gens qui pourront aller reproduire le format en d’autres lieux, d’autres terres. Ici même, les outils sont fabriqués par une association locale, Promata. Car inutile de préciser que le circuit court n’est pas une option… Tant de détermination à bien faire, de passions à déployer des forces amies pour vivre mieux son rapport à la terre et à la nature ­– car de lui seul dépend la survie de l’humanité – laisse quand même admiratif et met à mal le paradigme d’une modernité qu’on aurait voulu entièrement technologique dans un monde régi par les concepts de production, de croissance, et de rentabilité. ❚

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«  En 2020, les nouveaux agriculteurs sont les rock stars de notre époque !  »


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UN PARFUM

À L’EMPREINTE CARBONE NEUTRE La dernière fragrance Giorgio Armani baptisée My Way confirme l’engagement de la maison pour l’environnement et ouvre une nouvelle voie vers une parfumerie hautement responsable et un luxe durable.

Exclusif à My Way, le flacon, pensé pour r­ ésister à l’épreuve du temps, est recyclable et bénéficie d’un système de recharge innovant, qui permet de recharger trois flacons entiers de 50 ml et d’économiser ainsi du verre, du plastique, du métal et du carton. L’écoresponsabilité est aussi au cœur de la fragrance de My Way en privilégiant la sélection d’ingrédients naturels sourcés de manière responsable et en s’appuyant sur les principes du commerce équitable. Ainsi, la vanille de Madagascar utilisée pour My Way est issue d’un programme qui favorise l’insertion sociale : ce projet s’appuie notamment sur les principes du commerce équitable et participe au soutien des populations économiquement vulnérables. Ce programme protège également la biodiversité de la région à travers un programme de reforestation visant à restaurer 150 hectares de mangrove. Parmi les succès, l’empreinte carbone neutre inédite du lancement du parfum porte un nouveau défi à l’industrie cosmétique. Pour calculer les émissions de gaz à effet de serre et l’impact environnemental de My Way, Armani beauty a sollicité le cabinet Quantis. Spécialisé dans le développement durable et l’Analyse du Cycle de Vie (ACV), ce dernier a élaboré un outil unique capable de tenir compte du produit (emballage et formule) et des activités de commercialisation (production, transport, la réalisation des campagnes publicitaires, coffrets cadeaux, événements…). «Selon cette empreinte initiale, le lancement des produits My Way a représenté environ 7 000 tonnes de CO2 en 2020 soit l’empreinte carbone annuelle de 900 Européens», explique le cabinet Quantis. Pour atteindre la neutralité carbone, il a donc fallu compenser les quantités émises en finançant notamment des programmes de protection de la flore et de reforestation, les arbres capturant naturellement le carbone contenu dans l’air. «La pérennité du contenant interroge le consommateur sur son rapport à l’objet, à sa durabilité, souligne Nigel Salter. L’ancien modèle, qui consiste à acheter, à utiliser, puis à jeter, touche à sa fin.» Les effluves de My Way sentent définitivement l’air du temps. ❚

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ergamote de Calabre, fleur d’oranger d’Égypte, tubéreuse et jasmin d’Inde, vanille bourbon de Madagascar et cèdre de Virginie (États-Unis)… My Way est un voyage. Une odyssée pour les sens, mais aussi un parfum écoresponsable à l’empreinte carbone neutre. En effet, le changement climatique est l’un des enjeux les plus pressants de la planète et préoccupe un public de plus en plus vaste à travers le monde. La hausse de la température moyenne mondiale, néfaste pour la biodiversité, est attribuée à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, aussi appelé carbone ou CO2. Pour contribuer aux changements durables dont le monde a besoin Armani beauty a décidé de porter ses efforts sur ses émissions de carbone. Une petite révolution témoin de l’engagement de Giorgio Armani lui-même envers l’environnement. Il faut dire que pour la première fois dans l’histoire de la parfumerie de luxe, une démarche sustainable est pensée à 360 degrés. «Armani beauty a tenu compte de l’ensemble du cycle de vie de My Way, sans se limiter au packaging ou aux achats, constate Nigel Salter, consultant en développement durable et en stratégie. De l’achat des ingrédients à l’utilisation même du parfum, en passant par toutes les étapes intermédiaires, chaque maillon du cycle de vie a été examiné, mesuré, et des pistes d’amélioration ont été identifiées.»

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ESTRID LUTZ © E STRID LUT Z

Ecotones mash-hup, 2020 Collage numérique et modélisation 3D «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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PROPOS RECUEILLIS PAR

SAMUE L PO NCE T

Comment en finir avec les bullshit jobs ? Redonner du sens au travail est, plus que jamais, au cœur des questionnements contemporains. Dès sa création en 2010, l’organisation MakeSense s’est donné pour mission d’accorder plus de poids aux enjeux environnementaux dans le monde du travail au travers de rencontres, d’ateliers créatifs et de programmes d’accompagnement. Rencontre avec Hélène Binet, qui a consacré toute sa carrière à l’environnement. Elle est aujourd’hui directrice de la communication de MakeSense.

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Facebook Paumé(e)si rassemble près de quinze mille personnes, une plateforme de podcasts a été lancée et un livre est en préparation. Le confinement a donné encore plus de poids à ce programme. Il a engendré d’autres problématiques, ce qui a conduit à la création du nouveau programme La Brèche. La Brèche est un programme entre l’introspection et l’action pendant quinze jours d’accompagnement collectif. Les participants sont amenés à se poser des questions sur leur mode de vie et leur volonté de le mettre en adéquation avec leurs aspirations. Il y a trois volets : changer de job, quitter la ville et résister en ville. Le volet «changer de job» s’attache à aider les participants à trouver un emploi qui a plus de sens sur le plan environnemental et plus de sens tout court. L’environnement est donc de fait au cœur de ce programme car les personnes qui aujourd’hui sont en quête de sens, le sont souvent pour des raisons écologiques.

Selon vous, l’enjeu écologique impacte-t-il notre rapport au travail ?

L’enjeu écologique est à mon sens un excellent moteur de changement dans nos vies professionnelles. Le manifeste pour un réveil écologique a été signé par trente-deux mille étudiants qui ont ainsi signifié leur attachement à la préservation de la planète. Il s’agit de faire prendre conscience aux entreprises de la nécessité pour elles de devenir plus vertueuses sur le plan écologique, afin d’attirer les meilleurs talents. L’écologie en entreprise peut être un formidable terrain de cohésion pour les salariés, mais malheureusement également un terrain de discorde si le monde de l’entreprise reste dans l’inaction.

uelle vision de l’écologie cherchez-vous à défendre ?

Nous pensons, chez MakeSense, que perdre le combat climatique c’est perdre tous les autres combats. L’écologie est un prérequis, elle est au cœur de toutes les actions que nous menons. Les entreprises qui vont s’en sortir sont celles qui auront fait leur mue écologique. Paradoxalement, il s’agit presque d’un impératif économique pour elles. Par ailleurs, nous croyons en la nécessité de trouver une troisième voie face à deux types de récits. D’un côté, le tout consommation qui propose une trajectoire de vie linéaire et présente une vision du bonheur fondée sur l’avoir plutôt que l’être. D’un autre côté, le récit alarmiste sur l’avenir de la planète qui prédit un effondrement inévitable. Artistes et créatifs vont devoir se mobiliser pour fonder un méta-récit inspirant pour tous, qui rend l’écologie synonyme d’épanouissement. L’action est vectrice d’optimisme, elle est toujours souhaitable.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui chercherait à trouver un emploi qui a plus de sens ?

Il y a plusieurs stades. Tout d’abord, on peut redonner du sens à son job de l’intérieur sans avoir à en changer. Il suffit, par exemple, de réunir ses équipes autour d’un atelier comme «la fresque du climat» pour sensibiliser son entourage professionnel aux questions écologiques. Ensuite, si c’est possible bien sûr, réduire son temps de travail. Certaines entreprises le permettent par le biais du mécénat de compétences et donnent la chance à certains de leurs salariés de travailler un à deux jours par semaine pour des associations. Enfin, dans le cas où la volonté de changer de job est actée, s’inscrire à notre programme d’accompagnement La Brèche permet réellement d’y voir plus clair et d’appréhender un changement professionnel avec efficacité et sérénité. Les plus créatifs peuvent également se lancer dans l’entrepreneuriat à impact en tant qu’autoentrepreneurs. ❚

Quelles actions mène MakeSense pour rénover le monde du travail et lui redonner du sens ?

Le programme La Brèche est le parfait exemple de ce que nous cherchons à faire pour repenser le monde du travail. La Brèche est le prolongement d’un programme appelé Paumé(e)s, créé il y a deux ans. Le constat était que la recherche de sens notamment dans le monde du travail était un sujet très fédérateur. Le groupe

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BIXENTE LIZARAZU

DANS LES COULISSES DE LA

RÉVOLUTION ÉLECTRIQUE

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Volkswagen prend le virage de l’électromobilité. L’ambition du groupe automobile : arriver à la neutralité carbone d’ici à 2050. Les changements qu’appelle la révolution de l’électrique sont profonds. Entretien avec Bixente Lizarazu, l’ancien international de football, aujourd’hui consultant sportif, très sensible à la cause écologique de longue date et qui est depuis deux ans l’ambassadeur de l’électrique chez Volkswagen.

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ourquoi avoir accepté d’être ambassadeur de l’électrique chez Volkswagen ?

Tout simplement parce qu’à ce jour l’électrique me semble être la meilleure solution ! Tout n’est pas parfait bien entendu mais le fait de pouvoir rouler sans dégager de gaz d’échappement est une avancée énorme au niveau de la pollution de l’air. J’ai souhaité participer à ce mouvement. C’est même une révolution car il s’agit d’un changement de modèle total. La volonté de Volkswagen est de passer à 100 % d’électrique. J’ai la chance d’habiter près de l’Atlantique et des Pyrénées, au Pays basque où l’on peut respirer un air pur mais lorsque l’on habite dans des grandes villes, il y a un vrai problème de pollution de l’air. De ce point de vue là, l’électrique est une avancée énorme. Cela correspond à mes engagements en faveur de l’écologie depuis longtemps.

Vous roulez en ID-3, 100 % électrique. Est-ce pour vous la mobilité de demain ?

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J’y crois, même s’il existe d’autres technologies alternatives comme l’hydrogène. L’électrique ne sera pas réservé à des privilégiés, l’objectif de Volkswagen est de faire en sorte qu’il soit accessible à toutes les bourses. J’ai commencé par conduire la e-Golf, adaptation de la Golf thermique, et aujourd’hui, je fais partie des premiers utilisateurs en France de l’ID-3. Au-delà de l’absence de rejet de gaz d’échappement, donc de CO² et d’autres polluants, les voitures électriques sont très agréables à conduire. Le silence est incroyable et de ce fait l’attitude au volant est détendue. Recharger sa voiture à son domicile, en 3-4 heures, c’est aussi très pratique pour des déplacements locaux. Pour des trajets plus lointains, c’est plus compliqué pour l’instant mais Volkswagen comme les autres constructeurs travaillent à l’implantation de bornes un peu partout en France pour recharger

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«  Une telle révolution ne se fait pas du jour au lendemain, les choses prennent du temps.  » 132

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du patrimoine marin. Avec Volkswagen c’est différent, le sujet concerne davantage la pollution de l’air car c’est ce que l’électrique peut résoudre prioritairement.

Vous venez de coréaliser un documentaire sur les requins en Polynésie. Qu’avez-vous appris au contact des Polynésiens sur leur rapport à la nature ?

Je me suis rendu en Polynésie, à la rencontre d’un peuple qui a une très grande connaissance de la mer. Là-bas, il existe une cohabitation extraordinaire entre le requin et l’homme. Il n’y a quasiment pas d’attaque, car l’animal a suffisamment à manger. Le but de ce documentaire était de couper court au fantasme du requin mangeur d’hommes et d’interpeller sur le massacre de millions de requins. Les animaux marins en Polynésie sont considérés comme des animaux totems, protecteurs des familles. Depuis près de 20 ans, il est interdit de pêcher des requins pour la commercialisation des ailerons et des mâchoires. Ils sont au sommet de la chaîne alimentaire, leur disparition serait donc catastrophique pour l’équilibre naturel des océans. Le Polynésien considère que le requin est chez lui et que c’est à l’homme de s’adapter. Nous, Européens, avons tendance à vouloir conquérir tous les territoires. Lorsque l’on va sur le territoire des squales, des ours ou des loups, il faut respecter leur mode de vie. En Polynésie, contrairement à d’autres endroits de la planète, il n’y a pas de risque à pratiquer des activités nautiques même s’il y a de très gros requins.

sa voiture dans les meilleures conditions. Il y a aussi des critiques sur le recyclage des batteries, de leurs composants. J’ai vu que Volkswagen travaille à l’amélioration de ces sujets. Une telle révolution ne se fait évidemment pas du jour au lendemain.

D’ici à 2050, Volkswagen veut atteindre la neutralité carbone. Que pensez-vous de cette ambition ?

Si de grandes entreprises ont cette ambition, elles peuvent faire bouger les choses. C’est positif. J’échange avec des gens qui sont au cœur de cette révolution, ce qui me permet d’être mieux informé, de voir les avantages mais aussi d’être conscient des difficultés et des problèmes que ces acteurs rencontrent. Cela fait deux ans que je suis ambassadeur de l’électrique chez Volkswagen et l’idée est de développer un partenariat à long terme car atteindre la neutralité carbone prend du temps. On y aspire tous, aussi bien les entreprises que les particuliers. Personne n’est absolument parfait dans son mode de fonctionnement et son impact sur la nature. Cette imperfection ne doit pas m’empêcher de m’investir dans des projets environnementaux et de toujours chercher à garder une cohérence. Depuis près de 30 ans, je m’interroge et je me remets en question pour essayer d’être le plus respectueux possible de l’environnement. Je suis conscient que je dois parfois faire des compromis. Par exemple, je suis amené à me déplacer souvent en avion dans mon métier de commentateur de foot, mais j’essaie de regrouper mes activités professionnelles pour réduire ces déplacements.

Quels messages doit-on faire passer à la jeunesse en termes d’écologie ?

Le confinement a mis en avant deux sujets d’importance que sont l’économie locale et la question du déplacement et de son impact sur la planète. Pour moi, quelqu’un qui respecte l’environnement, c’est déjà quelqu’un qui réfléchit à son comportement vis-à-vis de la nature et qui essaie de l’améliorer. Nous sommes dans une société de surconsommation, on peut déjà individuellement réduire notre consommation, aller à l’essentiel. On doit aussi œuvrer à une meilleure gestion du recyclage des déchets. Faire réfléchir les enfants dès le plus jeune âge à l’école sur les questions environnementales et la pollution serait un formidable moyen de sensibilisation. La nature nous rend heureux, apaisés. Le sens de la vie c’est de jouir de ce que la planète nous offre. C’est un bien gratuit, dont tout le monde peut profiter. J’aimerais qu’on multiplie les sanctuaires naturels protégés, qu’ils soient classés au patrimoine mondial de l’humanité. La planète est notre bien commun, il n’y en a pas d’autre, il faut la protéger pour y vivre en bonne santé et penser à la transmettre à nos enfants dans les meilleures conditions. ❚

En tant que passionné des océans, quelle place tient l’écologie dans votre quotidien ?

La nature est mon mode de vie. En dehors du foot, j’ai une passion pour la mer et la montagne que je côtoie au quotidien. Mon déclic écologique s’est concrétisé il y a 30 ans environ, lorsque j’ai accepté d’être parrain de Surfrider Foundation. Ils font un travail remarquable pour la protection des littoraux et des océans en menant des actions concrètes sur le terrain et des campagnes de sensibilisation. Mais ma sensibilité environnementale a commencé dès l’âge de 10 ans avec des sports comme la plongée sous-marine, le surf ou le ski, qui m’ont fait aimer la nature et apprécier sa beauté. Malheureusement, l’activité humaine investit de plus en plus l’espace et souille la nature. En 2003, j’ai eu envie d’aller plus loin en créant ma propre association Liza pour une mer en bleus à la suite du naufrage du Prestige au large des côtes de la Galice. Nous avons organisé un match caritatif avec France 98, l’association regroupant les champions du monde 1998 pour récolter des fonds avec lesquels nous avons financé beaucoup de projets pour la protection et la sauvegarde des littoraux et

G.I.V.E. COMMUNIQUÉ

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A G O R A

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G.I.V.E.


A G O R A

LE MONDE D’APRÈS

EXISTE DÉJÀ PAR

SANT I AGO LE FE BVR E

Q

FONDATEUR ET PRÉSIDENT DE CHANGENOW

E SO HP ROM AT E M, L’A RBRE DE S E NGAGE ME NTS DE RAC H EL M ARKS, LOR S D U SOM MET CHA N G EN OW EN JAN VIER 2 0 2 0 AU G RAN D PALAIS. - PHOTO ©

« L’écologie est une porte d’entrée vers l’humanisme, c’est-à-dire vers la partie en nous qui aspire à devenir acteur d’un monde meilleur. »

uand j’ai commencé à écrire ce texte sur l’écologie positive… je me suis vite demandé : comment l’écologie pourrait-elle être négative ? Le vivant, l’environnement, la planète, l’océan, la terre, la forêt, l’eau, le vent, les saisons… Les écosystèmes que nous habitons nous nourrissent, nous hébergent, nous inspirent. L’écologie est (devrait être ?) positive par essence. Elle est une porte d’entrée vers l’humanisme, c’est-à-dire vers la partie en nous qui aspire à devenir acteur d’un monde meilleur. Exit l’écologie dénonciatrice ou punitive ! Il y a 5 ans, sortir un magazine dédié à l’écologie positive aurait probablement généré beaucoup d’incompréhension. Ce sujet a trop longtemps été relégué à une audience éveillée marginale, avec une connotation négative – la fameuse. Aujourd’hui, plus que jamais, l’écologie doit être positive. Elle doit se raconter avec joie, avec enthousiasme, avec espoir. Incarnée par des humains volontaires, persuadés que leurs actions, leur métier, leur énergie, peut contribuer à la construction d’un monde plus durable. Nous, entrepreneurs et acteurs de l’impact positif, faisons partie de ces humains, ces «changemakers». Des solutions pour dépolluer l’océan aux applications de lutte contre le gaspillage alimentaire, en passant par les nouveaux modèles de production d’énergie, nous sommes chaque année plus nombreux à faire de l’innovation un véritable levier d’action pour la transition écologique. À ChangeNOW, nous réunissons ces changemakers qui nous inspirent, tous les ans depuis quatre ans. Entrepreneurs à impact positif, investisseurs, talents, décideurs économiques et politiques mais aussi journalistes, artistes, cinéastes… Et chaque année, nous constatons que l’écologie et l’impact positif occupent une place de plus en plus centrale. Nous étions 2 000 en 2017, 28 000 en 2020. Si ces chiffres semblent difficiles à projeter en cette ère si restreinte, ils témoignent d’une tendance de fond : de signal faible, l’écologie est passée à un signal fort. De négative, l’écologie devient positive. De contrainte, l’écologie devient opportunité : opportunité de construire un monde plus résilient, plus sobre, plus juste. Ce monde d’après, dont nous avons parlé ces derniers mois, existe déjà. Il est là sous nos yeux. À nous de lui donner les moyens d’émerger, dès à présent.» ❚

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Le prochain sommet ChangeNOW aura lieu les 9, 10 et 11 mars 2021 pour une édition multisite au Grand Palais Éphémère, à la Tour Eiffel et au siège de l’Unesco. Les solutions présentées adressent les thématiques de l’économie circulaire, la protection de la biodiversité, l’inclusion… des sujets qui couvrent les 17 objectifs de développements durables. Parmi les changemakers passés par ChangeNOW : Yuka (application qui informe sur la qualité des produits), The Ocean Cleanup (innovation qui lutte contre les microplastiques), Ecosia (moteur de recherche qui plante des arbres), BeeOdiversity (solution de protection de la biodiversité), Energy Observer (bateau expérimental au mix énergétique bas carbone)...

