SMS, téléphone, email : comment Anonymous et la diaspora tentent d'informer les Russes malgré la censure

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SMS, téléphone, email : comment Anonymous et la diaspora tentent d'informer les Russes malgré la censure

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Des hackers proches d'Anonymous proposent des messages SMS à envoyer à des citoyens russes
Des hackers proches d'Anonymous proposent des messages SMS à envoyer à des citoyens russes
© AFP - Jakub Porzycki / NurPhoto

Que les initiatives viennent de la diaspora russe, des hackers proches d'Anonymous ou de citoyens du monde entier, la mobilisation pour contourner le rideau de la désinformation et de la censure en Russie trouve un bel élan grâce à des envois de SMS et d'appels directement aux Russes.

La machine à propagande du Kremlin est un vrai rouleau compresseur en Russie. Les chaines de télévision publiques sont à la botte de l'État, tout comme la plupart des journaux. Les rares médias indépendants ont soit fermé leurs portes, soit abandonné l'idée de couvrir librement l'invasion en Ukraine, pour éviter toutes représailles des autorités. Les réseaux sociaux russes sont surveillés, les autres sont bloqués tour à tour. Instagram est le dernier en date. En Russie, il faut miser sur un happening et la témérité d'une militante, comme ce fût le cas lundi soir avec l'interruption du journal télévisé de la chaîne Pervy Kanal, pour que la vérité éclate.  

Depuis le début du mois de mars, une loi restreint même la liberté d'expression de tous les citoyens et réprime, en brandissant la menace d'une peine de 15 ans de prison, la diffusion de toute information sur l'armée russe jugée mensongère par le pouvoir. Les Russes n'ont droit qu'à une seule version. Celle du Kremlin. Les voix dissonantes doivent donc trouver leur chemin par d'autres canaux plus classiques, comme le téléphone. Mais un Russe appelé, est-ce un citoyen informé ?

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"Ça ne sert à rien d'argumenter pour dire qui a raison et qui a tort"

Lancé le 8 mars dernier par des entrepreneurs lithuaniens, rejoints par une trentaine d'autres en Ukraine, aux États-Unis, en Irlande, aux Pays-Bas, l'initiative "Call Russia" met à disposition 40 millions de numéros de téléphones russes afin que la diaspora et les russophones du monde entier les appellent pour les informer de la situation en Ukraine. 

"Nous sommes partis d'une interrogation : comment faire en sorte que la population russe ait accès à l'information, puisque les médias indépendants et les réseaux sociaux ont été coupés... Ils ne savent pas ce qu'il se passe. La plupart des Russes soutiennent Poutine parce qu'ils n'ont aucune idée de ce qui arrive aux Ukrainiens", raconte, Paulius Senuta, l'un des fondateurs du projet, qui dirige un petit réseau d'agences de publicité en Lituanie. "Ils ont tout coupé... mais en Russie, les numéros de téléphones sont toujours publics", s'amuse t-il, "il n'y a qu'à les prendre, les rassembler et appeler tout le monde !"

Les numéros sont accessibles sur le site callrussia.org, un par un, de façon aléatoire, une fois après avoir cliqué sur le bouton "Appeler la Russie maintenant". "Ce qu'il faut tout de suite comprendre, c'est qu'on ne peut pas faire changer d'avis quelqu'un en un seul coup de fil. Ça ne sert à rien d'argumenter pour dire qui a raison et qui a tort", explique Paulius Senuta. Pour contourner ce piège contreproductif, le site propose des lignes directrices (préparées avec des psychologues) pour guider la conversation. 

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Ainsi, il est conseillé de partager avec l'interlocuteur "ce qui vous relie à la Russie", tout en glissant avec empathie et une certaine neutralité les informations sur la tragédie de la guerre pour les soldats russes et les civils ukrainiens. Il est important d'être à l'écoute, et de ne pas tenter de "les convaincre que tout ce qui les entoure est faux". Ce qu'il faut faire, poursuit Paulius Senuta, c'est leur faire prendre conscience "de la tragédie humanitaire qui a lieu en Ukraine. Tout le monde est d'accord, y compris les Russes, pour dire que tous ces morts n'ont pas lieu d'être."

