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"Les pauvres ont des écrans plats et font des enfants pour les allocs": quand les idées reçues sur la pauvreté ont la vie dure

Distribution de repas dans un centre des Restaurants du coeur (photo d'illustration)

Distribution de repas dans un centre des Restaurants du coeur (photo d'illustration) - AFP

97% des Français ont au moins un préjugé sur les pauvres et la pauvreté. Quels sont les plus répandus ? Pourquoi a-t-on de telles idées reçues ? En quoi sont-ils des freins pour lutter efficacement contre la pauvreté ? A 48 heures de la Journée mondiale du refus de la misère, ce lundi, RMC.fr a recueilli le témoignage de Jean-Christophe Sarrot, coauteur de En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté.

Jean-Christophe Sarrot, membre du mouvement ATD Quart Monde et coauteur de En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, dont la nouvelle édition, qui recueille et démonte 117 idées reçues, est parue le 3 octobre. Il en a été tiré une pièce de théâtre (Salauds d'pauvres, de Noureddine Zouaoui), jouée à Paris ce samedi 15, au Conservatoire supérieur d'art dramatique. (En France, le seuil de pauvreté se situe entre 840 et 1008 euros par mois pour une personne seule).

"L'idée reçue qui revient le plus souvent - que ce soit dans les discussions de café ou de voisinage, mais aussi au niveau des médias et des politiques -, c'est de faire croire qu'avec le RSA on s'en sort mieux qu'avec le Smic: c'est faux dans 95% des cas. Au Smic, une famille touche en moyenne 500 ou 600 euros de plus que quand elle est au RSA. On pense toujours que quand on a un salaire on n'a plus droit à la prime d'activité, ou à une aide au logement ou à la CMU complémentaire, ce qui est faux, on a droit à la plupart des aides que touchent les personnes au RSA.

Autre préjugé répandu : 'S'ils font pleins d'enfants c'est pour toucher les allocs'. Là, on démontre, après calcul, qu'une famille se situant sous le seuil de pauvreté voit ses revenus augmenter de 300 euros avec un enfant (RSA, prime d'activité, allocations qui augmentent...), mais le coût de ce que représente l'enfant augmente aussi de 300 euros, ce qui veut dire qu'on gagne zéro en faisant un enfant. Donc les aides que l'on reçoit ne nous aident qu'à rester au niveau.

"Les écrans plats ne sont pas un indicateur de pauvreté"

On entend aussi souvent : 'Les pauvres ont des écrans plats, des portables…'. On a eu par exemple le président du département de l'Oise (Édouard Courtial, du parti Les Républicains, NDR) qui a dit que l'allocation de rentrée scolaire (ARS) servait à acheter des écrans plats. Ce qui n'est prouvé par aucune étude.

Mais être pauvre aujourd'hui, ce n'est pas ne pas avoir un écran plat ou un portable, c'est ne pas pouvoir manger de viande tous les jours, c'est ne pas partir en vacances, ne pas avoir de voitures… Les écrans plats sont devenus des objets tellement bons marchés qu'ils ne sont plus un indicateur de pauvreté.

"Plus facile de trouver des boucs émissaires que de résoudre les problèmes"

Pourquoi les préjugés sur la pauvreté et les pauvres perdurent ? Beaucoup d'entre nous ont dans leur entourage quelqu'un qui a dit: 'je suis au RSA et je ne veux pas retravailler parce que je vais perdre des droits'. Mais ça tient surtout au fait que la lutte contre la pauvreté est en échec - parce que la plupart des politiques sont conçues de travers et sans consulter les gens - et il est beaucoup plus facile de dire que la responsabilité de cet échec tient au fait que les pauvres ne savent pas gérer leur budget, ne veulent pas travailler et préfèrent profiter des aides qu'ils reçoivent.

Ça tient aussi au fait le citoyen se sent impuissant face à la crise et au chômage qui se développe, et comme on a très peu de prise sur tout ça, on peut avoir le réflexe de dire pour se préserver soi-même, qu'au fond si les gens sont dans la galère, c'est qu'ils en sont un peu responsables.

"Un frein à l'action contre la pauvreté"

Toutes ces représentations erronées sont un frein très important à l'action contre la pauvreté et le chômage. Elles occupent beaucoup de temps de discours et c'est autant de temps en moins pour trouver des solutions efficaces. Des solutions il y en a, mais elles ne sont pas aussi porteuses que de trouver des boucs-émissaires. On monte les gens et les catégories sociales les unes contre les autres alors qu'il faut que les gens se mettent ensemble et agissent ensemble. On l'a vu à travers notre association, à chaque fois que localement, sur le terrain, des gens qui ne se côtoient pas - les pauvres aussi ont des préjugés sur les artisans, par exemple, ou sur les politiques - se remettent à se parler et se disent 'qu'est-ce qu'on peut faire ensemble', on obtient des résultats".

Propos recueillis pas Philippe Gril