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q u Rê et ne c do en t sr ee n s

RÉCONCILIER

LA CULTURE

DUVIVANT ET LA CULTURE D’ENTREPRISE PAR

SAB I NE PI NAT TO N

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q u ê t e

d e

La vie urbaine contemporaine a conduit nombre d’entre nous à avoir le sentiment d’être hors-sol, de flotter sans repères au-dessus de la réalité de la nature qui nous nourrit, nous protège, à laquelle nous appartenons et que nous croyons maîtriser. L’actualité nous ramène à une certaine humilité, mais nous avons perdu, pour beaucoup, la connaissance du vivant, au moment même où nous devons réinscrire les actions de l’entreprise dans de nouveaux impératifs liés à la transition écologique et sociale.

ressources, le développement de filières spécifiques, l’organisation sociale des villages, afin de prendre le meilleur dans chaque époque (les savoirs, les techniques, les valeurs). L’expérience Aire permet de prendre la mesure de l’intelligence de la relation homme-nature et d’expérimenter de nouveaux modèles. Choisir de partir en immersion quelques jours pour imaginer des pratiques alternatives applicables au sein de son propre environnement, prototyper des projets de développement responsables, recréer du lien entre l’entreprise et ses collaborateurs, travailler sur la raison d’être de l’entreprise et à ses engagements. Aborder autrement les questions d’efficience, d’innovation, d’adaptabilité, de communication passe par une mise en mouvement personnelle de chacun, la prise de risques de voir bousculer les idées reçues ou les barrières considérées comme infranchissables. Accepter de se mettre en observation, à l’écoute, accueillir le temps long de mûrissement des idées, dialoguer avec ceux, naturalistes, viticulteurs, maraîchers, éleveurs, apiculteurs, artisans qui côtoient et dialoguent quotidiennement avec le vivant permet de reprendre un ancrage collectif et définir le socle de nouvelles pratiques. Pas de programme standard chez Aire, mais un principe de co-construction des sessions d’immersion associant des philosophes, des économistes, des architectes, des designers ou des artistes, autant de contributeurs engagés pour porter une vision positive de l’écologie et de l’entreprise. Bienvenue sur terre. ❚

L

a rupture entre territoire naturel et territoire urbain a été trop souvent consommée, cela cloisonne notre façon d’aborder les sujets de transformation et limite notre capacité créative. Pour autant, biodiversité, écosystème, biomimétisme, permaculture ou développement durable sont des mots qui ont intégré le vocabulaire courant des entreprises. Nous devons maintenant les rattacher à une réalité incarnée et de ne pas les réduire à des concepts théoriques ou à des effets de mode. Aire s’est construit sur la conviction qu’il est désormais nécessaire de faire tomber les barrières et les cloisonnements, de sortir des villes. Allons à la rencontre du territoire naturel et de ses acteurs pour trouver les nouveaux chemins d’actions créatifs, agiles et engagés. Il ne s’agit pas de promouvoir une nature sans les hommes. Aire a choisi de s’installer au cœur Parc naturel régional du Luberon, hot spot de la biodiversité à l’échelle mondiale. Celui-ci représente un enjeu fort pour la conservation des espaces naturels et offre un cadre incomparable pour une profonde compréhension d’une nature habitée par l’homme depuis des millénaires. Son patrimoine humain et naturel est une source d’inspiration exceptionnelle pour réexplorer la gestion collective des

P H OTO © AIRE

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s e n s

«  La rupture entre territoire naturel et territoire urbain a été trop souvent consommée.  » AIRE propose des sessions d’immersion et de réflexion de 2 à 5 jours, au cœur de la nature du Luberon, en petits groupes de 6 à 15 personnes, pour imaginer, concevoir ou prototyper des projets de transformation s’adressant aux entreprises soucieuses de se reconnecter à leur environnement et d’initier de nouvelles pratiques. Contact : Sabine Pinatton Tél. : 06 61 45 65 01 Mail : contact@aire-lab.com Site : www.aire-lab.com Adresse : 16, chemin des Lointes Bastides, 84 160 Lourmarin

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e x p o s i t i o n

n o m a d e

© FLORE NT GRO C

FLORENT GROC Les fruits, les bijoux, 2020 Collage digital

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fF oO nN dD aA tT iI oO nN sS

-TIONS G.I.V.E. donne la parole aux experts de terrain, à celles et ceux qui ont fait de la protection de l’environnement leur quotidien. À travers leurs actions, la sensibilisation et le lobbying, ils font bouger les lignes et changent les mentalités. Choisies pour leur engagement, plongez au cœur de trois fondations d’exception qui œuvrent, en France et dans le monde, pour la sauvegarde de la biodiversité.

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GOOD PL

PH OTO © FOU LE À AB EN GO URO U, CÔTE -D’IVO IRE ( 6°4 4’ N – 3° 2 9’ O)

F H O É NR DO AÏ TS I MO EN SS

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D LANET G.I.V.E.

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F O N D A T I O N S

PLANET

C

P H OTO © BA LE INE AU L ARG E D E LA PÉ NINSUL E D E VAL D ÉS, A RGE NT INE ( 42 °23’ S – 64 °2 9’ O)

réée en 2005, la fondation Good­Planet est le prolongement du travail artistique et de l’engagement pour l’environnement de Yann Arthus-Bertrand. La fondation poursuit deux missions principales : sensibiliser le grand public aux enjeux du développement durable et de la solidarité et accompagner, sur le terrain, des projets portés par des ONG locales. Au cœur du Bois de Boulogne, sur 3,5 hectares de nature préservée, la fondation GoodPlanet a pris ses quartiers au Domaine de Longchamp. Une véritable «bulle verte» pour vivre gratuitement l’expérience d’une écologie généreuse et positive, à travers une programmation culturelle transgénérationnelle.

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YANN ARTHUS-BERTRAND

AGIR REND HEUREUX PAR

VI CTO I R E AUB E RT I N ET B É NÉ DI CT E B URG UE T

Yann Arthus-Bertrand est devenu un emblème français du combat pour la préservation de la nature. Pilote de montgolfière, photographe, réalisateur, militant… Depuis 50 ans, par les images et les mots, il alerte, sensibilise et éduque. En 2005, il créé la fondation GoodPlanet dans l’objectif initial de compenser l’impact carbone de ses propres activités sur le climat. Pour G.I.V.E., il lance un appel à plus de radicalité et de solidarité.

S’

intéresser à l’écologie c’est vivre, c’est être un homme debout. Quand on travaille depuis des années pour la nature et avec les animaux, on s’en imprègne dans notre vie, au quotidien. Il y a une grosse différence entre l’écologie de mes 20 ans, ou même de mes 40 ans, où l’on parlait de sauver les rhinocéros, les éléphants et les baleines et l’écologie d’aujourd’hui où l’on parle de sauver l’humanité. Quand on nous dit que la 6e extinction approche et qu’en 2100 la Terre ne sera plus viable, nous faisons tous partie de ce mouvement. C’est ce qui s’est passé avec le Covid-19. Tout le monde disait que ce n’était pas grave et, aujourd’hui, c’est un drame commercial épouvantable parce que nous n’étions pas préparés. Le résultat des dernières élections municipales montre que la prise de conscience écologique est bien réelle mais l’enjeu est devenu bien plus important que la politique, les retraites et le pouvoir d’achat. Aujourd’hui, l’enjeu derrière l’écologie est de sauver toute forme de vie sur Terre, donc tout le monde devrait s’en soucier. Je trouve qu’il y a un manque de courage politique mais aussi de la part de chacun d’entre nous, car c’est lutter contre la normalité que d’avoir toujours plus de confort. On vit dans la banalité du mal. C’est normal de manger de la viande industrielle, de prendre l’avion et la voiture. Après tout, pourquoi s’en priver ? C’est formidable d’aller à New York en 6 heures, d’avoir des produits qui arrivent du monde entier, de manger une viande d’Argentine, des crevettes de Thaïlande et des tomates du Maroc, pourquoi s’en passer ? C’est quelque chose de très spirituel et moral. Puisque tout le monde le fait, ce n’est pas grave. Aujourd’hui, j’essaye de ramener l’écologie à des choses simples entre ce qui est bien et ce qui est mal. Le Pape parle de «la conscience amoureuse du monde», j’aime beaucoup ça, dire qu’on doit être capable d’aimer la vie. Être écolo c’est aussi

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« C’est normal qu’il y ait un décalage aujourd’hui entre un jeune de 15 ans à qui l’on parle de la fin du monde et ma génération. »

aider et aimer les gens. Quand on est jeune, on a l’utopie de croire que l’on peut changer les choses. C’est normal qu’aujourd’hui ils considèrent une Greta Thunberg comme une idole et moi-même, je suis très impressionné par son radicalisme. J’ai arrêté de prendre l’avion en lisant son livre. Elle nous met face à nos responsabilités et c’est très touchant de l’écouter car lorsqu’elle parle, nous ressentons sa souffrance. Je pense qu’aujourd’hui s’engager dans ce combat rend heureux. Car agir rend heureux. Se battre pour une cause, ça fait d’abord du bien à soi. Aujourd’hui, moi qui ai 74 ans, je pense que donner du sens à sa vie c’est très important. C’est quelque chose que j’ai découvert plus tard. Je travaille à la fondation avec des jeunes qui sont 10 fois plus engagés que moi à leur âge. Je fais partie d’une génération qui a vécu dans l’opulence, or je pense que nous n’avons rien fait de mal en vivant dans cette prospérité des Trente Glorieuses étant donné que nous croyions pouvoir le faire. Personne ne se rendait compte des changements climatiques, on envoyait du carbone dans l’atmosphère, les pesticides nous permettaient de produire beaucoup plus. On a cru bien faire même s’il y avait déjà des lanceurs d’alerte. C’est normal qu’il y ait un décalage aujourd’hui entre un jeune de 15 ans à qui l’on parle de la fin du monde et ma génération. Nous sommes la génération de 68, ils sont la génération du changement climatique. Arrêtons de consommer de la viande industrielle. C’est un facteur d’augmentation de gaz à effet de serre de presque de 40 %, c’est énorme. Achetons de la viande dont on connaît la provenance et à son juste prix pour aider les paysans. Et puis consommons moins d’énergies fossiles. C’est tout. Prenons l’avion lorsque c’est vraiment indispensable. Le gouvernement pourrait décider chaque année d’émettre 5 % de gaz à effet de serre en moins mais ils n’ont pas le courage politique ni économique de le faire. C’est compliqué. Et puis surtout, il faut s’engager dans des associations que l’on aime bien et se poser la question «Comment je peux aider les autres ? Qu’est-ce que je peux faire pour aider les réfugiés, les Restos du cœur ?» Ça fait partie aussi de l’écologie. Aider et partager. ❚

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CÉDRIC JAVANAUD

L’ÉCOLOGIE C’EST DU BON SENS PROPOS RECUEILLIS PAR

VI CTO I R E AUB E RT I N

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uelles sont les missions et le rôle du pôle de sensibilisation au sein de la fondation ?

L’année dernière, nous avons accueilli 20 000 enfants, pour les sensibiliser de manière concrète aux thématiques écologiques. Tout cela passe par des activités ludiques, comme nos ateliers de cuisine et notre escape game sur les économies d’énergie. L’idée est de créer une atmosphère qui va les déconnecter et, surtout, créer un moment positif de partage autour de l’écologie. Elle est souvent vécue et perçue comme quelque chose de contraignant. Notre philosophie est de parler d’écologie positive. Et je crois beaucoup au fait que ces moments positifs sont des premiers pas vers la durabilité.

Pour vous, l’écologie est nécessairement inclusive…

L’écologie est souvent perçue comme «destinée» à une niche qui se sent, soit légitime pour en parler, soit être la cible parce qu’elle a les moyens. Il faut que l’écologie soit transversale et concerne absolument tout le monde. Ce n’est jamais évident de parler d’économie d’énergie ou de lutte contre le gaspillage alimentaire à des familles défavorisées. Nous recevons à peu près 2 000 enfants d’associations du Relais du champ social. Pour moi, ce sont nos plus belles réussites, surtout dans un lieu qui se situe dans le 16e arrondissement de Paris, au cœur du bois de Boulogne, entouré par des communes aisées. Et je suis encore plus content lorsque ces mêmes enfants reviennent le week-end avec leurs parents.

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P HOTO © FO NDATIO N GO OD P LA NET - YAN N A RT HU S-B ERT RA N D

L’ambition de GoodPlanet est de placer l’écologie et l’humanisme au cœur des consciences et de susciter l’envie d’agir concrètement pour la Terre et ses habitants. Mais comment rendre l’écologie, un sujet qui ne parle pas encore à tous, inclusive, positive et pédagogique ? Cédric Javanaud, directeur de la sensibilisation chez GoodPlanet depuis 2015, nous partage sa vision solidaire et transgénérationnelle de l’engagement.


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Pour vous, qu’est-ce que l’écologie positive ?

Nous devons rendre l’écologie accessible, réaliste et positive. Tout le monde est légitime quand il s’agit d’agir ou de prendre position, même si nous ne sommes pas exemplaires. Ensuite, l’écologie ne doit pas être perçue comme une contrainte, elle doit être liée aux notions de bienveillance, de solidarité et de partage. Et surtout, je crois qu’il faut le faire sans culpabiliser et surtout sans culpabiliser les jeunes générations. L’écologie doit rassembler toutes les générations car nous pouvons tous êtres des moteurs de la solution.

On voit une rupture générationnelle entre les plus âgés et les plus jeunes dans l’appréhension de cet enjeu majeur. Comment expliquez-vous ce décalage de prise de conscience ?

Il faut s’imaginer qu’à l’époque de nos parents, les préoccupations écologiques n’existaient pas. On n’entendait pas les scientifiques sur le sujet. Le moteur était la croissance, on devait produire plus, il y avait de l’emploi, l’industrie se développait, le transport aussi. C’était quelque chose de nécessaire. Il est difficile de faire comprendre aux adultes que l’écologie n’est pas systématiquement un renoncement. L’enfant, lui, ne vit pas cela comme une contrainte. L’écologie c’est du bon sens aussi. Par exemple, nous ne sommes pas obligés de renouveler notre smartphone tous les 6 mois. Pour les économies d’énergie, nous avons en moyenne 99 appareils électroniques ou électriques chez nous. Nous pourrions nous passer de certains, nous le savons tous.

« L’écologie ne doit pas être perçue comme une contrainte, elle doit être liée aux notions de bienveillance, de solidarité et de partage. »

Croyez-vous en l’importance des «petits gestes» de chacun ?

Il y a deux moyens principaux d’agir : voter et consommer. Chaque français émet 11 tonnes de carbone par an. Si nous voulions rester dans les accords de Paris, il faudrait en émettre individuellement 2 tonnes par an. C’est un défi énorme. Or, si nous améliorons nos habitudes alimentaires, nos moyens de déplacement, notre consommation d’énergie chez nous, nous rejetterions 25 % de cette empreinte carbone en moins. Certes les éco-gestes ne font pas tout mais c’est une part non négligeable du changement avec la transformation des entreprises et la manière dont elles travaillent.

Quelle est l’avancée écologique réalisée cette année qui vous a le plus marqué ?

Il y a cette convention citoyenne qui me tient à cœur. Je trouve que c’est un modèle extrêmement intéressant de démocratie inclusive et participative de la part des citoyens. Cette démarche est très belle et j’espère qu’elle portera ses fruits.

Et celle qui doit être réalisée impérativement en 2021 ?

En ce moment, nous sommes très engagés pour la transition alimentaire et agricole. Je crois que nous devons nous réengager fortement sur le sujet du glyphosate. Il ne faut pas stigmatiser les agriculteurs mais travailler à les sécuriser dans leurs modèles économiques. On doit changer le modèle agricole français pour travailler en circuit court et faire que la France soit autonome. Il faut une agriculture plus petite, plus raisonnée, plus raisonnable. ❚

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F IDER G.I.V.E.

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C P H OTO © SU RFRIDE R

réée en 1990 par un groupe de surfeurs désireux de défendre leur terrain de jeu, la fondation Surfrider Europe mobilise l’opinion publique en faveur de la protection de l’océan et du littoral. Avec une e­ xpertise reconnue, l’association intervient sur trois thématiques principales : les déchets aquatiques, la qualité de l’eau et la santé des usagers, et enfin l’aménagement du littoral et le changement climatique. Elle regroupe plus de 13 000 adhérents et intervient dans 11 pays. Surfrider Europe milite pour une harmonie heureuse entre les hommes et l’océan.

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L’OCÉAN UNE SOURCE INFINIE DE CRÉATIVITÉ PROPOS RECUEILLIS PAR

SARAH H E RZ ET SAMUE L PO NCE T

Chaque année, 8 millions de tonnes de plastiques finissent dans nos océans. Lutter contre ce fléau est un combat quotidien. Antidia Citores, porte-parole de Surfrider Europe, y a consacré sa vie. La fonction de lobbyiste auprès des acteurs privés et publics, qu’elle exerce depuis une dizaine d’années, l’amène à ne jamais se décourager. Passionnée, elle voit dans l’océan, au-delà de sa beauté, un moyen de penser le monde de demain. Elle nous raconte son quotidien de femme engagée et nous donne des clefs pour changer nos comportements.

C

e numéro de G.I.V.E est consacré à l’écologie positive. Comment résonne en vous l’association de ces deux mots ?

À mon sens, l’écologie est intrinsèquement positive en ce qu’elle cherche à faire en sorte que les générations futures puissent hériter d’une planète équilibrée sur le plan écosystémique. Aussi, la notion d’écologie positive se résume dans la nécessité d’une relation équilibrée entre la nature et l’homme. Pour préserver le bien-être et les pensées positives que peut nous apporter la nature, c’est la nature elle-même qu’il faut chérir et protéger.

Vous mentionnez la nécessité d’équilibre dans la relation entre la nature et l’homme. Comment penser cet équilibre ?

La nécessité d’équilibre renvoie à l’harmonie entre la nature et l’homme, notion que nous utilisons beaucoup chez Surfrider Europe. Il faut penser une harmonie entre la nature et l’homme, s’articulant autour d’une relation d’égal à égal, qui rompt avec les velléités de domination. Il s’agit, par l’observation du milieu, de sortir d’une vision utilitaire de la nature, s’appuyant sur l’exploitation des ressources, pour fonder une vision d’échanges

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Dans notre quotidien, quelles actions concrètes peut-on prendre pour préserver les océans ?

par le sport ou l’art. La pratique du surf s’ancre dans cette vision. Comme Gibus de Soultrait, l’un des fondateurs de Surfrider Europe et également philosophe, aime à le dire, le surf est une des seules pratiques où l’on ne fait qu’un avec son environnement par le mouvement. L’idée de s’adapter à son milieu et non pas de le dompter y prend tout son sens.

La première action est la réduction de l’usage des plastiques à usage unique. Surfrider Europe a lancé l’application Ocean’s Zero, qui permet à l’utilisateur de trouver facilement l’alternative réutilisable à un produit plastique dès que cela est possible. La seconde action à recommander concerne les pratiques alimentaires. Il y a une nécessité de privilégier le local et à ce titre, le confinement a sans doute eu du bon en raison de l’absence de produits venus du bout du monde sur nos étals et dans nos supermarchés et, de fait, il a entraîné la redécouverte des productions locales. Pour ce qui est des produits de la mer comme les poissons, ils peuvent bien souvent contenir des produits chimiques, ce qui, au-delà des enjeux écologiques et de provenance, pose des problèmes d’ordre sanitaire. Aussi, je conseille de privilégier les poissons sauvages face aux poissons d’élevage, pour lesquels l’utilisation d’antibiotiques est quasi systématique. Par ailleurs, on sait que les poissons qui sont les plus hauts dans la chaîne alimentaire comme le thon ou le saumon vont avoir une concentration plus forte de produits chimiques dans leur graisse.

Quelles sont les missions sur lesquelles vous travaillez atuellement et les principales urgences ?

Nous sommes en train de créer un label à destination des armateurs du transport maritime – de marchandises comme de passagers. Face au manque criant de traçabilité et de transparence, l’objectif est d’informer le consommateur sur la provenance et le parcours des produits qu’il achète ainsi que sur les meilleures compagnies de ferry en tant qu’usager du transport maritime. L’association a également récemment participé au programme Blue Manifesto 2030, pacte proposé par les ONG au niveau européen pour préserver l’océan. Autour de ce pacte, gravitent aussi bien la question de la protection des aires marines protégées que les questions liées à la pêche, au réchauffement climatique, ou à la préservation des océans face aux pollutions par les plastiques. Ainsi, le Blue Manifesto propose-t-il un ensemble de défis et de solutions aux pouvoirs publics, afin de les pousser à l’action. On travaille aussi beaucoup sur les sujets liés au plan de relance et à son éco-conditionnalité. Il s’agit de s’assurer que les fonds soient alloués selon des critères de respect de l’environnement et d’adaptation au changement climatique.

« Il faut penser une harmonie entre la nature et l’homme, s’articulant autour d’une relation d’égal à égal, qui rompt avec les velléités de domination.»

Selon vous, la nature est-elle à même de favoriser de nouvelles inventivités ?

La nature peut véritablement se faire source d’inspiration. D’un point de vue technologique, elle a beaucoup à nous apporter en termes de création. Je pense notamment au biomimétisme qui permet de trouver des solutions innovantes par l’observation de la société animale. L’émergence de maillots de bain s’inspirant des peaux de requins dans le milieu sportif est, à ce titre, exemplaire. Les possibilités technologiques liées au monde marin sont presque infinies et, au-delà, on a beaucoup à apprendre de l’observation du modèle sociétal marin.

Surfrider Europe bénéficie d’une image cool liée au mode de vie des surfeurs. Vos engagements sont-ils plus faciles à défendre que d’autres causes écologiques ?

Selon moi, c’est moins facile, notamment en raison d’un déficit émotionnel. Ce qui est loin des yeux est malheureusement bien souvent loin du cœur. Dès lors, alors que l’océan est tout aussi régulateur du climat que la forêt, il est parfois difficile de sensibiliser à sa préservation des populations citadines, habitant loin du littoral. En ce qui concerne notre image liée à l’univers du surf, il est certain qu’elle nous amène un certain capital sympathie. Néanmoins, si elle facilite l’adhésion, elle peut se révéler trompeuse et fragiliser notre lutte, notamment auprès de certains acteurs institutionnels qui ne connaissent pas l’association et pensent parfois que nous ne nous attachons pas à des sujets sérieux.