81 000 appels en six jours

Depuis le lancement de l'opération, 81 000 appels ont été passés. "On estime qu'environ trois quarts des appels n'aboutissent pas, pour différentes raisons. La personne absente, occupée, etc..." Sur le site, il vous est demandé si l'appel a réussi, échoué, ou encore si ça sonnait occupé. Seulement 25% des utilisateurs ont laissé un commentaire au sujet de leur appel, ce qui permet d'avoir tout de même une petite idée de l'utilité du dispositif. L'entrepreneur lithuanien, russophone, dont la femme est à moitié russe, a lui même eu l'occasion de participer, avec plus de 100 appels à son actif : 

"Je distingue ensuite deux catégories d'interlocuteurs, d'après mon expérience personnelle et les remontées que l'on a. D'abord, les 'super en colère' qui vous hurlent dessus. Ils ne veulent pas raccrocher, ils veulent vous crier dessus. J'ai réussi à parler avec un ou deux de cette catégorie, ils me disaient 'mais qu'est-ce que vous en savez de ce qu'il se passe en Ukraine', et m'accusaient de piéger les Russes, d'être un 'agent de l'ouest'. Et puis l'autre catégorie, à l'inverse, est très polie. On peut discuter un peu avec eux, mais dès qu'ils comprennent vraiment ce que je suis en train de faire, ils se taisent. Ils se taisent car ils ont peur de parler. Mais ils ne raccrochent pas. C'est très intriguant. Ils sont toujours là. Ils écoutent."

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L'initiative est largement saluée sur les réseaux sociaux, mais les rares qui disent avoir sauté le pas et tenté un appel constatent que le mur de la désinformation est parfois difficile à briser. Un internaute écrit sur Twitter : "Certains m'ont dit que c'est Zelensky qui bombarde nos villes, d'autres m'ont dit qu'on le méritait pour s'être vendu aux occidentaux. Il y en avait des fous aussi, qui en retour m'ont envoyé des photos de la Sibérie ou de champs de neige."

Créer un pont entre le monde libre et les Russes

En parallèle à la méthode douce, il y a la méthode forte, avec ses coups d'éclat. Depuis le début de l'invasion, des hackers, dont ceux se revendiquant d'Anonymous, sont en guerre ouverte contre Vladimir Poutine, avec pour fait d'armes d'avoir notamment piraté les chaines de la télévision d'État russe en diffusant des images de bombardements en Ukraine. Face à l'enjeu majeur de l'accès à l'information en Russie, un groupe de développeur polonais, Squad303, proche de la nébuleuse, a créer un site internet, 1920.in pour envoyer des sms et des emails aux Russes. Comme pour "Call Russia", le but est de leur offrir une autre réalité à celle proposée par le Kremlin.

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Le site propose deux choses : un message et un numéro de téléphone d'un citoyen russe, choisi au hasard dans la gigantesque base piratée, contenant celle-ci 20 millions de numéros. Zumbach, l'un des développeurs du site, insiste sur le caractère "non violent" de cette guerre, visant la désinformation et les "mensonges du Kremlin". 

On ne veut pas inonder les Russes de messages. On veut créer un pont, une communication entre des personnes du monde libre et des personnes en Russie. On veut briser le mur de la propagande et de la censure et essayer de leur montrer la vérité.

Plus de 10 millions de messages auraient déjà été envoyés. En Russie, quelques centaines de milliers de personnes auraient pris le temps d'envoyer une réponse, oscillant entre peur, colère et incompréhension. Mais pour Zumbach, la stratégie se joue sur le long terme : "Même si vous envoyez un SMS aujourd'hui et que vous n'avez pas de réponse immédiate, cette personne aura votre numéro et pourra vous contacter dans un jour, une semaine, un mois... Vous serez alors peut-être sa seule source étrangère. C'est notre but à long terme."

Autre possibilité à disposition des hackers : des adresses emails. Le groupe de Polonais en aurait hacké plus de 100 millions d'adresses appartenant à des particuliers et des entreprises russes.

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