Partager
Archéologie

Les archéologues dévoilent les trésors retrouvés sous Notre-Dame de Paris

L’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), qui a mené les fouilles préalables aux grands travaux de restauration dans Notre-Dame, a livré de nouvelles informations sur les vestiges mis au jour en février dernier. Parmi eux, deux sarcophages de plomb, d'exceptionnels sculptures polychromes, et d'autres éléments d'architecture plus mystérieux.

réagir
Des archéologues fouillent le sol de la cathédrale Notre-Dame après la découverte d'un sarcophage en plomb du XIVe siècle, à Paris, le 15 mars 2022.

À Paris, le 15 mars 2022, des archéologues fouillent le sol de la cathédrale Notre-Dame.

JULIEN DE ROSA / AFP

Il y a tout juste un mois, en février 2022, le ministère de la Culture annonçait la découverte sous le dallage de Notre-Dame de Paris, au niveau de la croisée du transept, de plusieurs trésors archéologiques : un sarcophage en plomb occupé par un défunt à l’identité encore mystérieuse, et une incroyable série de fragments de l’ancien jubé de la cathédrale, du nom de cette clôture en pierres sculptées qui séparait le chœur liturgique de la nef jusqu’au début début du 18e siècle.

Il n’en fallait pas plus pour faire frémir les amateurs d’histoire et les médias du monde entier, chez qui le célèbre Da Vinci Code de Dan Brown a laissé des traces indélébiles. Allait-on finir par apprendre que le Graal se trouvait en fait, depuis tout ce temps, sous la cathédrale la plus visitée au monde ? Il n’en est rien, mais la réalité - toute proportions gardées - n’en est pas moins exaltante. Jeudi 14 avril 2022, l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), chargé par la Drac Île-de-France de réaliser des fouilles avant le début des travaux d’ampleur dans l'édifice, a donné davantage de détails sur ces trouvailles lors d’une conférence de presse. 

Des vestiges qui ont échappé aux radars

Dorothée Chaoui-Derieux, conservatrice en chef du patrimoine au service régional de l'archéologie (SRA), a notamment ouvert la présentation par une étonnante révélation : elle qui passa des mois à convaincre l'établissement public chargé de la restauration, maître d’ouvrage du chantier, de réaliser une vaste inspection de prospection géophysique dans la cathédrale a eu la surprise de constater qu’au niveau de la croisée du transept - là où l’équipe s’attendait à trouver le plus d’anomalies -, "les radars et autres détecteurs électromagnétiques n’avaient pas révélé grand chose. Possiblement parce qu’à cet endroit, une forte teneur en argile les a empêché de bien fonctionner." 

Le sarcophage anthropomorphe en plomb, qui vraisemblablement avait déjà été déplacé par le passé. La structure métallique se trouvait placée en travers dans une niche trop petite pour qu'elle puisse y reposer à plat. Crédits : Denis Gliksman/Inrap

La fouille prévue dans ce périmètre à partir du 1er février 2022 n’en fut pas pour autant annulée : la pose d’un échafaudage de près de 100 mètres destiné à la reconstruction de la flèche nécessitait de toute façon un terrassement. "Ce contraste entre prospection et fouille aura eu le mérite de nous faire porter un regard plus critique sur nos méthodes de recherches", a confié Dorothée Chaoui-Derieux.

Un élément du jubé, dont figurent d'autres détails ci-dessous. Crédits : Denis Gliksman/Inrap

Aussi, l'enthousiasme fut grand lorsque les chercheurs trouvèrent dès le niveau de décapage un radier (une fondation permettant la répartition des charges) daté entre le 14e et le 17e siècle, reposant lui-même sur plusieurs niveaux de sol en mortier de sable et de chaux, dont certains semblaient présenter des traces d’incendie (peut-être celui de 1218). "À 10-15 centimètres à peine, on est tombé sur des vestiges avec un formidable niveau de conservation, et ça, on ne s’y attendait pas", s'est réjoui au micro Christophe Besnier, responsable scientifique de la fouille menée par l’Inrap.

Lire aussiEn plein cœur de Paris, une portion de la plus grande nécropole gallo-romaine de Lutèce se dévoile

Le jubé retrouvé

Parmi les découvertes, les réseaux de chauffage installés lors de la restauration de Viollet-le-Duc, un radier en pierres calcaire donc, mais surtout des sépultures et des fragments du jubé perdu de la cathédrale. Construite vers 1230, la clôture monumentale qui séparait le chœur - réservé au clergé - de la nef fut détruite au début du 18e siècle, sous le règne de Louis XIV, en réponse aux nouveaux usages liturgiques. De ce mur décoré et sculpté ne subsistaient jusqu’ici que huit éléments mis au jour lors des travaux du 19e siècle. Des pièces conservées au Louvre, dont la plus illustre est Adam et Eve et la chaudière de l’enfer, tandis qu'une vingtaine de petits blocs de moindre facture furent stockés dans les réserves de la cathédrale. 

Crédits : Denis Gliksman/Inrap

Grâce à cette fouille préventive, pas moins d'une centaine d’éléments vient s'ajouter à cette liste, dont certains pèsent près de 400 kg. Personnages aux drapés et aux cheveux en mouvement, éléments architecturaux - notamment une étonnante "mini-cathédrale" -, décors végétaux… "On a les éléments pour reprendre complètement l’étude du jubé", assure Christophe Besnier. D'autant que contrairement aux fragments du Louvre, tous resplendissent encore de leurs flamboyantes couleurs, que l’ombre du dallage a su préserver des affres du temps. "La couleur donne un regard vraiment émouvant aux personnages", juge l'archéologue.