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Une vision, une image de l’océan que vous aimeriez partager…

J’aimerais partager le souvenir de la plage de mon enfance. Située dans les Landes, dans le village vacances des salariés de la RATP, elle s’appelle la plage du Métro. C’est un lieu de paradoxes tant entre son nom et son côté sauvage que dans le contraste entre les rouleaux qui y défilent et les blockhaus tagués de l’armée allemande qui jalonnent la plage. ❚

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PLAIDOYERS POUR Les questions écologiques sont bien souvent indissociables des enjeux de santé publique. C’est le cas pour les eaux usées, la pollution marine, les phénomènes d’érosion et de submersion qui fragilisent un écosystème déjà durement éprouvé et qui ont des conséquences catastrophiques sur la santé des populations. C’est donc au nom de ce double impératif que Surfrider Europe tente de faire bouger les lignes. Rencontre avec les experts des trois axes de travail majeurs de l’association.

Nous avons très peu de recul sur la façon dont les déchets plastique impactent notre santé

«L’immense majorité des déchets – jusqu’à 90 % selon la zone où l’on se trouve – est constituée de déchets en plastique. C’est logique car le plastique tient une place fondamentale dans l’économie et dans nos modes de vie actuels. Les objets en plastique de notre quotidien, souvent à usage unique, mettent des années à disparaître. Une fois qu’ils se retrouvent dans la nature, ils se fragmentent en des morceaux de plus en plus petits, qui contiennent des additifs pouvant être des contaminants chimiques. C’est ce que l’on appelle les microplastiques secondaires, à différencier des micro-plastiques primaires qui arrivent dans le milieu directement en tant que micro-plastiques. Au-delà de la pollution des milieux marins, ce qui préoccupe les gens, c’est leur santé et nous avons très peu de recul sur la façon dont ce plastique pourrait l’impacter, mais il est évident que ce n’est pas bénéfique. Il faut être conscient de l’impact que peut avoir le consommateur sur les grandes entreprises. Elles sont réellement à leur écoute. La sensibilisation est le premier levier pour leur expliquer qu’il faut faire attention à la composition de leurs produits.» Cristina Barreau Chargée de projet expertise et lobbying sur les questions des déchets aquatiques

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Préserver les littoraux contribue à préserver une partie de la biodiversité sur Terre. «Le littoral est une zone particulièrement riche en biodiversité. C’est un lieu de contact entre la terre et la mer qui regroupent énormément d’espèces animales et végétales. Dans l’eau de mer, il y a des planctons qui produisent 50 % de l’oxygène que nous respirons et nous ne savons pas encore comment ils vont réagir au réchauffement climatique. D’un côté, nous avons une pression plus forte des aléas et de l’autre nous cherchons de plus en plus à nous installer sur les littoraux. Nous nous exposons nous-même aux risques d’érosion et de submersion alors qu’il faudrait arrêter de construire aussi près de la mer. Plutôt que de dire ce qu’il ne faut pas faire, nous inventons ce à quoi devrait ressembler le monde. Nous n’atteindrons jamais l’utopie mais, en revanche, elle donne le chemin et montre vers quoi il faut tendre. Je crois que c’est ça le but de l’écologie positive.»

Il ne faut pas parler de LA pollution mais DES pollutions marines. «Il existe plusieurs formes de pollutions dans les eaux qui ont un effet direct sur la santé et contre lesquelles nous nous battons : la bactériologie, les pollutions chimiques et les algues toxiques. À l’heure actuelle, nous demandons l’extension, à la fois temporelle et spatiale, de la surveillance des qualités des eaux, qui est aujourd’hui bien trop partielle, pour se rendre compte des dangers de la pollution pour les baigneurs et les pratiquants d’activités nautiques. Nous voulons améliorer l’information du public, en l’harmonisant à l’échelle européenne, pour impliquer plus fortement celui-ci dans les prises de décisions.»

Adrien Prenveille Chargé de projet sur les questions d’aménagement littoral et de changement climatique

Sarah Hatimi Coordinatrice du bureau Méditerranée de Surfrider Europe à Marseille et chargée de projet sur les questions de la qualité de l’eau et la santé des usagers

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réé en 1961, le Fonds mondial pour la nature (WWF) est l’une des premières organisations indépendantes de protection de l’environnement à travers le monde. Sous l’impulsion de la navigatrice Isabelle Autissier, sa présidente depuis 2009, le WWF France agit pour préserver la biodiversité, lutter contre le changement climatique et réduire notre empreinte écologique. Sa raison d’être : construire un avenir dans lequel l’humanité pourra vivre en harmonie avec la nature.

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VÉRONIQUE ANDRIEUX

CONSOMMER AUTREMENT POUR VIVRE MIEUX PROPOS RECUEILLIS PAR

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En septembre 2020, WWF publie son treizième rapport «Planète vivante» qui dresse un état des lieux de la biodiversité dans le monde. Le diagnostic est clair, des espèces disparaissent à une vitesse affolante, la biodiversité est en déclin. Il est plus que temps de réagir, c’est le cri d’alarme, mais porteur d’espoir, de Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France, pour G.I.V.E.

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e rapport «Planète vivante» rend compte du déclin alarmant du vivant. Il repose sur l’indice planète vivante, indice d’abondance des populations de vertébrés sauvages, qui est un indicateur proxy (c’est-àdire une mesure illustrative d’un phénomène ou d’une condition), de la santé des écosystèmes et donc de la santé de la planète. On parle de 68 % de perte du vivant de 1970 à 2016, un véritable signal d’alerte qui doit nous amener à réfléchir en profondeur sur les causes structurelles qui créent cette situation. Les principales causes de l’accélération de la disparition d’espèces sont, en premier lieu, la perte et la dégradation des milieux naturels. C’est vraiment lié à la conversion des terres et au changement d’affectation des sols. Raser des arbres pour planter derrière des matières premières, souvent en monoculture, comme le soja ou l’huile de palme, afin d’intégrer des chaînes de valeur pour de l’alimentation animale ou des agrocarburants, c’est vraiment la première cause de perte de biodiversité. Aujourd’hui, c’est 75 % des terres qui sont dégradées. La surexploitation de nos océans et des zones humides contribue également à la disparition d’espèces de même que le réchauffement climatique. D’après les scientifiques, il pourrait devenir une des premières causes de déclin du vivant d’ici 2100, avec potentiellement 20 % des vertébrés terrestres qui risqueraient de disparaître. Le moineau domestique, par exemple, a connu, en France, une baisse de 60 % de sa popu-

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faut que nous rentrions dans une logique de sobriété, pas une sobriété de renoncement mais au contraire, une sobriété positive et de choix. Parce que quand on choisit de consommer autrement, on choisit de vivre mieux. Le diagnostic et les chiffres sont mauvais mais les solutions existent et je reste optimiste. Pendant le confinement, nous avons lancé une consultation citoyenne qui a recueilli 1 700 000 votes de la part de citoyens sur des propositions visant à améliorer nos manières de s’alimenter, de se déplacer et de se loger. Au cours des élections européennes et municipales, la société, au sens large, s’est fortement exprimée pour bien démontrer que les questions environnementales sont tout en haut de leurs priorités. On voit la jeunesse se mobiliser depuis deux ans sur les marches pour le climat. Ça me remplit d’optimisme de me dire qu’on a une citoyenneté active, qui a envie de peser dans la balance. Les entreprises aussi commencent à intégrer le capital naturel dans leur compta-

lation depuis 1980 à cause du réchauffement climatique mais aussi de la destruction de son milieu et des pesticides… Cette chute du nombre d’oiseaux montre que quelque chose ne va pas. De plus, quand une espèce disparaît, c’est toute une chaîne trophique qui est impactée. Un réseau trophique est un ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles au sein d’un écosystème et par lesquelles l’énergie et la biomasse circulent. Toutes les espèces, en amont et en aval de la chaîne, qui dépendent du rôle joué par cette espèce en termes d’alimentation, en termes de modification du milieu (par exemple, les éléphants créent des «trouées» à travers la jungle ce qui rend service aux espèces qui ont besoin de lumière) ou encore en termes de déchets (certains animaux dits coprophages se nourrissent d’excréments). Par exemple, il y a des grands singes, des tortues, des amphibiens, des reptiles, qui jouent des rôles absolument uniques et indispensables en termes de fertilisation, de diffusion de graminées, de pollinisation, pour assurer la bonne santé de leur écosystème. Mais nous avons aussi de bonnes nouvelles. C’est important de dire qu’il y a des espèces qui arrivent à reprendre avec force lorsque l’on met en place des plans d’action et de protection et qu’on les laisse se développer. En France nous avons de très beaux exemples : le gypaète barbu, le lynx ou encore le flamant rose. Le cas de la loutre aussi est un exemple très intéressant. C’est une espèce qui est un indicateur de la bonne santé ou non des milieux naturels d’eaux douces car elle est très sensible à la pollution et à la qualité de l’eau. Aujourd’hui, la protection fait partie de l’équation gagnante mais elle ne suffit pas. Il faut aussi agir sur les causes structurelles de perte du vivant et essentiellement sur notre mode de production alimentaire et sur nos modes de consommation. C’est nous-mêmes qui nous mettons en danger. L’Union européenne est l’un des principaux importateurs de produits liés à la déforestation. La France importe plus de 3 millions de tonnes de soja par an pour nourrir le bétail. Donc, aujourd’hui, il est primordial de produire mieux. Produire mieux, ça veut dire moins de pesticides, un système agricole plus économe en énergie, moins basé sur la monoculture, plus autonome, qui dépend moins des importations d’intrants chimiques venant de l’autre bout du monde et qui rémunère mieux les services écosystémiques fournis par la nature. En France, il va y avoir un plan stratégique national pour décliner la politique agricole commune dans notre pays. Cela représente 9 milliards d’euros par an qui arrivent chez nous pour la mettre en œuvre. Donc, comment allons-nous réorienter le modèle agricole en France ? C’est vraiment important de comprendre qu’il y a un réel besoin de flécher ces aides européennes vers une transition, une agriculture plus soutenable et un système de polyculture, avec plus de diversité aussi dans l’élevage. En termes de monoculture, les chiffres sont très parlants : sur les 6 000 espèces cultivées dans le monde, 9 assurent les deux tiers de la production mondiale. Idem si on prend l’élevage : sur environ 40 espèces animales domestiques, 8 fournissent 95 % de la production. Nous préconisons donc un autre mode de consommation et d’alimentation. Il faut diminuer de moitié sa consommation de viande et de poisson pour aller davantage vers des protéines végétales et des légumineuses mais aussi, lutter contre le gaspillage alimentaire. Consommer moins mais mieux, c’est la base. Il

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« Il faut que nous rentrions dans une logique de sobriété, pas une sobriété de renoncement mais, au contraire, une sobriété positive et de choix. » bilité et dans leur modèle d’affaires. Cela permet de donner une valeur à la nature et d’internaliser les externalités négatives. C’est essentiel pour enfin se rendre compte qu’on ne peut plus continuer à traiter la nature comme si elle n’avait pas de limites. Il faut qu’on soit conscient de la valeur de cette nature et de ce qu’elle nous apporte, de la façon dont elle contribue à protéger nos vies. Nous ne sommes pas du tout dans une logique moraliste. Nous sommes tous pétris d’incohérences et de difficultés. Mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras mais, au contraire, pour redoubler d’efforts. Pour moi, l’écologie positive, c’est une écologie de l’action, du terrain, de la mise en œuvre et qui intègre l’ensemble des acteurs de société. Il est essentiel d’être dans la transparence et la redevabilité mutuelle pour faire en sorte que les engagements se traduisent en actions et en résultats concrets.» ❚

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À Madagascar, une immense majorité de la population n’a pas accès à l’électricité et doit donc se tourner vers les lampes à pétrole, les bougies ou encore les piles. L’usage de ces énergies non renouvelables est nocif pour l’environnement, pèse sur la santé des habitants et coûte extrêmement cher. L’alternative ? L’énergie solaire sur une île célèbre pour son ensoleillement.

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epuis 2012, et dans le cadre d’un partenariat international avec l’ONG indienne Barefoot College, le WWF participe au recrutement de femmes malgaches du monde rural amenées à devenir des «ingénieurs solaires» après une formation de six mois en Inde. Remeza, Kingeline, Yollande et Hanitra du village malgache d’Ambakivao font partie du projet. Elles sont aujourd’hui les gardiennes de la lumière dans leur village et capables de fabriquer les composants d’un système solaire, de les assembler, de les installer. Ces véritables «fées électricité» veillent à ce que «Ambakivao qui a été dans la lumière ne retourne jamais dans le noir», comme le rappelle la devise du village. Le photographe Justin Jin s’est rendu sur place. ❚

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TION Comment prendre de la hauteur, dans ce contexte si singulier dans lequel nous vivons, pour imaginer un monde nouveau ?

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JEANNE BRIAND FLUID(S) OF A LOVE SCENE: Jelly Parade, 2019 Photographie numérique de méduses en verre soufflé phosphorescent «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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VALÉ R I E SADO UN

À Syracuse, en Sicile, Patrizia Maiorca défend corps et âme les splendeurs du monde sous-marin. Un combat d’une vie, mené par la présidente de l’aire maritime protégée de Plemmirio. Un trésor dont la préservation est un combat quotidien.

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vrir – et désormais à défendre. «Mon père a été élevé dans la crainte de la mer. Ce ne fut pas le cas pour ma sœur Rossana et moi», affirme celle qui, à trois ans, s’est jetée spontanément dans l’eau à Ustica alors que ses parents, partis se baigner, l’avaient confiée sur terre à un plongeur chevronné. Un petit poisson dans l’eau. «Mon père et ma mère m’ont pris par la main, et j’ai découvert pour la première fois les fonds marins», se souvient-elle aujourd’hui. Comment fait-on le choix d’une vie ? Est-ce parce qu’un père vous fait «le don de la mer, qui est le don d’une existence tout entière», que Patrizia est restée à Syracuse, défendant, avec parfois toute la férocité nécessaire, la beauté du monde sous-marin ? «C’est un peu par hasard, dit-elle. Je suis immensément attachée à ma terre, à ses paysages, à son essence même» – et bien sûr à la richesse extraordinaire de ce que la femme et l’homme ordinaires, vous et moi, ne voient pas : le sous-l’eau, la vie aquatique, ce négatif chatoyant, quasi-hypnotique, de l’existence terrestre. Ce que Patrizia résume en quelques mots : «Le silence, le ralentissement du rythme cardiaque, l’espacement des battements du cœur comme chez les cétacés. La dilatation du temps. Sous l’eau, je suis bien sur un être humain mais aussi un animal marin.»

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image est insolite : une petite femme blonde marche, en compagnie d’un groupe de détenus dans la cour d’une prison sicilienne. Aucun d’eux ne respire : il ne s’agit pas d’une promenade ordinaire, mais d’un cours d’apnée sèche donné, il y a quelques années, à l’institut pénitentiaire de Brucoli, près de Syracuse. Apnée sèche ? Comprendre, sans eau. Et plus tard, quand un bassin leur sera offert par une association, les détenus – dont certains ne savent pas nager – réussiront tous l’épreuve du vidage du masque, quand l’eau salée pique les yeux et pénètre dans les sinus. «Ça provoque des crises chez 90 % de ceux qui s’initient à la plongée, mais aucun de mes douze élèves n’a eu peur», affirme avec fierté la femme blonde. Elle s’appelle Patrizia. En Italie et dans l’univers des apnéistes de compétition, son nom est une légende : Maiorca. Son père, Enzo, est un mythe dans le monde des abysses. Treize fois champion du monde dans la catégorie «no limit» , ayant dépassé les 100 mètres de profondeur en 1988, ce visiteur médical disparu en 2016 et rival historique du Français Jacques Mayol fut aussi l’un des personnages du Grand Bleu de Luc Besson – mais peu satisfait du personnage interprété par Jean Reno, il réussit à bloquer la sortie du film en Italie. Un homme de conviction qui fut aussi un militant environnementaliste de la première heure dans une île où s’entrechoquent tous les contraires : paysages sublimes et mafia, fonds marins exceptionnels et spéculation immobilière à tout va… «Voir ces nouvelles constructions abusives, à moitié abandonnées, alors qu’il existe tout un patrimoine à sauvegarder : ça me rend littéralement malade», affirme Patrizia Maiorca. À 62 ans, Patrizia n’a jamais quitté Syracuse – où alors, elle y est toujours revenue. Elle y est née, à la maison, au numéro de 28 de la via Largo, dans ce trésor d’architecture qu’est Ortigia, le cœur historique de la cité fondée il y a 2 800 ans par des colons venus de Grèce. Elle peut s’enorgueillir d’être une des dernières «roscoglio», celles et ceux qui sont, littéralement, «nés sur le rocher». Avec autour, l’immensité de la mer, de ses possibles, de ses risques, de ses mystères qu’elle aura passé sa vie à décou-

Et c’est à Syracuse, bien sûr, que s’éveille la conscience écologique de cette Poséidonne d’un nouveau genre. Au bout de la ville se trouve la Secca del Capo, l’un des plus beaux spots de plongée de la région. «Imaginez un Panettone, allant de -12 à -35 mètres, rempli de cavités où vivent les mérous, les “corvinie”, parmi des coraux qui s’ouvrent comme des marguerites orange. À la fin des années 1970, les poissons ont commencé à disparaître, les coraux étaient plus rares. Vingt ans plus tard, il n’y avait plus rien : que des filets de pêches flottant comme des drapeaux de mort dans un fond marin déshérité.» Secca del Capo fait aujourd’hui partie de la zone maritime protégée du Plemmirio, créée en 2005, dont Patrizia est la présidente depuis trois ans – «une charge plus qu’un travail : ce n’est pas rémunéré, il n’y a pas de jetons de présence», tient-elle à souligner. Il a suffi de quelques années pour que le Panettone sous-marin retrouve sa vie, mais Patrizia insiste : «Même si la mer est formidablement résiliente, nous sommes sur la voie du non-retour.» Et dans un contexte qui n’a rien d’apaisé : l’association Sea Sheperds, dont elle est proche, organise tous les mois des stages de surveillances quasi-militaire pour décourager les braconniers. C’est en 2014 qu’elle rencontre les responsables italiens de cette ONG. Au fil de leurs pérégrinations sous-marines, elle décide de leur présenter Poppée. Le nom de la deuxième épouse de Néron a été attribué à un mérou un brin coquet qui prend littéralement la pose sur un petit piédestal pour se faire photographier. Mais la Kim Kardashian des mers n’est pas là, ni ce jour-là, ni les jours suivants. Poppée a été tuée par des braconniers. Patrizia explique : «Un mérou de cinq kilos se vend… 120 euros ? Je pourrais bien sûr vous parler des dommages

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environnementaux. Mais c’est aussi une perte financière : la valeur de ce poisson, quand on inclut tout l’écosystème économique qui va autour – celui de la plongée, du tourisme sous-marin… - est cent fois supérieure.» Idéaliste autant que réaliste, Patrizia Maiorca est partie, le matin où nous nous sommes parlé, récupérer un filet de pêche en plastique abandonné à 30 mètres de fond. Un piège mortel pour la faune marine, comme on en trouve de plus en plus depuis quelques années. Un jour, Patrizia, dont l’œil sait virer au noir, a sauvé, dans une situation similaire, une soixantaine de cigales de mer et une quantité de langoustes. «Mon idée, c’est de rendre à mer ce que la mer m’a donné. C’est évidemment présomptueux. Je sais que je reste débitrice. Mais j’essaye, je vais de l’avant, avec la voix qui est la mienne.» Cet été, Patrizia a reçu un mail d’un monsieur mécontent de la présence de méduses sur le littoral. Elle tient à remettre les choses en place. «C’est l’humain qui est intrusif, pas ces animaux à la beauté surprenante, avec cette coupole blanche ourlée de violet où vivent de petits poissons, et ces tentacules qui ressemblent à des lampadaires de cristal.» Plus loin, sur la plage, deux enfants s’émerveillent devant une étoile de mer. L’un veut la prendre, l’autre lui dit qu’il ne faut pas. L’étoile, finalement, restera à sa place, de quoi réjouir celle qui intervient auprès des écoles de la région, pour faire de ses concitoyens les premiers gardiens de la mer. Le message qu’elle défend, ce jour-là, est passé. Patrizia Maiorca travaille en ce moment au projet «Mare Caldo», une installation de thermomètres sur plusieurs paliers pour mesurer scientifiquement le réchauffement des eaux. Elle n’a rien de naïf. Presque 60 ans d’explorations des fonds marins, en apnée ou non, lui ont aussi fait frôler tous les dangers de la mer, à commencer par la «rivoltura», ce soudain changement de conditions météorologiques qu’on ne perçoit pas lorsqu’on est sous l’eau. «La nature est merveilleuse mais aussi périlleuse, dit-elle. J’essaye de rationaliser, pour limiter les risques au maximum. Et puis, de toute façon, même si c’est parfois difficile, militer, c’est aussi s’obliger à un certain optimisme.» ❚

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« Mon idée, c’est de rendre à mer ce que la mer m’a donné. C’est évidemment présomptueux. Je sais que je reste débitrice. »

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CHOUROUK HRIECH Give two, 2020 Gouache sur toile «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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L’ÉCONOMIE ET

L’ÉCOLOGIE SONT-ELLES (RÉ)CONCILIABLES ? PROPOS RECUEILLIS PAR

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Économie et écologie se sont souvent vues opposées. Il faut dire que la science économique a mis du temps à s’intéresser à la question de la valorisation des ressources naturelles et le développement économique s’est longtemps fait sans considération pour l’environnement. Elles ont pourtant le préfixe «éco» en commun et dérivent de la même notion grecque d’oikos, qui renvoie à la gestion de la maison. Face à la menace que fait peser le changement climatique sur nos sociétés, la sociologue Marie-Laure Salles-Djélic explique que penser un modèle qui réconcilie économie et écologie apparaît comme une nécessité impérieuse et un défi à relever collectivement.

