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TRIBUNE

Face à l’hésitation vaccinale, communiquer mais surtout… vacciner

Chacun connaît désormais quelqu’un qui s’est fait vacciner et cela change tout. Nous voilà rassurés, la confiance recréée : il est à nouveau possible d’être à l’écoute de l’information scientifique.
par Vincent Israel-Jost, Paul-Loup Weil-Dubuc, Chercheurs en éthique et en épistémologie à l'Espace de réflexion éthique de la région Ile-de-France, université de Paris-Saclay
publié le 4 mars 2021 à 15h50

Depuis que les vaccins ont pris une tournure concrète, qu’on les a d’abord sus en bonne voie puis qu’on a appris qu’ils apportaient une protection très intéressante sans révéler d’effets secondaires autres que bénins, les problèmes que l’on anticipe ne portent plus sur leur développement ni sur les tests. Ils portent plutôt sur les capacités de production à très grande échelle, la logistique de l’approvisionnement, la conservation des vaccins, ou bien sûr la priorisation. Mais le problème peut-être le plus fondamental qui nous inquiète – particulièrement en France – vient de l’hésitation vaccinale élevée qui s’y est installée depuis une dizaine d’années et qui fait l’objet de travaux de veille et d’analyse de plus en plus nombreux. En effet, à quoi bon négocier des contrats en concurrence avec l’ensemble de la planète et mettre en place une chaîne logistique ultra-complexe si c’est pour aboutir à une campagne à laquelle refuse de participer une majorité de Français, laissant la crise non résolue ?

Devant cette situation, notre réflexe, aussi bien celui des institutions en charge de la vaccination que celui des politiques, et peut-être plus encore de nous autres, chercheurs en sciences humaines, a été de comprendre cette réticence comme la conséquence d’un déficit d’information. Dès lors, pour susciter la confiance des hésitants, on a pensé qu’il fallait d’abord bien communiquer sur les principes de la vaccination, sur les nouvelles techniques vaccinales, sur les résultats obtenus et leur signification, etc. Il s’agissait, pensait-on, de répondre à l’hésitation par les bons arguments, bien distillés. Il s’agissait aussi de «jouer la transparence», voire de la surjouer : combien de fois n’a-t-on pas entendu ce mot de «transparence», présenté comme le nouvel antidote contre la défiance et l’hésitation ?

L’évidence du réel

Or, depuis quelques semaines, nous sommes surpris de voir se mettre en place une dynamique par laquelle l’hésitation vaccinale semble reculer du simple fait que la campagne de vaccination soit bien lancée. Des questions subsistent (le Pfizer et le Moderna sont-ils parfaitement sûrs sur le long terme ? Les laboratoires pharmaceutiques n’ont-ils pas un intérêt trop grand dans l’affaire pour que cela se passe de manière honnête ?) mais l’angoisse qu’elles soulevaient encore il y a peu est désormais balayée par l’évidence du réel. Des personnes réticentes, mal à l’aise à l’idée de se faire vacciner, envisagent aujourd’hui sereinement le moment où ce sera leur tour ; elles l’attendent même parfois avec impatience. Les chiffres qui, depuis le début, parlent très nettement en faveur de la vaccination mais ne semblaient pas avoir de prise sur les hésitants, sont maintenant mieux entendus. Ce résultat inespéré, nous l’attribuons pourtant moins à un effort de convaincre par l’argumentation et la rationalité que par une concrétisation de la vaccination : chacun connaît désormais quelqu’un qui s’est fait vacciner et cela change tout.

En y réfléchissant, ce résultat tient pourtant d’une évidence : la disposition à la vaccination ne dépend pas que du niveau d’information. Mieux, l’information sur les vaccins ne joue sans doute qu’un rôle de second plan pour lever l’hésitation vaccinale. En réalité, il faut voir les choses à l’inverse : ce n’est pas tellement en recevant de l’information en faveur des vaccins que les hésitants leur témoigneront de la confiance, c’est parce que la confiance a été au moins partiellement regagnée que l’information peut à nouveau être reçue. L’épreuve des faits est un ingrédient incontournable de la confiance et le mimétisme un puissant phénomène social. Bien sûr, la disponibilité de l’information a été et est toujours essentielle, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un droit, mais elle ne contribue à l’adhésion que dans un second temps. Pour y être attentif, pour la recevoir, il faut déjà être dans la bonne disposition, être déjà rassuré. Les millions de personnes vaccinées vont bien, parmi elles figurent des proches qui sont rassurés et rassurants, et c’est cela qui recrée de la confiance et la possibilité d’être à nouveau à l’écoute de l’information scientifique.

Des racines profondes

Nous n’en avons cependant peut-être pas fini avec une hésitation vaccinale qui découle d’une défiance plus large vis-à-vis des sciences et de la médecine, et ce bien avant l’affaire de l’hydroxychloroquine. Elle touche aussi plus fondamentalement au politique : on ne dira jamais assez combien, en France, la communication gouvernementale sur les masques a ravagé la confiance ; on ne dira aussi jamais assez combien la persistance des inégalités sociales alimente la défiance. Ces racines profondes à une défiance élargie laissent entrevoir une adhésion encore fragile et incertaine. Dans cette situation, les autorités publiques semblent n’avoir de meilleur choix que de consacrer leurs efforts à alléger ceux que chaque citoyen devra accomplir pour se faire vacciner : rendre la vaccination la plus accessible possible (stratégie du «opt-out» plutôt que du «opt-in»), trouver les relais locaux pertinents, bref faire en sorte que chaque citoyen baigne dans un milieu où la vaccination est un acte normal et facile à accomplir. Nous en revenons à notre idée de départ : seule l’expérience du réel, cette confrontation à quelque chose qui résout les problèmes plutôt que de les épaissir encore, pourra atténuer les effets de la défiance.

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