Lire aussiLes sarcophages de plomb trouvés sous Notre-Dame de Paris ont commencé à livrer leurs secrets

Crédits : Denis Gliksman/Inrap

Déjà, certains fragments semblent s'inscrire dans un ensemble que l'on pensait à jamais disparu : une figure aux yeux fermés laisse à penser qu'il s'agit du Christ lors de la descente au tombeau, quand un autre fragment présente les indices d'un lien direct avec Adam et Eve et la chaudière de l’enfer

Crédits : Denis Gliksman/Inrap

Mais pourquoi les ouvriers de l'époque de Louis XIV ont-ils enfoui ce jubé si sa disparition était souhaitée ? "Il s'agit probablement d'un geste pratique, car il va de soi qu'il était plus simple de laisser ces gravats au sol à l'intérieur que de les sortir. Mais on peut aussi y voir un respect du sacré, une forme d'inhumation de ces vestiges au sein-même de la cathédrale", a fait savoir Christophe Besnier, tout en précisant que le phénomène a déjà été observé dans les cathédrales de Reims, Chartes et Noyon. Une forme de soin paraît en tout cas avoir été apportée lors de l'enfouissement, vraisemblablement en face de leur emplacement initial : les couches, très bien organisées, sont agglomérées par un liant.

Lire aussiLa couleur des vitraux, comme ceux de Notre-Dame de Paris, éclairée par la physique

Crédits : Denis Gliksman/Inrap

L’intégralité du jubé n’a malheureusement pas pu être extraite, certains fragments reposant un peu plus loin, dans le chœur, où trône un énorme échafaudage. Cette partie de l'église sortait de toute façon du champ d'action des archéologues de l'Inrap. C'est le jeu, après tout, des fouilles préventives : accepter que les recherches s'arrêtent plus vite qu'on ne l'aurait voulu, et se rappeler sans cesse que sans travaux, il n'y aurait pas eu de fouilles. Les chercheurs sont donc habitués à se consoler avec d'autres choses. Comme le fait, par exemple, d'avoir pu bénéficier d’un point de vue inédit sur la stratification du périmètre, dont l’élément le plus profond se trouve à 1,10 m de profondeur. "Peut-être un ancien axe de circulation ou une partie d’un édifice antérieur", suppose Christophe Besnier. 

Lire aussiEXPO. Des grutiers aux chimistes, les métiers de la restauration de Notre-Dame de Paris

Des résidus de peau, de végétaux et un objet indéterminé

Quid du sarcophage anthropomorphe, qui reposait sous une couche de remblai à environ 1 mètre de la surface ? Il faudra attendre son analyse approfondie pour espérer en savoir plus sur son occupant, dont l'état a pu déjà être évalué par une petite caméra endoscopique insérée à l'intérieur par le biais de perforations dans le plomb. "Il est à l'état de squelette mais nous avons pu entrevoir de la peau séchée au niveau du crâne, des végétaux sous la tête, des éléments de tissu et un objet que nous n'avons pas pu identifier. C'est tout pour l'instant car nous n'avons pas accès à la partie inférieure du corps", a détaillé Christophe Besnier.

Crédits : Denis Gliksman/Inrap

Contrairement aux sarcophages en plomb trouvés par Viollet-le-Duc lors des fouilles de rénovation, celui-ci ne possède pas de plaque indiquant le nom du défunt. "Il a été dit qu'il s'agissait d'un chanoine mais il est impossible de le savoir à ce stade. Si c’est vraiment un sarcophage du 13e ou14e siècle, c'est en tout cas une pièce rarissime, le plomb étant réservé à une élite." Déplacé la semaine dernière à l'Institut médico-légal de Toulouse à l'issue d'une manipulation de sortie délicate, il devrait bénéficier d'un nettoyage minutieux susceptible de révéler des décors gravés. Son ouverture, elle, ne devrait pas être réalisée avant quelques mois, le temps notamment de constituer l'équipe qui en aura la charge. 

Mais l'homme du sarcophage de plomb n'est pas le seul dont le sommeil a été troublé : les archéologues ont exhumé plusieurs autres sépultures, organisées et surtout qui ne se recoupent pas, un fait rare dans un espace aussi prisé qu'est la croisée du transept (les places les plus proches du choeur étaient les plus convoitées). Là encore, leur étude reste à mener, mais leur datation est pour l’instant estimée entre le 14e et le 18e siècle. Une caméra, notamment, a laissé entrevoir que sous le radier de pierre se trouvait un autre cercueil en plomb.

Crédits : Denis Gliksman/Inrap

Prévue pour durer trois semaines, la fouille de la croisée du transept aura fini par s'étaler sur un peu plus de deux mois. Aura-t-elle une suite ? Les scientifiques en rêvent. Les autres acteurs du chantier, eux, espèrent surtout tenir le calendrier imposé par le président de la République : d'ici deux ans, la cathédrale devra rouvrir ses portes au public.

Commenter Commenter
à la une cette semaine

Centre de préférence
de vos alertes infos

Vos préférences ont bien été enregistrées.

Si vous souhaitez modifier vos centres d'intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.

Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?

Je souhaite recevoir toutes les alertes infos de la rédaction de Sciences et Avenir

Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

Santé
Nature
Archéo
Espace
Animaux
Je ne souhaite plus recevoir de notifications