Marie-Laure Salles-Djélic, docteure en sociologie de l’université Harvard et première femme à diriger l’Institut de hautes études internationales (IHEID) depuis sa création.

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Notre modèle économique actuel, fondé sur la toute puissance du marché, semble en complète contradiction avec la nécessité de préservation de la planète. Comment en est-on arrivé là ?

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Nous en sommes arrivés là, notamment à cause d’un discours assez simple voire simpliste, qui s’est transformé en idéologie. En effet, à partir des années 80, on a eu un changement de paradigme très net, qui a fait de l’avidité individuelle une chose positive. L’idée était que l’homme est par nature avide et que la somme des avidités individuelles, par l’entremise de la main invisible du marché, pouvait conduire au bien-être collectif. Il s’agissait donc d’une adaptation sauvage de l’économiste Adam Smith dont les principaux chefs de file étaient Friedrich Von Hayek et Milton Friedman. Cette idéologie a connu un succès retentissant au sein des organismes de formation des élites, des entreprises mais aussi des organisations internationales. Elle est aujourd’hui, battue en brèche et la prise de conscience de son caractère problématique, tant dans ses conséquences sociales qu’environnementales, est majoritaire. Néanmoins, changer de système n’est pas aisé, tant les transformations que cela suppose sont profondes. Une des clefs aujourd’hui réside dans le changement de nos systèmes comptables et la redéfinition de la notion de valeur. Il s’agit d’inscrire au cœur des business models des entreprises, à travers leurs systèmes comptables et d’incitation, une vision plus complexe du monde qui s’appuie sur une approche multidimensionnelle de la valeur incluant notamment la valeur environnementale, mais également les valeurs sociale et de bien-être. L’équivalent existe au niveau des États, il s’agit pour eux de passer du produit intérieur brut à des indicateurs de bienêtre multidimensionnels. Aujourd’hui, quelques villes et quelques États comme la Nouvelle-Zélande le font mais on est encore loin de voir une systématisation alors que les économistes travaillent sur ce sujet depuis de nombreuses années et que les outils existent. Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra sortir d’un logiciel idéologique dépassé et fonder une prospérité plus durable.

omment expliquer le long désintérêt de l’économie pour les enjeux écologiques et la préservation des ressources naturelles ?

Il n’est pas tout à fait exact de dire que le monde économique se soit désintéressé des enjeux écologiques. L’analyse historique pousse plutôt à adopter une vision cyclique des interactions entre écologie et économie. En effet, il y a au moins deux périodes importantes dans l’histoire où l’écologie s’est imposée dans le champ économique. La période de la Première Révolution industrielle a donné lieu à un véritable désastre écologique, en particulier en Europe, qui s’est manifesté par une déforestation à grande échelle. On a alors assisté à une forte mobilisation contre la déforestation. Les premiers écologistes, au sens moderne du terme, ont mis en place des écoles de management forestier raisonné, au sein desquelles existaient des discours ­similaires aux discours actuels, fondés sur la nécessité d’une gestion rationnelle des ressources naturelles au service de l’humain. Le début du XXe siècle aux États-Unis, qui correspond aux prémices du capitalisme américain tel qu’on le connaît aujourd’hui, a également été une période marquée par l’affirmation des questions de préservation des ressources naturelles ­– en témoigne la création des parcs nationaux américains qui est intervenue à ce moment-là. Il est vrai, néanmoins, que les enjeux écologiques ont été mis de côté dans les années 30 et ce jusqu’aux années 60. En raison de la crise économique de 1929 puis de la Seconde Guerre mondiale, l’impératif écologique est passé au second plan au profit d’un productivisme débridé, dans une société qu’on pourrait qualifier de société du grand gaspillage. Il a fallu attendre le rapport Meadows de 1972 puis le réel tournant des années 90 pour que l’écologie revienne sur le milieu de la scène dans le monde économique et politique. Ce qui étonne si cela ne scandalise pas, c’est qu’entre la fin des années soixante et il y a encore cinq ans, les éléments scientifiques établissant un péril mortel pour la planète étaient là, pourtant peu, sinon rien, n’a été fait.

Les entreprises vont-elles assez loin aujourd’hui dans leur prise en compte des problématiques environnementales ?

La prise de conscience est là mais un cap reste à franchir. Elles sont aujourd’hui dans une logique de compensation de leur impact négatif par le biais d’initiatives liées à la RSE. (Responsabilité sociale des entreprises). L’enjeu fondamental est donc de passer d’un système où l’on compense pour les externalités négatives que l’on produit vers un modèle où l’on en produit plus. Cela peut paraître d’une grande simplicité d’un point de vue théorique mais c’est beaucoup plus complexe dans la pratique car l’internalisation des externalités négatives suppose de réformer nos systèmes de valeur et d’incitation, ainsi que nos façons de manager… Là où j’ai plus d’inquiétudes c’est qu’on semblait être sur la bonne voie jusqu’en mars dernier mais que la crise du Covid vient rebattre les cartes. La technologie peut-elle être un moyen de réconcilier économie et écologie ? Le terme technologie vient du grec «tekhnê», la main. La techno-

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logie est donc un prolongement de nous-même, c’est l’humain qui la crée et l’utilise. Elle est au départ ce qui a rendu notre survie possible dans un environnement parfois hostile mais elle s’est progressivement transformée en un outil de domination de la nature et du vivant. L’image mythologique de Prométhée qui amène le feu à l’humanité illustre à merveille cette transformation. Le feu est une métaphore de la technologie et de la connaissance, il est ce qui nous permet de nous rapprocher des dieux, et par conséquent peut également nous faire tomber dans l’hubris s’il est utilisé à mauvais escient. Prométhée ne sera-t-il pas condamné par Zeus à une fin tragique pour avoir apporté le feu aux hommes ? Pour ne pas connaître le même destin que Prométhée, il faut donc rétablir la primauté d’une technologie contrôlée sur une technologie de contrôle, et se départir d’une approche de la technologie comme outil de domination pour renouer avec une vision de la technologie comme moyen de cohabitation entre les hommes et leur environnement. Ce n’est qu’à cette condition que la technologie pourra réconcilier économie et écologie.

Comment faire en sorte que les managers et les dirigeants de demain prennent mieux en compte l’impératif de transition écologique ?

Ce qui me réjouit c’est que la génération actuelle est déjà grandement sensibilisée aux enjeux écologiques. À Sciences Po où j’ai enseigné, j’avais demandé à mes étudiants, s’ils donneraient la préférence, pour leur premier emploi, à une entreprise engagée pour l’environnement. 90 % d’entre eux ont répondu positivement, ce qui témoigne d’une forme d’évidence autour de la question climatique chez les jeunes aujourd’hui. L’apparition de mouvements type Extinction Rébellion confirme cet engagement de la jeunesse en faveur de l’écologie. Je pense que de tels mouvements ont un rôle fondamental à jouer, d’autant qu’ils s’inscrivent dans une démarche non violente assumée. Historiquement, c’est par les mouvements sociaux et les expressions claires voire radicales que les causes les plus importantes ont pu avancer. Néanmoins, on ne s’en sortira que par une approche transgénérationnelle. La cause écologique doit marcher sur deux jambes, d’un côté des mouvements sociaux d’ampleur et d’un autre, des actions qui passent par les chemins institutionnalisés et démocratiques, au cœur du système. J’ai moi-même un rôle à jouer, en lien avec la formation des élites économiques et politiques, que je tente d’assumer au quotidien. ❚

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POUR UNE CROISSANCE

RESPONSABLE Sans un engagement environnemental fort de la part des grands groupes, la cause écologique ne saurait avancer. Nous avons rencontré Shailesh G.Jejurikar, CEO de Fabric & Home Care Procter & Gamble et Responsable de la stratégie environnementale de la multinationale. Sa vision réconcilie croissance et environnement, responsabilité et innovation. Un nouveau modèle d’entreprise ?

Q

D’après les estimations les plus récentes de la Banque Mondiale, 10 % de la population mondiale, soit 734 millions de personnes, vit avec moins de 1,90 dollar par jour. Des millions de personnes ont perdu leur emploi à cause de la crise de la COVID-19. La croissance et la préservation de l’environnement sont interdépendantes et inséparables. Un univers économique sain repose sur une planète protégée et des populations en pleine santé. Il y a une vraie attente sur la préservation de l’environnement qui émane de tous les acteurs – consommateurs, investisseurs, salariés, gouvernements, partenaires économiques, société civile. L’été dernier, Procter & Gamble, avec 180 autres entreprises, a signé une déclaration sur la raison d’être des entreprises, qui inclut la préservation de l’environnement à travers des actions allant dans le sens du développement durable. Ces mots deviennent réalité chaque jour grâce à des actions concrètes que nous menons, y compris en lien avec notre objectif de neutralité carbone d’ici à 2030.

uel est votre rôle au sein de Procter & Gamble et en quoi est-il lié aux problématiques environnementales ?

Quelles actions concrètes avez-vous menées pour mettre votre entreprise sur la voie de la transition vers une croissance plus durable ?

Je suis Chief Executive Officer au sein du département Fabric et Home Care de Procter & Gamble qui englobe de nombreuses marques, (les plus connues : Tide, Ariel, Downy, Gain, Febreze, Swiffer) et représente environ le tiers de son chiffre d’affaires et de ses bénéfices. J’ai donc un rôle de coordinateur de 17 000 salariés à travers le monde, afin de pouvoir offrir des produits de qualité supérieure qui comblent les attentes des consommateurs et améliorent leurs vies quotidiennes. Je suis également Executive Sponsor pour le développement durable : je dois définir les actions à entreprendre pour rendre l’entreprise plus responsable sur le plan environnemental. Il s’agit là d’une mission primordiale car elle demande de réfléchir à une croissance qui préserve et protège l’environnement.

Procter & Gamble a fait du développement durable un de ses piliers bien avant que la notion ne soit à la mode. Nous avons publié nos premières études environnementales sur les tensioactifs présents dans les produits de lessive dès les années 50, nous utilisons du plastique recyclable pour nos bidons de lessive depuis près de 30 ans. Nous comptons parmi les premières entreprises à avoir créé une structure en interne, en 1999. Elle publie des rapports sur les problématiques environnementales chaque année depuis. Nous avons récemment annoncé notre plan pour accélérer le progrès dans la lutte contre le changement climatique et rendre nos opérations neutres en termes de carbone d’ici à 10 ans. Ce plan inclut la réduction de nos émissions de 50 % ainsi que l’usage d’une électricité 100 % renouvelable par nos usines de production à l’horizon 2030. Concernant les émissions que nous sommes dans l’incapacité de réduire d’ici à 2030, dans l’état actuel de la technologie, nous les compenserons par le financement de projets luttant contre le changement climatique et visant à protéger et restaurer des écosystèmes menacés tels que les forêts, les marécages, les prairies, ou encore les tourbières. Mais notre ambition est d’aller encore plus loin. Nous touchons avec les différentes marques du groupe près de 5 milliards de personnes dans le monde entier et c’est donc notre devoir de continuer à

Comment parvenez-vous à concilier l’impératif de croissance avec la crise climatique que nous sommes en train de vivre ?

Le débat ne s’articule pas autour du dilemme entre croissance et décroissance mais demande de réfléchir au modèle de croissance que nous voulons dans le contexte de la crise climatique.

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G.I.V.E. COMMUNIQUÉ


innover pour créer des produits qui participent de la sauvegarde des ressources naturelles, énergétiques et en eau. Nous menons un combat pour rendre possible une consommation responsable, sans perte de performance des produits.

Beaucoup d’entreprises sont accusées par les activistes et les ONG de greenwashing et d’hypocrisie. Qu’en est-il vraiment ? Les objectifs environnementaux affichés sont-ils suivis des faits ?

Quand j’ai pris mes fonctions d’Executive Sponsor pour le développement durable en 2016, mon premier défi a été de comprendre les différentes attentes émanant des parties prenantes et de trouver un moyen d’y répondre. Chez Procter & Gamble, nous nous appuyons sur une approche scientifique, basée sur des faits, dans notre manière de définir, mesurer et accomplir nos objectifs environnementaux. Les émissions de carbone constituent un exemple de cette approche. Les concernant, nous utilisons la méthode très répandue du cycle de vie du produit, dont nos scientifiques ont contribué à l’émergence dans les années 80. Pour faire simple, la méthode du cycle de vie du produit mesure les émissions générées à différentes étapes : le sourcing des matières premières, la production, la distribution, l’utilisation du produit et en dernier lieu sa fin de vie. C’est en nous fondant sur cette méthode que nous avons pu définir des objectifs clairs en termes de réduction de nos émissions. Depuis 2010, nos émissions ont chuté de 25 % et nous cherchons à les faire diminuer d’encore 50 % et à n’utiliser que de l’électricité provenant de sources renouvelables à l’horizon 2030. Par ailleurs, nous continuerons à participer à des projets liés aux énergies renouvelables pour accélérer la transition vers des formes d’énergies vertes. Nous avons franchi un nouveau pas, en affichant notre objectif de neutralité carbone d’ici à 2030. Pour ce faire, nous allons conclure un partenariat avec WWF afin d’investir dans des solutions écologiques pour compenser les émissions qui ne peuvent pas être éliminées en l’état actuel de la technologie. Ce ne sont que quelques exemples de nos actions. Nous avons également des objectifs ambitieux en termes de circularité, de réduction de l’usage des plastiques, de protection des sources d’eau, de sourcing respectueux de l’environnement, de sylviculture responsable et bien plus encore. Nos intentions sont sincères et nos actions concrètes et mesurables.

«  La croissance et la préservation de l’environnement sont interdépendantes et inséparables. »

P HOTO © D R

La crise sanitaire actuelle semble annoncer de graves difficultés économiques. Face à ces difficultés, la question écologique ne risque-t-elle pas d’être mise de côté ?

Je pense que c’est le contraire qui a des chances de se produire. À mesure que le monde du voyage et du commerce s’est fermé lors du confinement, on a commencé à voir le ciel s’éclaircir à la faveur de niveaux moins élevés de pollution de l’air. La crise sanitaire a mis en lumière notre interdépendance et l’urgence qu’il y a à protéger et préserver l’environnement. Chaque défi apporte son lot d’opportunités et je pense que la pandémie sera un moment décisif pour accélérer la transition vers un développement durable. ❚

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e x p o s i t i o n

n o m a d e

SARA SADIK © SARA SA DIK

Yahya, 2020 Modélisation 3D «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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R e n c o n t r e

PROPOS RECUEILLIS PAR

SARAH H E RZ

Les baskets Veja allient, depuis quinze ans, le bon sens écologique et une certaine vision du style. Et bien plus que ça. Car l’incroyable succès de deux amis de lycée, c’est aussi l’histoire d’une génération qui questionne beaucoup d’idées reçues. Que dit la basket Veja de notre époque ? Le bon sens écologique est-il une utopie ? Et / ou une source insatiable d’inspiration ? Entretien avec Sébastien Kopp, cofondateur de Veja.

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R e n c o n t r e

Au départ, Veja est une basket écoresponsable mais également socioresponsable. C’est une responsabilité plus globale que simplement l’écologie, une responsabilité d’un système. C’est cela que vous cherchez à nous dire ?

n quoi la conscience de la vulnérabilité de notre écosystème a engagé chez vous un processus créatif relativement inusable depuis la création de Veja ?

En quoi cela a engendré pour vous un regard créatif différent ? Vous êtes quand même l’une des premières marques à rendre des objets écologiques, cool, attractifs, désirables. Parce que c’est ce qu’on avait envie d’avoir. C’est pour cela que j’ai beaucoup de mal avec les termes éthique, responsable et autres mots du champ de la morale, parce qu’au départ, notre démarche était très égoïste. Ghislain Morillon et moi, on était deux Parisiens qui aimions l’économie, la philosophie, sortir, faire la fête, on avait plein de passions. On a créé les baskets que l’on avait envie de porter nous, et on continue à le faire, on crée les baskets que l’on a envie d’avoir. Mais cela va dans tous les sens du terme, cela va de l’esthétisme au sourcing et à la chaîne de production. Une basket qui respecte les populations de la forêt amazonienne, qui rentre dans leur monde. On travaille en étroite collaboration avec eux, on a fait une foultitude de voyages, je ne saurais même pas dire combien exactement. On a six personnes salariées de Veja en Amazonie. Le boss de Veja en Amazonie est né dans la forêt amazonienne.

C’est tout simplement la volonté de créer un monde dans lequel on veut vivre, dans lequel on veut que nos enfants vivent. On a eu la chance, avec Veja, de construire un modèle avec de nouvelles façons de faire. Veja c’est aussi une critique de la société de communication, c’est-àdire que notre rapport à la publicité est inexistant. Nous ne faisons aucune publicité.

On comprend la posture de ne pas vouloir faire de publicité mais la presse a quand même joué un rôle important dans votre exposition et vous savez aussi que sans publicité, il n’y a plus de presse…

Ce n’est pas vraiment une critique que nous essayons de porter avec Veja, c’est plutôt une question. Je pense que le capitalisme est à questionner, et d’ailleurs beaucoup le questionnent en ce moment. Le rôle de notre génération est de le questionner et de le transformer. À notre petite échelle, c’est ce que l’on a choisi de faire avec Veja, sans clamer que l’on va changer le monde parce que ce n’est pas vrai. En revanche, l’on peut créer un exemple qui sera repris par d’autres dans d’autres sphères, dans d’autres lieux, dans d’autres mondes. Je vois l’avenir dans une fin des monopoles, des oligopoles et des mastodontes, avec l’émergence de plein de projets à taille humaine ou un peu plus grands mais qui restent contrôlables. Aujourd’hui, lorsque l’on regarde les grandes entreprises, ce sont des machines qui brisent les gens qui y travaillent, cela n’est pas facile d’être dans une tour à la Défense. Ce n’est pas le modèle de société que nous voulons avec Veja.

Avez-vous un bureau de style ? Non, nous avons un studio. Je crée les collections avec Caroline Bulliot, qui a intégré Veja il y a 8 ans. Il y a aussi Ana et Alexiane qui sont arrivées il y a moins d’un an. Cela commence à être un travail d’équipe véritablement, ce qui est super agréable.

Est-ce qu’il vous est arrivé de faire des compromis créatifs au nom de l’écologie ? Tout le temps. Le design de Veja n’est que contrainte, ce qui est très agréable parce qu’au début on avait qu’un seul matériau utilisable, puis progressivement le nombre de matériaux a grossi pour atteindre aujourd’hui une dizaine. Les contraintes forcent la créativité. Plus il y a de pressions, plus il y a une réponse à ces pressions, réponse qui peut être politique, en termes de design…

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Je n’aime pas le terme «écoresponsable». Ce n’est pas plus responsable qu’autre chose, c’est réducteur. Je préfère l’idée de déconstruire pour reconstruire. Mais j’ai beaucoup de mal avec tout ce qui est responsabilité, éthique et toutes les valeurs morales que cela convoque. Pour moi, l’écologie est une question de bon sens. Dans le débat entre une ville pleine de 4X4 et une ville pleine de vélos, le bon sens est du côté du vélo. Pour moi, l’écologie n’a rien à voir avec la morale. Lorsque l’on dit que l’air est pollué, ce n’est pas moral. Le sens est différent de la morale et c’est là-dessus que l’on s’est engagé avec Veja quand on avait 25 ans.


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Que répondez-vous aux gens qui vous disent que vos matériaux viennent de très loin. Est-ce que la prochaine étape de Veja c’est de produire plus local ?

Je leur réponds que c’est vrai, nos baskets sont fabriquées à 10 000 km de Paris et 9 000 km de New York. Néanmoins, elles sont fabriquées à 1 000 km de São Paulo, où on les vend aussi. Elles sont fabriquées avec des matériaux qui viennent quasiment exclusivement du Brésil, sauf les scratchs par exemple. Il s’agit d’une limite de Veja. Le made in France, j’y suis favorable évidemment. Assembler toutes les baskets en France ou au Portugal, ce serait super mais si tous les matériaux arrivent en pièces détachées du Brésil, c’est presque le même poids et donc le même impact écologique. Or, c’est plus de travail en France, l’aspect économique rentre en ligne de compte. Par ailleurs, il n’y a pas d’arbres à caoutchouc en France ni de coton après il est vrai qu’il y a d’autres matières avec lesquelles on pourrait produire. Pour la semelle, en revanche, il n’y a pas d’alternative française au caoutchouc. On pourrait faire des baskets en lin, des baskets en chanvre, en jute… On a commencé au Brésil parce qu’il y avait toutes les matières dont on avait besoin dans un seul endroit, plus des usines qui respectent les droits des travailleurs. On a poursuivi l’aventure au Brésil et c’est un immense plaisir que de travailler là-bas. À ceux qui disent que les baskets Veja viennent de loin, je leur réponds, ne comparez pas Veja à une utopie parce que ce n’est pas une utopie, on a plein de limites, il y a plein de choses que l’on fait bien, comparez Veja aux autres marques et là, Veja devient presque une utopie. C’est souvent comme cela, on a tendance à toujours comparer à nos rêves, c’est bien, mais il faut rester pragmatique et en lien avec la réalité.

