Il est arrivé en tête du scrutin mais n’est toujours pas président du Pérou aux yeux de la loi. Pedro Castillo, 51 ans, devra attendre quelques jours, voire quelques semaines, avant de pouvoir savourer pleinement sa victoire. Les urnes le donnent gagnant. De fait, il l’a emporté de près de 44 000 voix sur sa rivale Keiko Fujimori, soit 50,12 % des votes contre 49,87 %. En 2016, Pedro Pablo Kuczynski l’avait déjà emporté sur la fille de l’ancien autocrate Alberto Fujimori d’une courte avance de 40 000 voix.

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Mais comme en 2016, Keiko Fujimori, 46 ans, réfute les résultats. La candidate conservatrice a déposé plusieurs centaines de recours devant la justice pour contester la validité de milliers de votes issus de « fiefs incontestés de Pedro Castillo », relève Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste de l’Amérique latine. Elle se bat d’autant plus qu’elle encourt de nouvelles poursuites judiciaires pour corruption.

Fujimori joue son va-tout

Pourtant, les observateurs indépendants nationaux comme internationaux sont catégoriques : il n’y a eu aucune tentative de fraude électorale. « L’équipe de Fujimori a mobilisé les principaux cabinets d’avocat du Pérou (pour déposer ses recours) et l’oligarchie péruvienne a fait corps contre le candidat d’extrême gauche », raconte Lissell Quiroz, historienne et professeur en études latino-américaines à Cergy-Paris-Université.

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L’ensemble des médias nationaux ont mené campagne contre Pedro Castillo, présenté comme communiste et chantre d’une politique économique « à la vénézuélienne ». Plusieurs journalistes ont été licenciés après avoir dénoncé la partialité de la ligne éditoriale de leur journal et un manquement à la déontologie.

Deux Pérou s’affrontent

La bataille Fujimori/Castillo est révélatrice de la fracture qui déchire le pays. « Il y a deux Pérou : un Pérou des villes inséré dans la croissance économique, et un Pérou des campagnes, des oubliés de l’État », dont est issu Pedro Castillo, explique Lissell Quiroz. « Il s’agit non pas d’une polarisation idéologique mais d’une division historique entre les populations de l’intérieur pauvres et attachées à leur culture d’origine, contre les populations mélangées et de culture hispanique de la côte », complète Jean-Jacques Kourliandsky.

Inconnu il y a encore quelques mois, le préposé à la présidence a fait ses armes en prenant la tête du mouvement de grève des enseignants. Il entend remettre l’État au centre du jeu et appelle à la rédaction d’une nouvelle Constitution alors que le pays rebondit de crise politique en crise politique depuis bientôt cinq ans. Une gageure pour le tenancier de la gauche qui devra composer avec un Parlement à majorité conservatrice. Si sa nomination à la tête de l’État est validée, Pedro Castillo sera investi le 28 juillet, jour de la fête nationale et du bicentenaire de l’indépendance du Pérou.