Il existe peut-être des possibilités d’intervention que nous, architectes, ne saisissons pas
 
Chère lectrice, cher lecteur,

Dans une lettre écrite il y a huit mois, nous vous faisions part de notre décision de consacrer temps et énergie à ressaisir la vie, afin d’étudier dans quelle mesure l’architecture peut demeurer pertinente face aux évolutions sociétales, y apporter des réponses et peut-être même les prévoir. Cet engagement est devenu notre grand projet cette année, avec l’idée de générer des interactions productives entre nos différents domaines d’activité, tout en renouvelant l’engagement à notre mission institutionnelle, faire de l’architecture une question d’intérêt public.
 
L’architecture a de tout temps été une pratique sociale : les transformations sociales ont inspiré des interventions architecturales visant à accueillir nos rituels et nos modèles culturels, reflets en définitive des valeurs communes ou de celles des pouvoirs en place. Mais notre projet découle du sentiment que le rythme des transformations subies respectivement par la société et l’architecture n’est désormais plus en phase, et que des pans entiers de la vie contemporaine ne s’harmonisent plus avec les espaces qu’ils occupent. L’architecture jouant aussi parfois un rôle déterminant dans la perpétuation et l’ancrage des inégalités dans notre environnement bâti, il se pourrait que nous en arrivions à vivre dans des lieux imprégnés de valeurs sociétales qui ne représentent plus une vision commune de qui nous sommes ou les visions multiples dont il nous faut prendre acte.
 
Notre implication s’est d’abord matérialisée en un dossier web lancé en mars, Réinitialiser le social, dans laquelle nous consignons nos réflexions et découvertes et avançons l’hypothèse que ce déphasage entre société et architecture peut être vu comme une occasion d’agir. Aujourd’hui, nous publions un nouveau volet de cette série, une conversation entre Giovanna Borasi et Sam Chermayeff, prélude au dévoilement de la pièce de résistance de notre travail : samedi, nous inaugurons Une portion du présent : les normes et rituels sociaux comme sites d’intervention architecturale dans nos salles principales. L’exposition, présentée jusqu’au printemps prochain, nous invite à envisager les implications spatiales des multiplicités qui caractérisent l’époque actuelle. À travers la recherche architecturale, les objets de design, la photographie contemporaine et les séries télé qui traitent des notions toujours plus éclatées de famille, propriété, agentivité, travail, obsessions et cycles de vie, l’exposition s’intéresse aux manières dont l’espace peut refléter adéquatement notre société en mutation et la diversité qui lui est inhérente : comment créer un habitat qui tienne mieux compte du large éventail des modes de vie contemporains? Comment mettre en œuvre des cadres alternatifs pour arbitrer la possession et le partage de la propriété, compte tenu de la hausse des loyers et de l’endettement? Comment de nouvelles formes d’espace public pourraient-elles renforcer la capacité d’action collective dans une perspective de changement social, politique et environnemental durable? Comment créer un contexte favorable aux conditions de travail équitables dans une réalité marquée par l’optimisation technologique? Comment mieux gérer nos existences dans l’espace numérique? Et comment repenser notre cycle de vie quand nous nous attendons à ce que cette dernière dure de plus en plus longtemps?
 
Ces questions sont également explorées dans un livre qui accompagne l’exposition, publié en collaboration avec Spector Books, que nous sommes impatients de lancer dans les semaines à venir. L’ouvrage développe ces thématiques à travers une série d’essais qui analysent le vécu contemporain et de nombreux appels à une intervention architecturale se matérialisant dans des cahiers des charges revisités : comment imaginer l’espace pour un travailleur non humain, le travail profond, ou encore pour un retraité de 30 ans? Comment s’adapter aux configurations familiales changeantes? Et comment mieux répondre aux besoins variés allant de l’enfantement au contrôle sur la façon dont nous terminons notre vie? L’architecture fait partie du portrait pourvu qu’elle le partage avec un mélange de nouvelles formes, de nouveaux rituels et de nouvelles normes.
 
Et si l’exposition et le livre visent à faire le point sur une portion du présent au sens large, même si celle-ci s’inscrit clairement dans une perspective occidentale, notre démarche d’une année passe forcément par de nombreuses discussions approfondies sur des sujets pertinents mis au jour par les travaux de recherche. Après avoir accueilli une série de conférences au printemps et à l’été derniers, lesquelles portaient sur la manière dont l’architecture s’exprime sur les modèles de famille et ses conceptions, nous lançons maintenant un projet avec e-flux Architecture pour réfléchir sur les espaces et les visages du travail. À un moment où la culture contemporaine favorise une dissolution de plus en plus large des frontières spatiales et conceptuelles qui traçaient autrefois la limite entre travail et loisirs, milieu professionnel et domicile, comment le travail agit-il en tant que lien entre les vies et les relations dans et à l’espace?
 
L’architecture peine à s’adapter au rythme et à la complexité des transformations à l’œuvre dans nos modes de vie, mais ce décalage actuel est aussi une occasion à saisir pour la discipline. De toutes nos discussions à ce propos, il est ressorti que l’architecture devrait proposer, du mieux qu’elle le peut, des organisations spatiales qui alimentent la vie, peu importe la réalité que celle-ci revêt aujourd’hui.

Cordialement, 
le CCA

P.S.: Nous avons hâte de vous accueillir le 13 novembre pour l’inauguration d’Une portion du présent : choisissez l’heure de votre visite ici.

P.P.S.: Si vous ne pouvez assister au lancement mais que vous vous trouvez aux alentours de Salzbourg ou de Shanghai, nous vous invitons à visiter une nouvelle version de Sortis du cadre : Gordon Matta-Clark à la Generali Foundation (et le symposium de ce jeudi qui y est relié) ainsi que la présentation des archives de John Hejduk à la Power Station of Art.  

P.P.P.S.: Et vous pouvez consulter notre calendrier pour voir nos opportunités actuelles et nos événements à venir, notamment le dépôt de candidature pour la Charrette CCA de cette année et la miche curatoriale avec le commissaire de Ces tapis qui nous façonnent

Retrouvez-nous sur Facebook, Twitter, Instagram et YouTube.