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Qui vous inspire dans cette prise de conscience ?

Je pourrais citer beaucoup d’hommes et de femmes… Jean-François Julliard, le patron de Greenpeace, est une personne qui m’inspire énormément. L’inspiration elle ne vient jamais de là où on croit la trouver. Avec Jean-François, on est très alignés sur la façon dont on pense l’écologie mais il m’a beaucoup inspiré dans le souffle démocratique qu’il a su donner à Greenpeace. Assister à des réunions avec lui a été une énorme claque. Je me suis rendu compte que chez Veja, on en était encore à la préhistoire, dans le sens organisation d’une réunion, libération de la parole. C’était il y a longtemps en 2014 ou en 2015. Je ne lui ai même jamais dit mais il est vrai qu’il m’a inspiré sur l’organisation, le fonctionnement démocratique d’une organisation, le bien-être de chacun. L’inspiration vient toujours là où on ne la cherche pas. ❚

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UNE MODE

PENSÉE PAR LA NATURE ICICLE est un ovni mode niché en plein cœur du 8e arrondissement parisien. Fondée à Shanghai en 1997, cette marque de prêt-à-porter haut de gamme pense la mode autrement en alliant élégance, confort et conscience écologique. Son mantra ? Suivre le cycle de la nature et en sublimer les matières. Entretien avec Bénédicte Ladoux, sa directrice artistique pour évoquer cette philosophie éco-bienveillante qui parle à toute une génération de femmes urbaines.

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a philosophie d’ICICLE est celle du «Made in Earth». Comment cette philosophie s’articule avec l’écologie ?

Selon quels critères sélectionnez-vous vos matières premières pour répondre au triple objectif de qualité, d’éthique et d’écoresponsabilité ?

Chez ICICLE, tout part de la Terre et des richesses qu’elle nous offre. Dans la création de vêtements, le point de départ ce sont les matières. Nous veillons donc à sélectionner les plus naturelles possibles pour s’adapter aux mouvements du corps et à la peau. Le toucher est au cœur de notre approche. Pour cela, nous utilisons des fibres telles qu’elles existent dans la nature. Notre laine par exemple n’est pas teinte, elle a différentes tonalités naturelles. On peut également avoir des teintures naturelles grâce au végétal, comme avec l’indigo. Si vous mélangez l’indigo avec un beige naturel de mouton, vous obtenez une nouvelle couleur. Nous jouons avec ces couleurs naturelles pour les animer à travers la création, les patronages, les volumes, les intentions stylistiques. Avant de parler du style, nous nous intéressons aux matières. Notre souhait est de concevoir des vêtements éthiques qui contribuent à une vie urbaine plus humaine, légère et confortable.

Nous utilisons cinq matières principales : la laine, la soie, le cachemire, le cotion bio et le lin. Nous privilégions au maximum ce dernier par rapport au coton, beaucoup plus écologique. Il nous arrive d’utiliser du chanvre, principalement dans les mélanges mais encore peu. Il y a de plus en plus de néo-matières qui arrivent sur le marché comme les cuirs de raisin, de pomme ou d’ananas. Il ne faut pas non plus trop s’emballer et savoir s’ancrer dans ses fondamentaux. Nous faisons surtout très attention aux fabricants de tissus avec lesquels nous travaillons, On s’assure de leur expérience et de la qualité proposée. Dès le départ, nous avons fait le choix de travailler avec peu de fabricants pour s’assurer qu’il y a un vrai partenariat sur le long terme.

La démarche éco-bienveillante d’ICICLE vous pousse-t-elle à être plus créative ?

Bien sûr, cela m’incite à être toujours plus créative aussi bien en ce qui concerne le sourcing, le développement de matières, les finitions mais aussi les intentions stylistiques. Beaucoup de maisons ont l’habitude de créer énormément de vêtements pour finalement en montrer très peu. Chez ICICLE, chaque vêtement créé doit exister. Cela pousse à être inventif et à toujours anticiper.

Comment produisez-vous et en quelles quantités ?

Nous créons deux collections par an, une été et une hiver, avec un thème annuel lié à la nature. Cette année, il s’agissait de la terre qui est un puits de créativité. Elle n’est pas la même entre l’hiver et l’été, les couleurs, les ambiances et les odeurs sont très différentes. L’année prochaine, cela peut être le ciel. On a une approche très mouvante, on se questionne en permanence sur nos quantités produites et leur impact sur la planète. Notre volonté est avant tout de concevoir des vêtements durables et dans lesquels on se sent bien. Être en harmonie avec la Terre et soi-même, voilà ce qui nous anime.

La marque ICICLE met au cœur de son identité la culture, créant des ponts entre les civilisations chinoise et occidentale. La défense de l’environnement passe-t-elle aussi selon vous par des mutations culturelles ?

Les ponts se sont créés dès le début. J’ai passé un an en Chine le temps des travaux en France. Cela m’a permis d’apprendre à travailler autrement. J’ai découvert chez ICICLE une façon d’aborder le vêtement de manière plus naturelle qui conduit à se renouveler sans cesse. Cette culture chinoise m’a permis d’aborder la mode avec beaucoup d’humilité. Quant à moi, avec ma culture française, je leur ai apporté un regard plus pointu, fondamental pour toujours évoluer. L’idée du mouvement perpétuel, c’est cela que je trouve extraordinaire chez ICICLE. Nous sommes une marque internationale aux racines chinoises. La philosophie taoïste est vraiment au cœur du projet des deux fondateurs. On cherche à faire les choses de manière intelligente et calme. On ne cherche pas à être une marque de luxe de plus. C’est un défi dans un monde où il faut changer vite.

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Vous avez reçu des prix pour votre démarche innovante. Comment utilisez-vous les nouvelles techniques au service de l’environnement pour fonder la mode de demain ?

L’innovation passe avant tout par le choix des matières mais aussi des fournitures. On pense toujours au tissu principal mais un vêtement est un tout. Nous avons récemment utilisé des boutons à base de lait. C’est ce que l’on appelle la galalithe, un processus qui existe depuis les années 20, ancêtre du plastique. Les artisans en font une plaque et viennent par la suite tailler des boutons. C’est 100 % biodégradable et cela participe de l’économie circulaire. Le fournisseur français avec lequel nous travaillons n’utilise que du surplus et s’engage à ne pas utiliser de protéine de lait consommable. Il y a aujourd’hui de plus en plus de demandes concernant ce procédé pour répondre à une démarche d’upcycling. On peut faire, grâce à ces procédés, des imitations nacre, des imitations corne, des remplacements biodégradables.

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ICICLE 35, avenue George V, 75008 Paris 50, rue du Faubourg Saint-Honoré (ouverture fin 2021)

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EXISTE-T-IL

UNE MODE RESPONSABLE ? PROPOS RECUEILLIS PAR

CARO LI NE H AME LLE

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Go for Good est le mouvement créatif et engagé des Galeries Lafayette en faveur d’une mode plus responsable. L’objectif ? Rassembler, en ligne et en magasins, les marques et produits qui ont un impact positif sur l’environnement, le développement social ou la production locale. Damien Pellé, directeur du développement durable des Galeries Lafayette revient pour G.I.V.E sur l’évolution et la mise en œuvre de cet engagement colossal.

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« Notre rôle est de rendre l’écologie plus accessible au grand public. » 194

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À

Maintenez-vous ce label en place toute l’année, pas seulement à la période de lancement en septembre-octobre ?

Oui, et c’est un défi car ce n’est pas qu’une opération, il faut qu’on fasse vivre ce sujet à l’année, en permanence sur un terrain de 70 000 m2 avec 500 marques de mode participantes, en maintenant la même rigueur.

la rentrée, c’était la troisième fois que Les Galeries Lafayette menaient l’opération Go for Good. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Justement, quelle est la rigueur sur les critères demandés ? Est-ce facile d’intégrer l’opération Go for Good ?

Je préfère que seulement 25 % de l’offre soit Go for Good avec des critères exigeants, plutôt que 100 % de l’offre responsable parce qu’on répond à des critères peu exigeants. Le label ne doit pas être facile à avoir. Nous allons peut-être même devoir remonter l’exigence d’un cran pour inciter à aller encore plus loin. Par exemple, on peut d’abord essayer de tout passer en coton bio et s’intéresser ensuite aux teintures. Il faut gérer ambition et réalisme.

C’est un label interne qui existe depuis deux ans, et on le partage également avec le BHV et La Redoute qui font également partie du groupe. Cela permet d’identifier les produits qui ont un impact moindre sur l’environnement, qui soutiennent une production locale ou qui contribuent au développement social. C’est une prolongation de notre métier de commerçant. Notre rôle est de rendre l’écologie plus accessible au grand public en sensibilisant, en expliquant, en créant une émulation. On veut donner envie à ceux qui n’ont pas le label de l’avoir.

Pouvez-vous nous donner un exemple de critère Go for Good ?

Sur la question du Made in France, on colle à la réglementation et on va plus loin. Ainsi, pour la réglementation française, la dernière étape doit être faite en France, mais nous, on demande en plus à ce que 50 % du produit soit créé dans l’hexagone. Par exemple, pour une chaussure, admettons que la tige soit faite au Maroc, la semelle au Portugal, et l’assemblage en France. Et bien pour Go for Good, cela ne fonctionne pas. Un autre exemple flagrant est celui du coton, beaucoup d’entreprises communiquent sur le coton durable. En réalité, quand elles en parlent, il s’agit de coton BCI (Better Cotton Initiative, ndlr), plutôt que de coton bio. Or, le coton BCI est nettement moins exigeant et pour nous ce n’est pas suffisant.

Depuis deux ans, quel constat pouvez-vous faire sur cette opération ?

Les initiatives de marques se sont accélérées. Certaines ont lancé leur première collection écoresponsable chez nous et l’ont prolongée et élargie ailleurs après. Aujourd’hui, 800 marques dont 500 de mode font partie du programme. C’est 300 de plus qu’il y a deux ans.

Comment avez-vous approché les marques qui n’avaient encore jamais abordé le sujet de l’écoresponsabilité ?

Quel est votre prochain défi ?

Il a fallu les convaincre de participer, surtout celles qui craignaient qu’on leur tombe dessus parce qu’elles n’avaient jamais rien fait en ce sens auparavant. On a dû leur expliquer que transformer une offre, ça prend du temps, mais que, pour certaines, en tant que marques leader, elles ont une responsabilité. Les grands noms influencent tous les autres.

Continuer de faire vivre Go for Good. Pour cette édition, on a fait une consultation citoyenne avec 60 000 participants auxquels on a demandé comment agir pour une mode plus responsable. On a eu 3 000 propositions. Du coup, on va devoir prendre de nouveaux engagements pour être en phase avec les attentes des Français.

La situation sanitaire a-t-elle eu un impact sur cette opération ?

P HOTO © E SK AY LIM / E YEEM / GE TT Y IMAGE S

Que dites-vous à ceux qui pensent que cette opération n’est qu’un coup de communication ?

Ça ne fait que renforcer nos convictions. On constate que les tendances à consommer moins mais mieux se sont consolidées. On a gagné dix ans, et c’est tant mieux. ❚

On a pris des objectifs publics : en 2024, 25 % de notre offre sera Go for Good, et 100 % sur notre marque en propre alors qu’aujourd’hui, on est qu’à 40 %. Quant au consommateur, plus il achète des produits Go for Good, plus il a de points de fidélité, car c’est intégré à la stratégie d’achats des Galeries Lafayette.

Comment réagit le public face à ce «label» ?

Aujourd’hui, la part de Go for Good dans le chiffre d’affaires est de 12 %. En septembre dernier, les produits Go for Good se sont mieux vendus. Il faut dire qu’ils étaient mieux mis en avant, mais le marché est aussi plus mature sur ces questions-là.

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PUNTA PITE, Teresa Moller Landscape Studio - Papudo, Chili (2005)

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ARCHITECTURE ET URBANISME SOURCES D’ÉCOLOGIE POSITIVE

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P HOTO © B AL EIN E AU LA RGE DE L A P ÉN INSU L E DE VA L DÉ S, A RG EN TINE (42 ° 23’ S – 64 °2 9 ’ O).

Dd e m a i n

MYSTERRA, MAISON DU PARC DES LABYRINTHES, Atelier Philippe Madec, Qe, Vnac, bois et pierre, Montendre, Charente-Maritime (2014 / 2018)

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d e m a i n

excluant tout autre que lui. Il faut un certain courage pour émettre cette critique car cette définition-là du progrès et de ses instruments a été et reste encore le socle identitaire des architectes au siècle dernier. Or, parler aujourd’hui de la transition écologique, c’est carrément la déclarer obsolète et s’engager dans une autre définition du développement et du progrès. Et il faut alors, comme Philippe Madec l’a fait, reprendre tout par le début, tant à l’échelle mondiale qu’à l’échelle des politiques nationales ou localisées.

PROPOS RECUEILLIS PAR

B É N É D I CT E B URG UET

Quels sont les enjeux du développement durable en architecture ?

Comment imaginer l’urbanisme de demain tout en repensant l’habitat d’aujourd’hui ? Les deux architectes Marie-Hélène Contal, coordinatrice du prix Global Award for Sustainable ArchitectureTM et Philippe Madec, architecte urbaniste et professeur, invitent à redéfinir le lien entre architecture et conscience environnementale.

P HOTO © P IERRE -YV ES BR UNAU D

C

P.M. : Il faut faire «mieux avec moins»1, de manière à ne plus blesser la Terre tout en améliorant la vie des Terriens. En 1997, le Club de Rome le disait déjà dans son rapport ­Factor 42 : «Deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources». «Mieux avec moins» est aussi le moteur du mouvement de la Frugalité heureuse et créative3 et de ses onze mille signataires. Les concepteurs frugaux produisent des architectures enchâssées dans les lieux, par une matérialité douce, des spatialités lumineuses, aériennes et confortables, et par une bienveillance attentive à la Terre, aux êtres et aux sociétés remis au centre du projet d’établissement humain. M.-H.C. : Face à des enjeux qui viennent de surgir, je voudrais ajouter que Vauban parlait déjà, dans ses O ​ isivetés – un grand livre qui rassemble ses réflexions sur la bonne gouvernance – de cette volonté de frugalité, caractéristique de la nouvelle scène d’architecture. En architecture, l’«économie des moyens» n’est pas une invention d’aujourd’hui. Économiser la matière, pour d’évidentes raisons matérielles et structurelles, est un impératif fondateur, présent dans tous les grands traités d’architecture. L’architecture internationale l’a oublié durant les dernières décennies parce qu’elle n’a pas échappé à la société de consommation, et à la confusion volontairement entretenue entre «faire progresser» et «faire consommer». Ce que l’on appelle l’architecture écologique se trouve alors prise dans la critique féroce que les lobbies de la consommation mènent contre l’écologie politique : l’économie de moyens c’est la pauvreté et l’anti-progrès.

omment l’architecture et l’urbanisation peuventelles être source d’écologie positive ?

Philippe Madec : L’état catastrophique de la planète est la conséquence des travaux des bâtisseurs pendant la période moderniste : 40 % des émissions de gaz à effet de serre, 60 % des déchets, 36 % de la consommation finale d’énergie sont le fait du bâtiment. Ces choix suppriment, tous les dix ans, l’équivalent de la surface d’un département en terres agricoles. Si la prise de conscience environnementale se traduit dans les actes, cela n’ira que mieux… La source d’écologie positive est dans l’absolue nécessité de réparer le monde déjà là. Chaque année on ne construit que l’équivalent de 1 % du bâti existant, la part écoresponsable en est infime. L’empreinte catastrophique du bâtiment ne sera pas réduite par la construction neuve… Par la technique et la culture, il s’agit de réhabiliter afin de retrouver de l’estime pour le monde dont nous héritons. À chaque projet, il faut se demander s’il est nécessaire de construire. Marie-Hélène Contal : Je suis toujours frappée, lorsque des architectes français et internationaux aussi engagés que Philippe Madec s’expriment sur le sujet, du fait qu’ils soulèvent le problème de «la période moderniste», ou plutôt le fait qu’on continue, en tant qu’architecte, à suivre ces dogmes. Cent ans plus tard, nous sommes toujours dans ce culte de la «table rase» (démolir et bâtir «un monde neuf» plutôt que réparer), du béton non seulement comme matériau performant, sculptural mais comme «matériau idéologique»,

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Marie-Hélène Contal, critique d’architecture Marie-Hélène Contal est directrice du Développement culturel à la Cité de l’architecture & du patrimoine, coordinatrice du Global Award for Sustainable ArchitectureTM, auteur, Chevalier des Arts et Lettres, membre de l’Académie d’Architecture. Philippe Madec, architecte Philippe Madec est lauréat du Global award for Sustainable Architecture en 2012, chevalier de la Légion d’honneur au titre de l’Écologie, membre du Chapitre Europe du Club de Rome.

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recours aux matériaux biosourcés : l’acier a transformé l’architecture au XIXe siècle, le béton armé au XXe; le XXIe siècle sera fait de bois, de pierre, de terre, de fibres. La réhabilitation thermique est aussi au cœur de l’architecture durable à l’aide de matériaux dont l’empreinte carbone est faible (laine de bois, liège, chanvre, paille, herbe de prairie). Dès à présent nous pensons aussi davantage au confort d’été en réponse à l’augmentation prévue des canicules. M.H.C. : «Que l’architecte ne soit point étranger à la médecine», écrivait Vitruve. Cette allusion fait singulièrement écho, à travers les siècles, à la pandémie actuelle et à la façon dont les villes doivent être reprises. L’environnement très urbanisé dont vous parlez est devenu toxique, de façon systémique. S’attaquer à cette toxicité fait partie du tableau, non de l’éco-construction mais de l’architecture. Un logement «irrespirable» ne l’est pas seulement parce qu’il est mal ventilé mais parce qu’il est spatialement misérable, le confinement l’a cruellement révélé. L’architecture a vocation impérieuse à s’emparer de cette problématique – là aussi, et encore, dans le fil des grands traités… Le bien-être est au cœur de la ​Commoditas de Leon Battista Alberti, dont on relit toujours L ​ ’Art de construire​.

Quelle devrait être la mission de l’architecture de demain ? P.M. : Le rôle des architectes sera essentiel pour accompagner les peuples et les sociétés dans cette tâche qui ne peut être menée sans les habitants, les citoyens. Y parvenir demande aux architectes d’assumer une double responsabilité : d’abord faire le deuil du modernisme et sortir de l’ère machiniste, ensuite, retisser les liens entre la nature et la culture, entre l’établissement humain (territoire, infrastructure, urbanisme, architecture, design) et le vivant. M.H.C. : L’écologie s’élabore entre biologistes, philosophes, ingénieurs, anthropologues, économistes, géographes, etc. Leur parole rencontre de plus en plus l’oreille des gouvernants mais ils ont du mal à trouver la bonne échelle de médiation avec le public. Les citoyens sont peu mobilisés sur le sujet «planète» car ils se sentent impuissants à agir avec ampleur. Il faut alors faire «atterrir»​le projet écologique, comme nous dit le sociologue, anthropologue et philosophe Bruno Latour, et proposer aux citoyens un projet politique concret. Quand les experts de l’écologie cherchent le bon médiateur, l’«utopiste pragmatique» capable de faire faire cinq pas en avant, ils pensent à l’architecte ! Ils sont très curieux et demandeurs de cette profession dont ils perçoivent qu’elle est plus capable qu’une autre de rendre intelligible le projet écologique comme vision collective. Mais en regard de la complexité des enjeux, cet architecte très attendu doit avoir des capacités impressionnantes de dialogue interdisciplinaire. Alors relisons l’architecte romain Vitruve… : «Qu’il soit éduqué, compétent en géométrie, versé en histoire, ait étudié avec attention la philosophie, connaisse la musique, ne soit point étranger à la médecine, connaisse le droit et soit versé en science astronomique…» Que l’architecte ait «de l’habileté dans le dessin» n’étant selon Vitruve que la dernière compétence qu’il ait à acquérir.

