Surveillance des mails, des connexions, des appels... Les salariés sont de plus en plus contrôlés par leur hiérarchie. Et certains ont décidé de ne pas se laisser faire. (illustration)

De plus en plus salariés ont tendance à travailler le soir après le dîner.

Science Photo Library via AFP

On le sentait : avec le Covid, la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle est devenue plus floue. On en a maintenant la preuve grâce à une passionnante étude que vient de réaliser Microsoft, l'éditeur du fameux logiciel de visioconférence Teams, que beaucoup de Français ont découvert pendant l'épidémie.

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Longtemps, les cadres et les travailleurs intellectuels ont eu deux pics de productivité : en fin de matinée et en début d'après-midi. Mais cela, c'était "avant". Désormais, il en existe une troisième, qui se situe... après le repas du soir ! Certes, elle est moins importante que les deux autres (voir graphique ci-dessous) et ne concerne pas tout le monde, mais le phénomène est loin d'être négligeable : l'utilisateur moyen de Teams envoie désormais 42% de messages en plus après les horaires habituels de travail, selon les observations de l'étude. C'est la naissance de la "journée à triple pic", comme la qualifient les chercheurs de Microsoft.

Depuis la pandémie, une partie des salariés ont un troisième pic de travail après 21 heures

Depuis la pandémie, une partie des salariés ont un troisième pic de travail après 21 heures

© / Microsof

La journée de travail a augmenté d'une heure depuis mars 2020

Et là, il y a deux manières de voir les choses. Pour certains, ce phénomène marque un inquiétant recul social dès lors que les problèmes du bureau s'invitent à la maison et ne permettent même plus de décrocher en soirée. L'ancienne coupure de la fin de journée n'est plus, le salarié perd sa liberté et voit poindre des horaires extensibles à l'infini. "Comment pouvons-nous nous assurer que les gens ne travaillent pas 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 ?", interroge Shamsi Iqbal, chercheur principal sur la productivité et l'intelligence chez Microsoft. De fait, le danger est réel. Microsoft a constaté qu'avec la pandémie, la journée de travail moyenne a augmenté d'environ une heure depuis mars 2020, soit 13%, et le travail après les heures de bureau de 2 %, comme le souligne Derek Thomson dans un article de Work in Progress. Il n'est pas rare désormais que l'on réponde à des courriels en savourant son dessert ou en regardant une série.

Les gens ont 250% de réunions en plus qu'avant la pandémie

Cette nouvelle tendance s'explique en partie par la réunionite qui a gagné les entreprises avec le développement du travail à distance. "Les gens ont 250% de réunions en plus qu'avant la pandémie. Cela signifie que tout le reste est repoussé plus tard", relève Mary Czerwinski, directrice de recherche en compréhension humaine et empathie chez Microsoft.

Pour d'autres, au contraire, il s'agit d'une flexibilité bienvenue. Désormais, rien n'empêche de se rendre à la boulangerie, de courir quelques kilomètres ou de se faire une toile l'après-midi avant de reprendre son travail. Et pour tous ceux qui ont des enfants, il est enfin possible d'aller les chercher à l'école, de les accompagner dans leurs devoirs et de dîner avec eux avant de rattraper le temps perdu le soir. Autrement dit : on n'aurait plus à choisir entre sacrifier sa vie de famille en rentrant tard du travail et sacrifier sa carrière en se consacrant à sa progéniture. Le temps serait enfin venu où l'on pourrait être à la fois un bon parent et un bon salarié. "Maintenant, avec le triple pic, les gens ont la possibilité de faire ce qu'ils doivent faire sur le moment et ont encore le temps de travailler plus tard. C'est très important pour réduire les niveaux de stress", reprend Mary Czerwinski.

Faut-il encourager ces évolutions ou les freiner ?

Au fond, il est probable que ces nouvelles journées de travail soient perçues par les uns comme une contrainte, et par d'autres comme une flexibilité bienvenue. Ce qui n'en pose pas moins de redoutables questions, aussi bien aux patrons qu'aux syndicats : faut-il encourager ces évolutions ou les freiner ? En tout cas, il paraît évident qu'il faut les encadrer. Les recherches approfondies sur les courriels montrent que la plupart des salariés croient devoir y répondre dès qu'ils arrivent - alors que la plupart ne revêtent pas de caractère urgent.

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D'où ces quelques conseils des chercheurs de Microsoft. Les chefs de service doivent apprendre à distinguer les activités qui exigent une certaine synchronicité (les réunions, au premier chef) et celles qui peuvent être effectuées de manière autonome. Ils doivent aussi apprendre à limiter le nombre de réunions, à les rendre plus efficaces et à les concentrer sur certains jours de la semaine afin que leurs collaborateurs disposent de plages de temps suffisantes pour se consacrer au coeur de leurs missions "Nos mini-journées de travail nocturnes sont en partie la conséquence de chefs de service qui multiplient tellement les réunions que nous devons ajouter une "nuit de travail" simplement pour faire notre boulot", pointe Mary Czerwinski.

La technologie peut y aider. Les options de planification, qui existent déjà sur Outlook et sont annoncées chez Microsoft Teams, permettent d'envoyer des messages à n'importe quelle heure... tout en veillant à ce qu'ils arrivent seulement lors des heures de travail "classiques". Ce qui permet de ne pas perdre une idée précieuse tout en permettant à notre interlocuteur de le recevoir à un moment qui lui convient. Pas sûr, cependant, que cela permettre d'être sûr d'arriver à la situation idéale : être certain que celui qui travaille à 21 heures le fait parce qu'il l'a décidé et qu'il vit mieux ainsi.

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