Où sont menées les innovations les plus radicales ? P.M. : Elles sont le fait d’une conjonction de conditions singulières : 1/ une envie partagée de faire autrement ; 2/ une condition-situation qui permet à ceux qui partagent cette envie, d’agir sur leur environnement et leur cadre de vie ; 3/ une compétence plurielle : celles des maîtres d’usage, maîtres d’ouvrage et maîtres d’œuvre embarqués dans une même histoire. M.H.C. : Puis-je appuyer encore un peu cette affirmation car elle a le grand mérite de tourner la page d’une idéologie vingtiémiste ? Celle de l’architecte en ​deus ex machina de l’Homme nouveau. L’innovation n’est jamais un acte solitaire. Et «i​l n’y a pas d’architecte sans dialogue​», comme l’écrivait déjà Alberti au Quattrocento. P.M. : Le monde change partout sur le territoire et des graines du possible poussent sur toute la planète. Avec plus de difficultés dans le monde urbain que dans le monde rural parce que la maîtrise des individus et des communautés sur leur environnement y est plus difficile. La vie en ville n’est plus ce grand rêve annoncé par les modernes. L’exode urbain actuel (accéléré par la crise sanitaire) est le fait d’individus très engagés dans un mieux vivre, dans une volonté de donner du sens à leur existence. Ce «grand dérangement de leur vie», comme diraient les Canadiens, nécessite une volonté puissante pour sortir de cette prison actuelle. ❚

Comment adapter l’écoconstruction et l’architecture durable à un environnement déjà très urbanisé ? P.M. : Les principes d’éco-construction frugale s’appliquent à tout contexte, chaque fois de manière différente. Il n’est en effet plus envisageable d’avoir une seule posture générique. On n’appréhende pas de la même manière un château médiéval et un bâti vernaculaire, une ferme dans le Lot et un immeuble d’avant 1948, une construction haussmannienne et une barre de La Courneuve. Avant tout, les principes du «mieux avec moins» sont de trois ordres. Le premier est une conception bioclimatique des projets qui tirent parti de leur environnement ; le deuxième est l’emploi de techniques simples, dites «low tech» (ventilation et lumière naturelle, free cooling, protections solaires) ; le troisième est le

1. Mieux avec moins. Bâtir pour la paix, de Philippe Madec (Éd. Terre Urbaine, Paris, à paraître début 2021) 2. Facteur 4. Deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources, de Ernst-Ulrich von Weizsäcker, Amory Bloch Lovins, L. Hunter Lovins, (Éd. Terre Vivante, Mens, 1997). 3. www.frugalite.org

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PUNTA PITE, Teresa Moller Landscape Studio - Papudo, Chili (2005)

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PISCINAS DO ATLANTICO, Paulo David - Madère, Portugal, (2005)

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EDIFICIO SAN FRANCISCO, José Cubilla - Paraguay (2016)

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CASA PATIOS, Equipo de Arquitectura et José Cubilla - Paraguay (2016)


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THE ROYAL SOCIETY FOR THE CONSERVATION OF NATURE (RSCN), Ammar Khammash - Ajloun, Jordanie (2011)

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THE TWO HULLS HOUSE, Studio MacKay-Lyons Sweetapple Architects - Nouvelle-Écosse, Canada (2011)

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ELEMENT HOUSE, Rintala Eggertsson Architects - Anyang, Corée du Sud (2006)

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VIVIENDA TAKURU PIRIBEBUY, Joseto Cubilla - Paraguay (2017)

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En lançant Caudalie en 1995 avec son époux, Mathilde Thomas souhaitait proposer une marque responsable, inspirée par la nature et les vignes bordelaises. Pour ses 25 ans, la maison accélère encore sa révolution green pour un objectif ambitieux : «zero waste» en 2022.

GÉNÉROSITÉ Ce mot s’incarne chez Caudalie à travers le mouvement 1 % pour la Planète. Nous en sommes membre depuis 2012, après notre rencontre avec Yvon Chouinard. Son propos nous a immédiatement parlé «Le 1 % pour la Planète, disait-il, n’est pas une aumône pour l’environnement, mais le prix que nous estimons juste de payer à la Terre pour avoir le droit d’y exercer notre business.» Donner, ou plutôt rendre ce que la nature nous accorde chaque jour. Notre mission est également d’augmenter la philanthropie environnementale et de tendre vers un exercice de business responsable. Nous nous sommes fixé l’obligation de revoir nos process et nos modes de production. La générosité est un cercle vertueux qui rejaillit sur chaque secteur d’activité de notre entreprise, des employés, aux producteurs jusqu’aux consommateurs. Travailler avec des gens qui ont la même volonté de faire bouger les lignes, c’est aussi un facteur de performance durable indéniable.

INNOVATION Caudalie a conclu un partenariat historique avec les plus éminents spécialistes des polyphénols, puis de l’anti-âge, le professeur Joseph Vercauteren, directeur du laboratoire de ­ l’université de pharmacie de Bordeaux et le Docteur David Sinclair de la Harvard Medical School. Ces deux partenariats ont permis d’extraire les meilleurs actifs et de les combiner pour proposer des soins de plus en plus performants. L’innovation est véritablement au cœur des plantes et de la biotechnologie. Caudalie est à l’origine de 5 brevets et d’un nouveau laboratoire de recherche en cosmétique naturelle au cœur de la Cosmetic Valley.

P H OTO © CAUDA LIE

VALEURS L’entrepreneuriat familial, 100 % indépendant fait partie de nos valeurs. Cette liberté nous confère un pouvoir qui dépassera toujours celui d’une société cotée en Bourse. La crise du Covid a démontré la nécessité de flexibilité, de la proximité, du local. La responsabilité est aussi un de nos piliers. Nous pensons que l’avenir appartient aux entreprises qui endossent toutes leurs responsabilités sur la façon dont elles produisent et sur ce qu’elles offrent au consommateur. Mais cela implique de se remettre sans cesse en question et d’essayer d’être toujours pionniers. Les valeurs véhiculées par notre cosmétique sont inhérentes à la manière dont elle est fabriquée.

ÉMOTION Nous avons créé Caudalie avec la volonté de bousculer le marché et d’apporter plus de sens à la beauté. Nous nous sommes lancés dans l’aventure avec une conscience écologique précoce, notre Cosm’éthique. La beauté ne peut être sans respect pour la nature. L’émotion et le bien-être ­apportés par un soin proviennent aussi de la manière dont il est produit. À ce titre, notre cahier des charges est strict : formules clean, packs écologiques et production durable. Avec un objectif «zero waste». En effet, nous souhaitons faire de Caudalie la plus efficace des marques clean et naturelles, la plus écoresponsable des marques de beauté.

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RE BO LA GOURDE INTELLIGENTE

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omment faire en sorte que notre consommation d’eau ait un impact positif sur l’environnement ? Pierandrea Quarta cadre chez Procter and Gamble, a misé sur l’innovation et la blockchain pour boire de manière responsable. C’est lors d’une dépollution de plage à laquelle il a été invité par l’ONG Project Rescue Ocean, que Pierandrea Quarta a le déclic face au nombre ahurissant de bouteilles en plastique à collecter. Ce futur entrepreneur adepte du concept japonais d’«ikigai», signifiant trouver une raison d’être, a enfin trouvé la sienne. Il se lance dans l’aventure entrepreneuriale en créant REBO, une gourde qui révolutionne les usages et entend lutter contre le fléau de la pollution générée par les déchets plastiques. La gourde est liée à une application sur nos téléphones qui nous

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permet de suivre notre consommation d’eau et dans le même temps de préserver l’environnement. En effet, à chaque fois que l’on boit avec une gourde REBO, la consommation est comptabilisée dans une base de données à l’aide d’un capteur et, comme REBO est partenaire des organisations de collecte de déchets, un signal est déclenché afin qu’une bouteille d’eau en plastique soit ramassée. REBO préserve également notre santé en nous permettant de construire un plan d’hydratation en fonction de la quantité d’eau que nous consommons, comptabilisée sur l’application. Tout cela est enregistré dans un système sécurisé, la blockchain, qui assure la transparence et l’inviolabilité des données. Avec REBO, l’idée est donc de capturer la valeur positive que l’on génère à chaque fois que l’on utilise une gourde plutôt qu’une bouteille en plastique. Innovant et inspirant. ❚

La première gourde REBO vient de sortir de la ligne de production et la commercialisation devrait intervenir d’ici peu. Contact commercial  : Pierandrea Quarta - pier@rebo-Bottle.com

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BLANC SI LOIN SI PROCHE TEXTE ET PHOTOS PAR

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du lien qui nous unirait à lui. Toute considération faite en la matière n’ayant finalement plus guère d’intérêt que si partagée par un certain sens du réel colmaté dans la relation entretenue avec toute cartographie d’une nature ne pouvant plus être laissée seule, à l’abandon ou à la simple disposition de son exploitation économique. Et cette nature dont on nous parle tant, ne mérite-t-elle pas qu’on y sacrifie quelques jours de sa vie régulièrement ? Qu’à cette prise de paroles succède un engagement véritable de chacun d’aller s’y perdre souvent pour la vivre aux tréfonds de sa sensibilité, afin d’en faire une sorte d’initiation quasi-spirituelle et permanente qui finirait – bien plus convaincante et utile que des heures gâchées devant quelques séries documentaires des plateformes de streaming dont la finalité, ne l’oublions jamais, semble quand même n’être que d’augmenter ses profits, le nombre de ses abonnements ainsi que la collecte de notre data domestique – par nous replonger dans notre monde. Celui-là même que nous prétendons aujourd’hui vouloir sauver après lui avoir fait, sans réelle volonté de se comporter ainsi néanmoins, tant de mal. Période d’éveil, de transition salvatrice que nous abordons en ce début de XXIe siècle qui nous conduira soit à vivre sur une planète toujours respirable, soit à y périr asphyxié avec elle qui finira pourtant par nous survivre alors. Et pour ce faire, entre autres mille opportunités à portée raisonnable, le tour du Mont Blanc à pied qui, sur le papier, semble presque inaccessible en est justement le parfait opposé. Un voyage simple, puissamment inspirant, revigorant et qui nous permet de magnifier toutes les certitudes, les poncifs cérébraux qui nous conditionnent sur une nature connue mais jamais vécue ou si peu, en s’y immergeant durablement pour revivre sa faune, sa végétation, ses montagnes avec le regard d’un adulte à qui l’on rendrait son innocence d’enfant qu’on croyait à jamais perdue. Alors seulement, accompagné d’un guide (ou pas, bien que plus pratique), durant une dizaine de jours, traversant trois pays (la France, l’Italie et la Suisse), à la merci d’un des plus majestueux massifs montagneux que la planète met à notre disposition, à dormir en gîtes ou à la belle étoile, tout en marchant chaque jour des heures durant, la possibilité de renaître en ce même monde comme lavé de ses turpitudes afin de relever la tête et de ne plus oublier l’essentiel pour nous : la survie de notre espèce en harmonie avec le monde qui l’a, justement, fait naître. ❚

À force de lire, de penser et d’échanger sur le rôle de la nature, sur sa disparition dans le monde d’aujourd’hui, on en finirait presque par oublier l’essentiel : se reconnecter véritablement avec elle, pour soi-même et comme antidote idéal à l’invasion dangereuse du «tout digital», prescription idoine pour renouer avec notre monde. À cet égard, le tour du Mont Blanc à pied semble une très belle opportunité d’y parvenir.

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’un des mérites du confinement aura sans aucun doute été la possibilité offerte de considérer notre géographie à l’aune d’une boussole remagnétisée selon des limites intimes plus proches de nous-mêmes mais aussi de la carte des territoires qu’il nous incombait de (re)découvrir à proximité. Au délire qui semblait s’être emparé de chacun de voyager toujours plus loin sans plus se soucier des merveilles cueillies en bords de chemins, perdu dans l’écueil d’une extase étroitement liée à la distance parcourue plus qu’à la sincérité de l’émotion partagée, fusse-t-elle découverte aux abords d’une région trop familière au moins dans la projection qu’on pouvait s’en faire. Il semble désormais acquis pour quiconque ayant réfléchi aux périmètres de ses mondes intérieurs souvent nourris du contour des pérégrinations accomplies avec l’idée de découvrir un ailleurs régénérant, que de ces nourritures terrestres qui pouvaient nous sauver – dès lors qu’on se convainquait que nous ne pourrions l’être qu’en donnant autant que nous recevrions –, il fallait les trouver en arpentant les sentiers de nos désirs de voyage au plus près de nos zones habitables. Ces «voyages» étant envisagés non plus comme un seul besoin d’exotisme mais plutôt comme un désir essentiel que nous allions devoir maintenant alimenter pour, aussi, revitaliser ce monde naturel, dont la survie passerait dès lors par la reconnexion avec le vivant, fut-il végétal, et avec la force

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Contacter le guide : Romain Brunet 0676399118 / brunet_romain@hotmail.fr Conseil pratique utile : s’y prendre six mois à l’avance Durée : entre 8 (en version accélérée) et 12 jours de marche Période idéale : mai / juin / septembre

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Vocable traversé Glacier du Miage, col de Tricot, aiguilles du Diable, aiguillette des Posettes, vallon du Nant Noir, alpage de Bovine, combe d’Orny, forêt Mongiroud, tête du Dacier, aiguilles Dorées, Liapeys de Grône, clochers d’Arpettes, le Tour Noir, séracs de Talèfre, refuge de la Charpoua, l’Aiguillon, refuge des Cosmiques, lac de Mya, pointe des Conscrits, Grandes Jorasses, dôme du Goûter, mont Brouillard, pic Wilson, cantine de la Visaille, vallon de la Lée Blanche, la Casermetta…

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Fleurs croisées Sainfoin sombre, Dryade à huit pétales, Violette éperonnée, Épilobe des moraines, Ostruche, Bruyère des neiges, Primevère hirsute, Ail de cerf, Vérâtre verdissant, Céraiste à une fleur, Silène des glaciers, Trolle d’Europe, Ancolie noir-violâtre, Ellébore noir, Clématite des Alpes, Tabouret à feuilles rondes, Saxifrage paniculée, Benoîte rampante, Hélianthème alpestre, Androsace helvétique…

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Animaux devinés Pipit spioncelle, Bergeronnette des ruisseaux, Pic tridactyle, Vipère péliade, Salamandre noire, Triton alpestre, Bouquetin, Lérotin, Casse-noix moucheté, Grand-duc d’Europe, Chouette de Tengmalm, Gypaète barbu, Vautour fauve, Grand Tétras, Buse variable, Vairon, Omble chevalier, Pipistrelle de Savi, Campagnol des neiges, Crave à bec rouge, Lynx, Hermine, Martre, Fouine, Ours brun, Tichodrome échelette…

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CHARLES ROUX Jungle électrique, 2020 encre sur moleskine et mise en couleur

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LA PHILO PROPOS RECUEILLIS PAR

CARO LI NE H AME LLE

Auteur du livre Socrate à Vélo (Ed. Grasset), Guillaume Martin a un profil pour le moins atypique. Diplômé en philosophie et également cycliste professionnel, e 11 au classement général et premier Français du dernier Tour de France, le jeune homme de 27 ans a un avis aussi tranché qu’avisé sur la pratique de la petite reine et son retour en force dans le cœur des urbains. Ou comment réconcilier pratique sportive et activité intellectuelle.

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Comment alliez-vous vos deux passions, philosophie et vélo ?

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Ce sont deux choses différentes que je traite différemment. Mais je m’amuse à faire des ponts entre les deux. Ainsi, pour mon mémoire de Master, j’ai envisagé Nietzsche comme un possible père du sport moderne, bien plus authentique qu’un Pierre de Coubertin. Car tout le discours sur l’olympisme et l’essentiel c’est de participer, ça ne fait pas du tout partie de mon quotidien. Je considère que c’est une idéologie placée ici pour masquer des choses dont on aurait honte. Résultat, il y a un certain nombre d’hypocrisies et de dérives qui en découlent. Le sport, et notamment le cyclisme, gagnerait à être pensé de manière plus authentique.

omment expliquez-vous cette montée en flèche du vélo comme mode de déplacement idéal pour les citadins en mal de verdure ?

Le vélo impose un rythme idéal pour se balader. À pieds, on ne va pas assez vite, en voiture, c’est l’inverse. Ajoutez à ça les considérations écologiques, ça en fait un moyen de déplacement parfait. Et puis, le confinement a révélé des idées latentes dans l’esprit des gens, un mode de vie et de déplacement respectueux de la nature avec un rapport direct aux choses. À vélo, on a une vraie perception du territoire contrairement au métro, où l’on est déconnecté.

C’est-à-dire ?

Il n’y a pas de honte à s’inscrire dans un esprit de compétition, avec tout ce que ça implique, quand on est dans le cadre institutionnel du sport. On en a honte, contrairement à la société capitaliste. Alors que c’est là, dans le cadre du sport, que l’on pourrait déverser nos penchants violents. Le cadre et les règles du sport les protégeraient.

Le vélo et sa pratique, en quoi est-ce un sujet pour un philosophe ?

Le vélo est un outil assez récent donc il n’y a pas beaucoup de théoriciens. Mais c’est vrai qu’il y a un lien entre le Tour de France et de grandes plumes comme Albert Londres ou Antoine Blondin. Le milieu intellectuel a toujours eu une grande fascination pour le Tour et son côté épique. Dans une société où on a longtemps séparé corps et esprit, il y a toujours une fascination pour ceux dont le métier est de vivre par leur corps. Le judéo-christianisme est à l’origine de cette séparation. Selon ce courant de pensée, le vrai monde est spirituel, le corps c’est le mal. Aujourd’hui, il y a une prise de conscience.

Le vélo réconcilie-t-il le corps et l’esprit ?

Une fois qu’on a atteint un certain niveau pour ne plus avoir peur, il y a un vrai plaisir du lâcher-prise. À vélo, on peut atteindre un véritable état de plénitude. On est là, sans être là. On peut aussi n’être plus qu’un corps. Il m’arrive de me réveiller après 10-15 kilomètres. Pendant ce temps-là, j’étais simplement présent au monde. Dans la pratique, on peut tous atteindre ces sensations.

Vous arrive-t-il d’avoir des fulgurances à vélo ?

J’ai des réserves sur le mythe de l’idée géniale qui apparaît d’un coup. Mon temps de maturation est plus lent, mais il est vrai que sur le vélo, des réflexions voient le jour. C’est quand on est dans une forme de lâcher-prise et dans un mouvement qu’on trouve des solutions à nos blocages.

«  À vélo, on a une vraie perception du territoire. »

P HOTO © E LL IOTT KAU FM AN P H OTO GRA PH Y / GE TT Y IMAGE S

Comment se met-on un jour à faire du vélo de manière intensive ?

J’ai pris ma première licence dans un club à l’âge de treize ans, mais je suis professionnel depuis six ans seulement. Très tôt, ce qui m’a nourri, c’est l’instinct de compétition. J’ai très tôt essayé de battre mon propre record sur les routes de Normandie où j’ai grandi. Il y a un vrai plaisir lié à la vitesse.

Comment roule-t-on quand on se prépare pour une course ?

Vous avez participé au Tour de France qui s’est exceptionnellement déroulé à la fin de l’été. Comment l’avez-vous vécu ?

Je roule quasi quotidiennement, mais je ne roule pas pour rouler. J’ai un entraîneur qui me prépare. Grâce à lui, j’ai fait un stage en altitude où l’idée était de dormir à plus de 2000 mètres pour préparer l’organisme à un air raréfié. Dans ces moments-là, un certain nombre de mécanismes physiologiques entrent en jeu : on est essoufflé plus rapidement, on a des légers maux de tête… Le corps subit une forme d’agression mais du coup, une fois de retour au niveau de la mer, on est plus performant.

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C’était un Tour exceptionnel vu le contexte sanitaire. Pourtant, j’ai pu observer quelques incohérences, des zones de départ où il y avait interdiction totale de public, et quelques kilomètres plus loin des endroits bondés. Mais quand on était dans le feu de la course, on n’y pensait plus. Le sportif avait repris ses droits. ❚

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PROPOS RECUEILLIS PAR

CARO LI NE H AME LLE

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À quinze ans, Victor Noël publie «Je rêve d’un monde…», un plaidoyer pour protéger la biodiversité. Dans cet ouvrage, le jeune activiste au discours percutant rappelle l’importance du vivant et notre lien indéfectible à une nature que nous méconnaissons trop souvent. Rencontre avec un jeune homme aux yeux grands ouverts dont la parole sans langue de bois remet les idées en place.

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«  On traverse une crise de la sensibilité dans notre rapport au vivant.  »

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Ces gestes peuvent-ils vraiment changer les choses ?

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Le pouvoir des lobbies est tellement puissant que, les instances gouvernementales ont beau avoir envie de changer le système actuel, le frein est énorme. Il est malgré tout important de voter pour des gens qui sont vraiment motivés pour faire bouger les lignes. Et même si on dit que c’est trop tard, je pense que ça ne veut rien dire. Mais c’est vrai que si on n’est pas énervé, ça ne marchera pas.

uand as-tu pris conscience de l’importance du vivant ?

Je l’ai vraiment ressenti en faisant un tour d’Europe avec mes parents. Puis en me baladant dans mon jardin en Moselle. ­Finalement, j’ai réalisé que nous sommes détachés du vivant, qu’on ne le connaît pas, on ne prend plus le temps de le regarder. On traverse une crise de la sensibilité dans notre rapport au vivant.

Comment vis-tu ton engagement au quotidien ?

Pleinement, notamment car je suis scolarisé à la maison. C’est d’ailleurs grâce à cela, à ce mode de vie, que j’ai pu écrire ce livre.

As-tu l’opportunité de parler de toutes ces questions-là avec des jeunes de ton âge autour de toi ?

Vers chez moi [en Moselle ndlr], il y a des jeunes de Youth For Climate avec qui on échange sur les questions liées au climat, mais pas vraiment du vivant. Je trouve d’ailleurs que dire qu’on veut protéger la planète, ça ne signifie rien. En réalité, ce qu’on détruit, c’est ce qui vit sur cette planète. On a tendance à oublier que c’est le vivant qu’on détruit et à travers lui, on s’autodétruit.

Comment se manifeste cette crise de la sensibilité ?

Ce sont des façons de faire et aussi un langage. Par exemple, on donne beaucoup plus d’importance à l’ouverture d’un centre commercial qu’à l’entretien d’une zone humide. Dans ma région, ces centres poussent comme des champignons. Pourtant, on ne se pose jamais la question des espèces impactées par ces ouvertures. On parle aussi de nuisibles ou de mauvaises herbes, c’est révélateur de notre manière de percevoir le vivant.

Comment envisages-tu l’avenir ?

J’ai du mal à me projeter. On sait que 80 % des insectes pollinisateurs ont disparu en trente ans. Va-t-on aussi continuer à détruire les ressources de l’océan ? Comment allons-nous continuer de respirer sans phytoplanctons ? On sait qu’un jour ou l’autre l’avenir ne va pas être rigolo pour nous les humains.

Comment réagis-tu face à ça ?

Quant à ton avenir, as-tu déjà une idée de ce que tu veux faire ?

Sur le coup, je suis en colère et ça m’attriste. Puis, ça me motive pour essayer de faire bouger les choses. Même si je trouve que ça n’avance pas comme ça devrait, ça avance très lentement. Par exemple, la France a été mise en demeure par l’Europe pour non-respect de la loi oiseaux.

J’aimerais faire du maraîchage en agroécologie. Je veux cultiver en respectant les sols. On sait qu’on prend une pente irréversible, alors autant essayer de créer une société plus résiliente que notre société actuelle trop tournée vers le profit. ❚

Concrètement, que fais-tu au quotidien pour faire avancer les choses ?

Je fais des animations dans des écoles pour alerter les plus jeunes. Je constate qu’ils sont sensibilisés alors que notre société à un fonctionnement aux antipodes. Le problème c’est que tout cela prend du temps alors que la destruction est rapide.

P HOTO © D R

Comment commencer ? Que peut-on faire à échelle individuelle ?

Il faut agir concrètement en commençant par manger moins de viande. Je suis vegan et j’essaye de manger le plus localement possible même si mon père continue de manger de la viande. Je sais que les plus grands freins ce sont les habitudes, c’est compliqué de faire changer de régime une personne qui a mangé de la viande toute sa vie. Par ailleurs, je n’ai pas de smartphone, mais un vieux portable.

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© INÈ S LO NGE VIA L

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INÈS LONGEVIAL Dandelion, 2020 Pastel à l’huile

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d e m a i n

PAR

VI CTO I R E AUB E RT I N

« À mon sens, la connaissance et la pédagogie sont les principaux enjeux de l’écologie, bien plus que le militantisme. »

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Après l’émergence de nouveaux mouvements comme Youth for Climate sous l’impulsion de Greta Thumberg, peut-on dire aujourd’hui que la jeunesse est plus engagée et mobilisée face aux problématiques environnementales que les autres générations ? Arnaud Zegierman, sociologue et directeur associé de l’institut Viavoice, donne son éclairage sur l’implication des différentes générations dans la cause écologique. GÉNÉRATION

À travers nos études, nous nous rendons compte que les problématiques environnementales touchent toute la société mais certains sont plus ou moins sensibilisés et, surtout, sont plus ou moins enclins à agir. On remarque ­– quand on sonde la population – que le niveau de compréhension sur ce qui est néfaste pour l’environnement n’est pas si élevé. Même s’il y a des évidences, comme la voiture ou l’avion par exemple, on ne prend pas conscience de tous les moments où l’on pollue. Je pense notamment à la pollution numérique que nous n’avons pas forcément tous en tête. À mon sens, la connaissance et la pédagogie sont désormais les principaux enjeux de l’écologie, bien plus que le militantisme. En France, nous en sommes tous plus ou moins convaincus mais il faut surtout comprendre comment agir. Une fois que l’on est sensibilisé, il faut savoir comment faire au quotidien.

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d e m a i n

« Pour s’intéresser aux problématiques de société, il ne faut pas avoir un quotidien trop difficile »

GÉNÉRA CATÉGORIE SOCIALE

Au-delà des générations, il faut tenir compte d’un paramètre très important : la catégorie sociale et les difficultés auxquelles chacun est confronté. Nous l’avons remarqué dans le cadre d’une des questions de nos études : «Diriezvous que le fait de consommer responsable ou durable est pour vous quelque chose d’important ou pas important ?» 87% des Français répondent que c’est important, c’est donc quelque chose de très partagé. Néanmoins, nous observons un écart entre les classes les plus favorisées qui répondent positivement à 91 %, contre 84 % pour les catégories populaires. Pour s’intéresser aux problématiques de société, il ne faut pas avoir un quotidien trop saturé de difficultés, notamment économiques. Lorsque vous vivez dans une région où il y a peu de transports, pouvez-vous vous passer de votre voiture par exemple ? Quand vous devez déposer vos enfants à l’école, aller travailler, faire les courses… Cela dit, ces écarts entre catégories sociales existent mais ne sont pas si colossaux et se réduisent au fil des années.

« Chaque génération s’empare des enjeux environnementaux à sa manière, avec ses codes. » PASSAGE À L’ACTE

Le deuxième élément qui me paraît très important, est celui du passage à l’acte. Les retraités, par exemple, agissent plus qu’on ne le croit. Ils avaient peut-être des mauvaises habitudes mais en ont pris conscience et commencent à agir parce qu’ils ont été sensibilisés, ont pris le temps de se pencher sur la question et ont ensuite modifié certaines de ces habitudes. Les jeunes se déclarent, dans les études, plus sensibilisés que les autres et plus enclins à changer concrètement leurs habitudes. Cependant, une fois rentrés dans la vie active et confrontés aux mêmes contraintes que les adultes, polluerontils vraiment moins ? Chaque génération s’empare des enjeux environnementaux à sa manière, avec ses codes. mais aussi avec les difficultés propres à sa période de vie. Les actifs, par exemple, doivent faire face à de nombreuses contraintes et la volonté de changer de comportement se heurte parfois à des embûches très factuelles qui peuvent faire pencher la balance coûts / bénéfices du côté de solutions parfois moins favorables à l’environnement.

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« L’écologie ne doit pas diviser, elle doit nous emmener vers une même direction, qui nous rassemble tous. »

ATION « Je trouve cela rassurant que la conscience écologique et environnementale ne soit pas dictatoriale. »

CONVERGENCE ET SENS

Je ne suis pas du tout pessimiste, je pense que le changement est en cours. Mais est-ce que ce changement est assez rapide pour faire face à ces enjeux écologiques ? Il va falloir que l’on soit très habile par rapport à la crise du Covid-19 pour ne pas laisser cela derrière nous. L’écologie positive c’est pour moi deux choses. La convergence : l’écologie ne doit pas diviser, elle doit nous emmener vers une même direction, qui nous rassemble tous. Et le sens. Je crois vraiment que l’écologie punitive est une voie très risquée. L’écologie positive c’est une direction vers un progrès commun dans la société qui ne signifie surtout pas une nostalgie d’un monde sans frigo et sans voiture mais un mode de vie adapté aux nouvelles envies et aux nouveaux besoins. La convergence et le sens sont les deux mots-clés, l’écologie ne doit pas être un sujet qui divise mais qui rassemble.

CONSOMMATION RESPONSABLE

À la question : «Quelles sont les raisons qui vous détournent, à titre personnel, d’une consommation responsable ou durable ?», on peut distinguer trois facteurs. Pour 47 % des interviewés, le frein est économique. Ce chiffre s’élève à 61 % chez les jeunes. Il y a donc le sentiment collectif que consommer durable coûte plus cher, notamment à cause des produits bios. Or, une consommation responsable ne se résume pas qu’au bio. Mais, dans certaines familles, lorsque les enfants réclament du Nutella, parce que leurs copains en mangent et que c’est un symbole d’appartenance sociale, il est plus difficile de le leur refuser pour des raisons financières que pour des raisons morales. Le deuxième frein que nous observons est le manque de connaissance sur la manière de consommer durable. Comment faire jouer la concurrence entre les entreprises sur les critères écologiques ? En lisant les rapports d’activité d’entreprises par exemple, il est très délicat pour un non expert de faire la différence entre celles qui font du greenwashing et celles qui agissent véritablement. C’est difficile d’identifier des indicateurs de sincérité qui permettent de savoir en tant que consommateur, et même en tant que salarié d’une entreprise, qui est réellement éthique. Et enfin, il y a un troisième frein, que je trouve assez amusant ; 14 % des gens nous disent : «Je m’autorise un écart de temps en temps et c’est ce qui freine ma consommation durable.» Chez les 18-24 ans, ce chiffre s’élève à 23 %. Je trouve cela rassurant, c’est bien que la conscience écologique et environnementale ne soit pas dictatoriale. Chez les plus de 50 ans, les écarts sont très rares. Quand ils sont sensibles à la cause, ils le font de manière très rigoureuse.

G.I.V.E.

Étude en ligne sur les évolutions sociétales réalisée par Viavoice du 8 au 12 octobre 2020 sur un échantillon de 1 001 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, résidant en France métropolitaine. Représentativité assurée par la méthode des quotas appliquée aux critères suivants    : sexe, âge, régions, catégories socioprofessionnelles, catégorie d’agglomération.

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© B ÉRÉ NIC E G OL MA NN

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BÉRÉNICE GOLMANN Cycle, 2020 Illustration digitale

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P h i l a n t h r o p e d i a

PAR

ANTO I NE VACCARO

PRÉSIDENT DE FORCE FOR GOOD

L’expansion fulgurante et planétaire de la pandémie Covid-19 est évidemment une très mauvaise nouvelle, d’un point de vue sanitaire, mais, espérons-le, une excellente nouvelle pour ce qui est de la prise de conscience de la destinée de l’humanité, face à la dégradation de notre environnement et le réchauffement climatique.

D

ans le monde d’avant le confinement, qui semble si loin, des voix, dont celle de Bill Gates1, s’élevaient pour nous alerter sur des risques épidémiques inéluctables. La Covid-19 est venue confirmer cette «prédiction», de façon magistrale. Que prophétisait Albert Einstein au milieu du siècle dernier : «Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre.» Cette affirmation nous paraissait si spéculative qu’elle semblait être un scénario de science-fiction. Mais la réalité dépasse la fiction. 70 % des espèces ont disparu ces cinquante dernières années2. Si un certain nombre de décideurs climatosceptiques continuent à nier la catastrophe qui arrive, un mouvement de fond prend de l’ampleur, porté par les jeunes générations, convaincues que les États ne s’impliqueront de façon décisive que sous la pression de la société civile. C’est un combat titanesque, à l’instar de la lutte contre les maladies infectieuses, pour lesquelles des résultats probants ont été obtenus, grâce aux fondations privées de milliardaires, encore trop souvent anglo-saxonnes, en tête desquelles la Fondation Gates. Ce constat n’est pas sans nous interpeller, nous européens continentaux, thuriféraires de l’État providence, car il pose la question de la performance de la puissance publique comparée à celle des fondations philanthropiques. La principale critique opposée au système administratif complexe est sa lourdeur et sa lenteur face à un monde qui nécessite de plus en plus de vitesse, d’agilité et d’adaptation. Pour répondre à cette difficulté et contrebalancer cette «domination» du modèle philanthropique américain, un appel vient d’être lancé, aux milliardaires européens, par 76 scientifiques, pour créer une fondation européenne de prévention des crises sanitaires et environnementales3. Leur tribune proclame : «Il suffirait qu’une centaine de grandes fortunes contribue à hauteur de 200 millions d’euros pour répondre aux défis imprévus, en complément des mesures adoptées par les états européens.» Une merveilleuse utopie ou simplement l’irrésistible puissance d’une idée dont l’heure est venue, pour paraphraser Victor Hugo ? ❚ 1. ted.com - 2. lci.fr - 3. lemonde.fr

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h o r i z o n s

CE QUE LA

DIT DE NOUS PROPOS RECUEILLIS PAR

ROMAI N B RUNE T

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PH OTO © ART UR D EB AT / G ET TY IMAG ES

La forêt est «un état d’âme» écrivait le philosophe Gaston Bachelard. Elle est au cœur de nombreux best-sellers, de documentaires, d’essais, de films et elle a manqué aux citadins confinés… Que dit-elle de notre mode de vie contemporain ? Romain Brunet, ancien ingénieur, a changé de vie pour devenir accompagnateur en montagne. Il nous dit pourquoi et comment la forêt est devenue son indispensable quotidien.

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h o r i z o n s

beaucoup cet arbre parce que les forêts de hêtres sont des forêts assez sombres, assez intimes. De plus, si le hêtre se met à pousser un peu en marge de la forêt, il grandit de façon contrariée, ce qui donne de très belles formes. On se rend de plus en plus compte que les arbres sont des organismes vivants à part entière. Pour tous les organismes du vivant, le but est de survivre, et survivre c’est aussi s’aider et se reproduire. Dans une forêt, les espèces comme le hêtre, vont s’aider en communiquant par leurs racines. Quand on voit un arbre, il raconte donc une histoire. Il n’est pas neutre qu’un arbre pousse droit, tordu, avec des branches qui se cassent. Rien qu’en regardant un arbre, on peut déterminer approximativement son âge et son histoire, comment il a poussé, à quels aléas il a été soumis, a-t-il été touché par la foudre, un coup de vent.

J

e suis né du Vercors. Mon ancrage est dans les forêts de hêtres. Je suis ingénieur spécialisé dans les énergies renouvelables, j’ai toujours voulu faire quelque chose en lien avec, mais travailler dans un bureau, même dans cette optique, était en fait impossible pour moi. À trente ans, j’ai décidé de tout quitter et de réaliser un rêve : devenir accompagnateur en montagne. J’ai passé mon diplôme et je ne l’ai jamais regretté. La nature m’apporte de l’énergie. Quand je marche dans la forêt, j’ai l’impression de m’ouvrir. Lorsque je marche dans une ville, j’ai le sentiment inverse : les lignes dures, l’omniprésence du béton, le bruit me réduisent. Il n’y a aucune monotonie dans une forêt. La première odeur lorsque l’on commence à marcher est toujours différente. On sort et on se dit «tiens ça sent la neige ou ça sent la pluie»... Même les saisons ont des odeurs, «ça sent l’automne» actuellement. Les changements résultent aussi, malheureusement, de l’érosion de la biodiversité. On entend de moins en moins d’oiseaux dans les forêts du Vercors. Le silence a remplacé beaucoup de sons d’oiseaux.

«

Le fait d’être accompagnateur a du sens car justement je me vois comme un lien entre la nature et les gens. Si une personne est citadine et n’a pas de lien quotidien avec la nature, je vais pouvoir lui permettre de découvrir ou de redécouvrir la nature. Je vais essayer de faire comprendre car pour moi tout est là : découvrir pour faire comprendre, comprendre pour aimer et par la suite aimer pour protéger. Marcher en forêt avec des enfants c’est essentiel ; mon rôle est de sensibiliser et d’éduquer. Et c’est un besoin grandissant. Notre société est complètement déconnectée de la nature. C’est ce qui pour moi induit un mal-être profond. On réduit la nature à un usage, on va s’en servir pour aller courir, ou pour sa promenade du dimanche dans un parc où la nature est très contrainte. Pour moi, la nature est bien plus que cela, on est une partie de la nature et on ne peut donc pas la réduire à un usage. Dans une forêt, on se rend compte que l’on se sent bien et ce sentiment de bien-être s’explique par le fait qu’on se relie à quelque chose d’important.» ❚ romain-montagne.com

Le fait de devenir accompagnateur m’a permis d’emmagasiner des connaissances sur le monde du vivant, ce qui aide à affiner son regard. On va se demander pourquoi un tel arbre va pousser de telle manière, ce qui justifie la présence de cet arbre dans cette forêt alors que ce n’est pas son biotope. Puis, on s’approche de l’arbre, on porte un regard au sol et on aperçoit des tas de cailloux formés en rectangle, témoins de la présence d’habitants de ce lieu. Cet arbre a probablement été planté il y a 200 ans. C’est l’arbre qui me fait découvrir que la forêt a une histoire, qu’elle raconte des histoires. Dans le Vercors, il y a un arbre qui est partout, c’est le hêtre. J’aime

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© MA RIO N C HA RLE T

MARION CHARLET Cruising VI, 2020 Acrylique sur toile «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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PAR

JEA N-MI CH E L DE ALB E RT I

Hôtels au cœur de la forêt, éco-lodges et retraites bien-être, idées d’escapade à la campagne pour un ressourcement au plus près de la nature.

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P HOTO © E MM ANU E L BE RTH IER

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ESCAPADE BIEN-ÊTRE En Bretagne

Le petit village de La Gacilly, situé dans le Morbihan a vu naître la célèbre marque créée par Yves Rocher. L’entrepreneur a imaginé l’hôtel de ses rêves au cœur de ses terres bretonnes, ode à la nature et aux préceptes de bien-être. L’éco-hôtel affiche une architecture contemporaine, des matériaux locaux comme le bois de Brocéliande. L’acmé du séjour demeure le spa, soins signés Yves Rocher et piscine avec vue panoramique sur la campagne. La Grée des Landes a été récompensée par de nombreuses certifications écologiques dont celle de Green Globe. L’approche environnementale est globale, recyclage de l’eau de pluie et impact énergétique minimal des installations. Les lieux accueillent chaque année de juillet à octobre un festival photographique renommé dédié à la nature. www.lagreedeslandes.com

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RANDONNÉES En tribu

Une dizaine de maisons et un petit manoir répartis sur mille hectares en Touraine forment un étonnant lieu d’immersion dans la forêt profonde. Autrefois dédiés à la chasse, les lieux abordent une nouvelle ère où retraite de yoga, randonnées et cueillette des champignons font partie des activités quotidiennes. Idéale pour les familles ou les tribus d’amis, chaque maison se loue dans sa totalité avec service hôtelier à la carte. Caché au cœur de la forêt, on découvre un incroyable parc photovoltaïque sur plus de quarante hectares. Les panneaux solaires devraient assurer l’autonomie électrique du domaine et produire pour les villages environnants. L’artiste Olafur Eliasson travaille sur les lieux à la création d’un musée dédié à l’observation du cosmos et du soleil. Un arboretum du chêne a été minutieusement établi au sein du Domaine de la Trigalière, plus de 800 espèces sont étudiées.

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www.domainedelatrigaliere.com

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CABANES ARTY Dans les arbres

«Laisser la forêt entrer en vous», Anne Caroline Frey la propriétaire du Loire Valley Lodges a fait de ce pari un peu fou un des hôtels les plus étonnants récemment inaugurés en France. Près de 300 hectares de nature préservée au cœur de la Touraine abritent une petite collection de lodges perchés dans les arbres. Tous identiques par leur architecture, les lodges accueillent des artistes, musiciens et plasticiens appelés à personnaliser leur abri forestier. Aurèle LostDog, CharlElie Couture, Cédric Marcillac ont créé une galerie dans les arbres, toutes les œuvres exposées sont à vendre. Les lodges ont été conçus par l’agence d’architecture Isabelle Poulain située à Tours. Ils bénéficient d’une grande terrasse avec un jacuzzi, les chambres sont dotées d’une vaste baie vitrée face au spectacle de la nature. La forêt d’Esvres abrite des chênes centenaires, de magnifiques bouleaux et de noyers chatoyants, sangliers, biches et faisans se partagent ce vaste domaine.

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loirevalleylodges.com

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RETRAITE DOUCE

Au cœur des Pyrénées Une sublime maison de village aux vastes volumes et aux murs épais accueille un lieu à part créé par Denise Leicester, à la tête des spas ILA, un label britannique bio présent dans plusieurs hôtels prestigieux autour de la planète. Pour la première maison ILA, Denise Leicester est tombée sous le charme d’une région très préservée de l’Aude. Retraites de yoga, soins et méditations ponctuent la vie quotidienne de la demeure discrète du village de Sonnac-sur-l’Hers. L’approche première est le respect de la nature, les repas sont végétariens, la variété des produits locaux aide à composer une cuisine de haute volée. Ouverte en juillet dernier, la Maison ILA s’est discrètement intégrée à la vie du village bercée par les cloches de l’église voisine. Excursions à la découverte de sources chaudes, sports en pleine nature sur la route cathare, randonnées en forêt, les hôtes d’ILA sont invités à découvrir la richesse de cette région aux paysages dessinés par de vastes vergers. Il est conseillé de réserver un séjour d’un minimum de trois jours pour profiter des bienfaits de cette immersion.

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fr.maisonila.com

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LA BIBLIOTHÈQUE

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La culture écologique est souvent empirique et faite de rencontres avec des livres ou des auteurs. G.I.V.E partage avec vous sa bibliothèque idéale d’ouvrages pour en savoir plus et s’élever en matière de connaissance du vivant. Des livres d’hier et d’aujourd’hui pour penser demain. En lumières. PAR

PAR SARAH H E RZ ET THOMAS E R B E R

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RÉPARONS LE MONDE Corine Pelluchon

Éditions Payot et Rivages Collection Rivages Poche Petite Bibliothèque La philosophe Corine Pelluchon interroge la notion de «réparation» au sens large pour repenser notre rapport au vivant, notre relation aux animaux et à la Terre. La vulnérabilité originelle est un prisme pour repenser notre mode relationnel avec le vivant. Et bien au-delà.

AVANT QUE NATURE MEURE

Jean Dorst

Éditions Delachaux et Niestlé Ce texte, publié en 1965 par l’ancien président du Muséum d’histoire naturelle, a été révolutionnaire. Conspué, le paléontologue résume – avant l’heure – le mal du siècle écologique. Un très beau cri d’alarme.

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S T U D I U M

ABÉCÉDAIRE DE L’ÉCOLOGIE JOYEUSE Éric De Kermel

Éditions Bayard Une très belle entrée en matière dans le monde de l’écologie sous forme d’abécédaire, facile et agréable à lire. Un texte ponctué de citations d’écrivains et de philosophes qui donnent envie de lire ou relire des textes inspirés par la nature.

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JOURNAL

Henri David Thoreau

Éditions Finitude Le Journal de l’écrivain américain, philosophe et naturaliste du XIXe siècle est devenu la bible des penseurs de l’écologie. Surnommé le «poète naturaliste» Thoreau a nourri l’idée de «wilderness» («In wilderness is the preservation of the wolrd») où l’esprit et le corps se retrouvent, aussi pour penser les fondements d’une société plus adaptée au vivant.

MANIÈRES D’ÊTRE VIVANT Baptiste Morizot

Éditions Actes Sud - Collection Mondes sauvages «C’est notre manière d’habiter le monde qui est en crise. Habiter, c’est toujours cohabiter, parmi d’autres vivants, parce que l’habitat d’un vivant n’est que le tissage des autres vivants.» Dans ce très beau recueil de textes, le philosophe Baptiste Morizot nous invite à pister les loups, arpenter les montagnes… pour renouer avec notre condition de vivant. Et pour cela, il faut d’abord (re) faire connaissance avec notre état d’animal au milieu des vivants.

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MANIFESTE DU MUSÉUM D’HISTOIRE NATURELLE HUMAINS ET AUTRES ANIMAUX Bruno David

Éditions Reliefs - Collection Manifeste du Muséum Président du Muséum d’Histoire naturelle de Paris, Bruno David est à l’origine des Manifestes du Muséum : des textes courts, élégamment édités et qui abordent le monde du vivant dans un prisme pluridisciplinaire. À lire : «Humains et autres animaux» qui résume avec efficacité les problématiques de l’ère anthropocène. À lire aussi : «Migrations».

LES TROIS ÉCOLOGIES

Félix Guattari

Éditions Galilée L’écologie n’est pas seulement la protection de l’environnement pour le philosophe. Félix Guattari distingue trois pratiques de l’écologie devenue philosophie du monde (écosophie) : l’écologie environnementale, l’écologie sociale qui étudie les liens entre les hommes au sein de chaque société et l’écologie mentale sans laquelle le sujet ne prend pas pleinement conscience de la dégradation de la planète.

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L’ÂGE DU CAPITALISME DE SURVEILLANCE

Shoshana Zuboff

Éditions Zulma Essais Best-seller aux États-Unis encensé par Obama ou Naomi Klein, le brûlot de Zuboff (professeur émérite à Harvard) auquel elle a consacré dix ans de sa vie, nous confronte à nos dérives digitales en nous prouvant, preuves irréfutables à l’appui, que si rien n’est entrepris de sérieux MAINTENANT, nous aurons l’immense plaisir de vivre confiné pour toujours dans une société globalisée entre Brazil, 1984, et Nous (lire pages suivantes)… On nous aura prévenus !

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LA CONVIVIALITÉ Ivan Illich

Éditions Points Penseur pendant longtemps oublié de l’écologie politique, Ivan Illich est né à Vienne dans les années 20, a fui le régime nazi pour se réfugier dans plusieurs pays d’Europe. Il a été l’un des premiers à apporter un regard critique sur l’industrialisation qui oublie la «convivialité» au profit des machines. «Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil» et par essence un regard respectueux et responsable sur le monde dans lequel nous habitons.

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LE POUVOIR DE LA DESTRUCTION CRÉATRICE

Philippe Aghion avec Céline Antonin et Simon Bunel

Éditions Odile Jacob Cet ouvrage, dirigé par Philippe Aghion, professeur au Collège de France, n’est pas à proprement parler un livre sur l’écologie. Mais il constitue une passionnante invitation à repenser les notions de révolution technologique, d’innovation et l’histoire du capitalisme… à travers le concept de «destruction créatrice». Ce processus, par lequel des innovations viennent constamment rendre les technologies et activités existantes obsolètes, est au cœur de notre vie économique. Il permet aussi de rester optimistes et d’imaginer de nouvelles voies pour encourager l’innovation «verte» dans le cadre d’une «croissance soutenable».

LES NATURES EN QUESTION

Sous la direction de Philippe Descola (Collège de France)

Éditions Odile Jacob Compte rendu passionnant d’un colloque initié par le «guru» Philippe Descola et interprété par d’éminents penseurs sur la thématique essentielle qui porte sur le croisement (fatal ?) entre déterminations humaines et naturelles afin d’essayer de savoir comment trouver une solution mutualisée.

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REPENSER L’ÉTAT Philippe Aghion et Alexandra Roulet

Éditions Seuil Ou comment sortir de notre entropie globalisée, non par moins d’État mais plutôt par des États mieux adaptés à leur époque, ce qui semble, si on en juge par la manière dont la plupart d’entre eux gèrent la crise « covid » ne pas être encore tout à fait le cas.

L’ANIMAL QUE DONC JE SUIS Jacques Derrida

Éditions Galilée Cet ouvrage posthume du philosophe Jacque Derrida interroge le rôle et la place de l’animal dans la philosophie, de Descartes, à Kant ou Levinas.

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POUR NE PAS DISPARAÎTRE, POURQUOI NOUS AVONS BESOIN DE LA SAGESSE ANCESTRALE Wade Davis

Éditions Albin Michel L’un des plus beaux livres d’anthropologie jamais écrits par le plus grand anthropologue contemporain, le canadien Wade Davis. Un livre qui dépasse d’ailleurs largement les frontières de son corpus pour nous apprendre à mieux vivre ensemble en nous inspirant des anciennes cultures et de ce qu‘elles avaient de fondamentalement merveilleux et que nous avons perdu voire moqué, seule manière d’envisager un futur apaisé.

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ATLAS DE L’ANTHROPOCÈNE François Gemenne et Aleksander Rankovic

Éditions Presses de Sciences Po L’Anthropocène désigne la période où l’impact des sociétés humaines pèse de manière irréversible sur le système Terre. Cet atlas réunit, de manière très pédagogique, les données sur l’impact des actions humaines sur le réchauffement climatique, la fragilisation de la biodiversité, les catastrophes naturelles…

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LE PÈLERIN John Alec Baker

Éditions Biophilia / Jose Corti On en parle dans ce numéro avec Baptiste Morizot qui l’a remis très délicatement et allégoriquement au goût du jour, mais le Pistage ne date pas d’aujourd’hui puisqu’il doit au moins remonter aux chasseurs-cueilleurs et a toujours été pratiqué comme nous le rappelle cet anglais ayant traversé le 20e siècle en ornithologue, poète, et écrivain. Il a dédié une partie de sa vie à l’observation du faucon Pèlerin sur les abords de l’estuaire de la Tamise, qui prend valeur ici de métaphore écologique de première importance décrite avec une poésie dont on a plus que jamais besoin.

NOUS

Evgueni Zamiatine

Éditions Actes Sud Un roman d’anticipation écrit il y a un siècle mais qui pourrait dater d’hier. Transmis de la main à la main clandestinement en son temps, le livre du grand auteur russe Zamiatine cristallise, juste après la Révolution russe et sous la forme d’une longue homélie, les dérives d’un système mondialisé qui ne prétendrait qu’au Bien de tous. Et comment en sortir sinon par l’art de la Révolte !

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S T U D I U M

ICI, C’EST LE

DESTRUCTION CRÉATRICE ET RICHESSE DES NATIONS MOOC du Collège de France par Philippe Aghion

Écoutez et visionnez les six cours donnés par l’économiste et professeur au Collège de France, Philippe Aghion, pour reconcevoir l’économie face aux crises et enjeux actuels. Si vous souhaitez repenser la mondialisation, savoir quels sont les leviers d’une croissance plus inclusive, ou encore faire le point sur écologie et économie, ce cours est fait pour vous. college-de-france.fr

THE AGE OF SUSTAINABLE DEVELOPMENT Mooc de l’Université Columbia par Jeffrey Sachs

Ce cours permet de comprendre les principaux défis et les voies qui mènent au développement durable, c’est-à-dire à un développement économique qui soit socialement inclusif et écologiquement durable. À travers ce MOOC, le professeur Sachs aborde toutes les transitions à effectuer pour y parvenir : lutte contre les inégalités et le changement climatique, villes et alimentation durables, biodiversité, éducation, droits de l’homme… my-mooc.com

LE ZÉRO DÉCHET

Mooc de l’Université des colibris et de l’association Zero Waste France

«Zéro déchet, zéro gaspillage», c’est la démarche ambitieuse défendue par l’Université des colibris et l’association Zero Waste France à travers ce cours en ligne. Leur vision s’inscrit dans le cadre d’une transition écologique globale prenant en compte les populations les plus défavorisées et les générations futures. Ils proposent une formation simple et abordable pour ceux qui veulent adopter, peu à peu, un mode de vie zéro déchet individuel et collectif. colibris-universite.org

ENTREPRENDRE DANS L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE

Pour prendre de la hauteur et mieux comprendre les enjeux de l’écologie positive, voici une sélection pointue de MOOC (cours en ligne) et de podcasts gratuits. À voir & écouter sans modération !

À travers ce MOOC, l’économie circulaire sera introduite comme un levier d’innovation et de création de valeur économique à fort impact positif. Plusieurs fondateurs et experts de cette nouvelle génération d’entreprises à impact interviendront pour partager leurs projets de modèles économiques innovants et leurs retours d’expérience. Ce MOOC s’adresse à tous ceux souhaitant s’inspirer des nouvelles perspectives offertes par l’économie circulaire pour lancer leur propre aventure. fun-mooc.fr

PAR

VI CTO I RE AUBERTIN

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P HOTO © T HO MAS ERB ER

MOOC de Phenix en partenariat avec l’ESCP Business School et la Chaire Économie Circulaire ESCP - Deloitte


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LÀ, C’EST LES

ANTHROPOLOGIE DE LA NATURE, LEÇON INAUGURALE DE PHILIPPE DESCOLA Podcast de l’émission «Les cours du Collège de France» de France Culture

Anthropologue et titulaire de la chaire d’anthropologie de la nature au Collège de France de 2000 à 2019, Philippe Descola est spécialiste du rapport à la nature établi par les sociétés humaines. Dans son dernier ouvrage, Une écologie des relations, il restitue les grandes étapes de son parcours intellectuel et professionnel et introduit de manière vivante la pratique de l’anthropologie. franceculture.fr

NOUVEAU MODÈLE

Podcast «Nouveau Modèle» créé et présenté par Chloé Cohen

Lancé en 2018, «Nouveau Modèle» est un podcast sur la mode responsable et engagée. Un podcast positif pour montrer qu’il existe des alternatives à la fast-fashion et des femmes engagées pour faire bouger les lignes de cette industrie. Qu’elle soit créatrice, entrepreneure, styliste, activiste, ou encore mannequin, Chloé Cohen reçoit tous les mercredis une femme qui raconte son parcours, ses engagements et ses projets pour façonner la mode durable et éthique de demain. nouveaumodelepodcast.com

VRAC !

Podcast «VRAC !» créé et présenté par Audrey Vuétaz

«VRAC !» est un podcast indépendant qui met en lumière les initiatives zéro déchet. À chaque épisode, Audrey Vuétaz nous emmène à la rencontre d’une personnalité inspirante : une actrice ou un acteur du zéro déchet, de l’écologie, de l’engagement… Professionnels ou nouveaux adeptes, ils ont tous accepté de changer le monde à leur échelle. podtail.com

L’EFFET PANDA

Podcast «L’Effet Panda» créé par WWF

Explorer la forêt amazonienne à la recherche du jaguar, écumer la Méditerranée aux côtés des cétacés ou partir dans les Alpes françaises à la rencontre du loup… Toutes ces aventures sont à portée d’oreilles. Le WWF France lance son premier podcast, «L’Effet Panda», et donne la parole à celles et ceux qui se battent au quotidien pour préserver la nature et le vivant : acteurs de terrain, communautés locales, experts scientifiques, citoyens… wwf.fr

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n o m a d e

P HOTO © P HIL IP PE DE GO BE RT − © MA RTIN B ELO U & BE RNIER /E LIA DE S, BRU X EL LE S

e x p o s i t i o n

MARTIN BELOU Généalogies, 2020 Champignon sec, laiton, cuivre et argent «Nature Works» Thanks for Nothing & Artagon

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LE MONDE ?

RÉPARER

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evant l’ampleur des désastres que la culture occidentale tardive a provoqués, nous sommes tentés de vouloir réparer le monde. Dans notre civilisation qui a tout misé sur la technique, il nous paraît normal qu’une machine en panne puisse être réparée et fonctionner à nouveau (en mettant de côté la montée en puissance de l’obsolescence programmée). Or, nous sommes en train d’apprendre douloureusement que, d’une part, le monde n’est pas une machine, n’en déplaise aux tenants du Grand Horloger. Et que, d’autre part, la vie est en évolution permanente. Retrouver la «nature» d’avant l’ère industrielle ? Non merci, c’est l’époque où les forêts européennes ont failli disparaître. Le Moyen Âge ? Les rivières étaient déjà quasiment toutes vidées de leurs poissons migrateurs. Et qui voudrait, comme l’a proclamé un célèbre homme politique, retourner à la lampe à huile ? Réparer le monde et la nature est donc une fausse bonne idée. Il s’agit bien plus, aujourd’hui, d’inventer de nouvelles formes de cohabitation, de vivre ensemble des formes inédites dans l’histoire de l’humanité, fortes des expériences passées, sociales et environnementales. On sait aujourd’hui ce qu’on ne veut plus : les inégalités sociales et environnementales qui vont de pair. Plus qu’une réparation, c’est une invention qu’il nous faut à présent.

PRÉAMB ULE PAR

ST É P H A N E D U RAND

Stéphane Durand est directeur des collections Domaine du Possible et Les Mondes Sauvages chez Actes Sud

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LE POINT DE VUE D’UNE

PHILOSOPHE PAR

CO R I NE PE LLUCH O N

« L’attitude qui préside à la réparation du monde suppose que chacun fasse sa part sans étouffer sa créativité. »

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es menaces d’effondrement et la crise sanitaire actuelle nous confrontent à l’irréparable : nous pouvons mourir, ­ perdre des êtres chers et la paix est précaire. Mais la violence du monde présent ne doit pas nous conduire à baisser les bras ni à nous complaire dans la dénonciation d’un modèle de développement aberrant. Réparer le monde, c’est opter pour une démarche constructive qui consiste à partir des choses elles-mêmes en se demandant ce qu’il convient de conserver et ce qu’il faut supprimer ou transformer. Chacun doit s’interroger sur ce qu’il peut faire pour modifier ses styles de vie et encourager des modes de production plus vertueux. Au lieu de croire en une harmonie préétablie n’ayant jamais existé ou de rêver d’un grand soir, l’attitude qui préside à la réparation du monde suppose que chacun fasse sa part sans étouffer sa créativité. La transition écologique qui ne se réduit pas à des changements individuels, mais passe par des évolutions structurelles affectant l’organisation du travail et l’économie, peut être l’axe principal d’un projet d’émancipation individuelle et collective. Toutefois, le salut ne saurait venir de récits surplombants dictés par des maîtres émancipateurs. L’écologie qui est la sagesse de notre habitation de la Terre implique d’apprendre à vivre avec les autres, humains et non-humains, en leur faisant de la place. Elle exige un remaniement profond de nos représentations et de nos valeurs pouvant déraciner la domination. Celle-ci est sociale, mais elle concerne aussi l’exploitation illimitée de la nature et repose sur la répression de notre sensibilité. Elle détruit la raison qui devient simple calcul et s’inverse en irrationalité. Nous avons aujourd’hui l’occasion de rompre avec ce schéma mortifère. Car c’est en ayant confiance en notre capacité à innover tout en respectant les limites planétaires et en montrant qu’un autre modèle de développement s’invente déjà çà et là que nous réparons le monde et préparons l’avenir. ❚

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Corine Pelluchon est philosophe et professeur à l’université Gustave Eiffel. Ouvrage à paraître  : Les Lumières à l’âge du vivant, Seuil (janvier 2021).

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LE POINT DE VUE D’UNE

HISTORIENNE PAR

VALÉ R I E CH ANSI GAUD

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e terme de réparation fait partie de ces mots dont le sens semble évident, mais qui dévoile une surprenante complexité dès lors que l’on s’interroge sur ses usages. Le mot en français est ancien et est apparu durant le Moyen Âge par l’emprunt au latin, reparare. Le verbe, réparer, désigne alors l’opération ou le travail qui remet en l’état quelque chose qui a été endommagé ou déréglé, il s’applique aux objets techniques ou artistiques comme une montre ou une statue. Peu à peu, l’usage s’élargit et l’on parle de réparer ses forces ou sa santé. Très tôt également, la réparation se dote d’une dimension morale et désigne une compensation souvent symbolique, d’abord d’un point de vue religieux puis juridique, d’où l’expression «réparer l’honneur». Mais comment alors interpréter l’idée de réparer la nature ? De nombreux problèmes émergent quel que soit le sens donné au mot «réparation». Cela signifie parfois que l’humanité doit agir sur la nature car elle serait endommagée. Le dérèglement climatique en offre un exemple parfait, du moins en apparence, puisqu’on envisage d’abord de limiter drastiquement les émissions de gaz à effet de serre (avec pour l’instant un succès assez limité). Mais cela ne suffira probablement pas et le climat ne sera pas «réparé» durant le temps d’une vie humaine, d’où la tentation d’être bien plus interventionniste et de développer une véritable ingénierie environnementale réparative. Mais ne risque-t-on de provoquer alors de nouveaux dommages à la nature ? Par exemple, en favorisant la plantation d’arbres ou l’ensemencement en fer des océans afin de capter le CO2, ne risque-t-on pas d’affaiblir encore plus la biodiversité endémique ? La réparation est encore plus complexe dans le cas de la

biodiversité dont l’érosion connaît une vertigineuse accélération. Si réparer signifie la remise en état, alors à quel état ou à quelle époque doit-on faire référence ? La nature d’il y a 50 ans ? Un siècle ou deux ? Un millénaire ? Il ne faut jamais oublier que ce que nous appelons nature a été profondément modifié par l’espèce humaine depuis la Préhistoire et il n’existe pas d’état «vierge» de la nature. Ainsi, nous ne pourrons jamais restaurer la biodiversité telle qu’elle existait à la fin de l’Âge de glace en raison du grand nombre d’espèces disparu alors, souvent du fait de l’espèce humaine. On pourrait essayer de définir un objectif «fonctionnel» des écosystèmes, mais là aussi, toute intervention humaine reviendrait à privilégier certaines espèces au détriment d’autres. Comment être sûrs de faire les bons choix ? La notion de «bon» choix a-t-elle même un sens ? Mais réparer la nature ne doit pas non plus faire oublier les questions sociales. D’autant que la nature a été endommagée par la construction d’une société égoïste et inégalitaire, l’histoire des 50 dernières années le montre de façon claire : la consommation des ressources naturelles et l’épuisement de la Terre bénéficient principalement à une infime minorité. Il est d’ailleurs fascinant d’observer combien la frange la plus riche de l’humanité a vu sa prospérité encore augmenter depuis la récente crise de la Covid-19. La question sociale est la grande absente de l’idée de «réparer la nature» : on ne réussira pas à sauver la nature en préservant les inégalités sociales. Il faut donc autant réparer la société que la nature, l’idée de réparation justifiant ainsi son sens moral. ❚

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Valérie Chansigaud, Les Français et la nature, Actes Sud (2017)

Valérie Chansigaud est historienne des sciences et de l’environnement, chercheuse associée au laboratoire SPHERE (Paris Diderot-CNRS) et étudie l’histoire des relations entre l’espèce humaine et la nature.

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Fondée en 2017, THANKS FOR NOTHING est une association créée par 5 femmes qui mobilise les artistes et le monde de la culture en organisant des projets artistiques et solidaires ayant un impact concret sur la société.

© Général Pop x Benjamin Read

Depuis 3 ans, THANKS FOR NOTHING œuvre pour les droits humains, l’éducation et l’environnement avec 20 projets portés par l’association 500 000 personnes réunies 90 artistes de renommée internationale mobilisés 20 associations soutenues 35 institutions culturelles partenaires

© Tham & Videgård

LA COLLECTIVE EN 2024 En février 2020, THANKS FOR NOTHING a été désigné lauréat de la consultation de la Ville de Paris pour la Façade Denfert à Saint-Vincent-de-Paul.

Le projet de La Collective ouvrira en 2024 et se définira comme G.I.V.E. un centre d’art et de solidarité qui vise l’excellence artistique, 2 l’accessibilité à tous les publics et ce, avec un rayonnement international.


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