Accepter des aliments importés contenant davantage de résidus de glyphosate ? Devant le déluge de commentaires suscité par sa proposition, Santé Canada a décidé cette semaine de prolonger sa consultation jusqu’au 3 septembre. Aperçu.

Quel est le changement proposé ?

L’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada propose d’augmenter la limite maximale de résidus (LMR) de glyphosate permise pour deux catégories de denrées : les « haricots » (y compris pois chiches, lupins et doliques) et les « pois » (dont les lentilles sèches et les pois des champs). Le seuil de tolérance passerait de 4 à 15 parties par million (ppm) pour les haricots, de 5 à 10 ppm pour les pois et de 4 à 10 ppm pour les lentilles. Une première limite serait aussi créée pour les amandes, les pacanes et les autres noix écalées, soit 1 ppm.

Pourquoi est-ce si controversé ?

La perspective de consommer des aliments contenant davantage de résidus de pesticides – particulièrement du glyphosate (dont la marque la plus connue est le Roundup), qui fait toujours l’objet de vives controverses – n’est pas banale. Et comme le reconnaît l’ARLA, son document de consultation n’était « pas très clair tout le temps ». Les limites actuelles sont mal, ou pas du tout, indiquées. Celles du gruau et du son d’avoine, pourtant les premiers aliments mentionnés au tableau, ne sont d’ailleurs même pas augmentées : elles ont seulement été incluses à cause d’un changement de terminologie !

Pourquoi tolérer plus de résidus ?

L’ARLA a proposé ces limites supérieures après avoir reçu une demande de la multinationale Bayer (propriétaire de Monsanto, à l’origine du Roundup). Bayer a soumis des données d’essais au champ réalisés aux États-Unis, montrant les taux de résidus lorsque le glyphosate est appliqué de trois à sept jours avant la récolte.

N’est-ce pas dangereux pour la santé ?

Aux limites proposées, « ces résidus ne poseront pas de risques inacceptables pour aucune sous-population », affirme l’ARLA. Pour en arriver à cette conclusion, l’agence a entré les taux de résidus qu’on lui a soumis dans un outil de calcul de l’Organisation de coopération et de développement économiques, puis analysé les LMR ainsi obtenues. Ces limites plus élevées présentant encore des risques inférieurs aux seuils jugés acceptables par l’ARLA, celle-ci suggère de les adopter.

Qu’en pensent les scientifiques indépendants ?

Beaucoup sont en désaccord.

« On n’a presque pas d’études sur la santé humaine en lien avec les glyphosates parce que, jusqu’à récemment, on n’avait pas les méthodes appropriées en laboratoire pour mesurer les résidus de ces pesticides, par exemple dans l’urine », explique Maryse Bouchard, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les contaminants environnementaux et la santé des populations.

L’Organisation mondiale de la santé a classé le glyphosate comme cancérigène probable pour les humains « avec la meilleure science possible », fait valoir Sébastien Sauvé, professeur en chimie environnementale et vice-doyen de la faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal. L’analyse de l’ARLA, elle, intègre aussi des rapports confidentiels d’entreprises qui n’ont pas été révisés par les pairs, dénonce-t-il. « C’est basé sur de l’information obscure qui, scientifiquement, n’est pas valable ! »

Les nouvelles limites canadiennes pour les haricots et les pois seraient aussi plus permissives que celles des États-Unis.

« On va être les plus laxistes, les plus permissifs, donc on va servir de cobayes », déplore M. Sauvé. « Est-ce que le Canada va devenir l’endroit où les pays qui ont des produits trop contaminés font du dumping ? », s’inquiète Mme Bouchard.

Comment se défend Santé Canada ?

Les données confidentielles soumises par les fabricants « doivent suivre des protocoles prescrits très stricts », plaide Isabelle Pilote, chef de section pour la direction de l’évaluation sanitaire à l’ARLA. « Pour qu’on les regarde, il faut que tout soit validé. » Ces données peuvent être consultées dans une salle de lecture du gouvernement, dit-elle. L’évaluation du risque du glyphosate est fondée sur les données de consommation de plus de 10 000 Canadiens et tient compte de nombreux facteurs, souligne Mme Pilote en citant l’âge, l’ethnicité et les saisons. L’analyse présume aussi que tous les aliments consommés pour lesquels le glyphosate est homologué, dont les céréales, en contiennent. Et si les limites américaines sont actuellement plus sévères, « les États-Unis sont aussi en train d’évaluer ces données », dit Mme Pilote.

Quel serait l’impact sur notre agriculture ?

Les seuils de tolérance plus élevés s’appliqueraient aussi aux produits locaux. « Ce n’est pas quelque chose que les producteurs attendaient ou ont demandé », assure le président de l’Union des producteurs agricoles, Marcel Groleau. « On travaille pour diminuer l’usage des pesticides, mieux les utiliser, trouver des solutions de remplacement », rappelle-t-il.

« C’est un nivellement par le bas que nous ne pouvons pas accepter en 2021 », a dénoncé le président du producteur de produits de porc duBreton, Vincent Breton, dans un communiqué

« Cette annonce nous semble incohérente avec les efforts récents du milieu agricole canadien qui tente d’opérer un laborieux virage vers l’agriculture raisonnée depuis près de 20 ans », ont déclaré collectivement l’Ordre des chimistes du Québec, l’Association des microbiologistes du Québec et l’Association des biologistes du Québec.

Même son de cloche du côté du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec. Celui-ci garde le cap sur son « Plan d’agriculture durable qui a pour objectif de réduire l’utilisation des pesticides » et « fera donc connaître son point de vue lors des consultations », nous a indiqué un porte-parole.

Les niveaux de résidus des cultures canadiennes n’augmenteront pas parce que le mode d’emploi du glyphosate au Canada demeurera inchangé, nous a pour sa part affirmé Bayer par courriel.

Accédez au lien pour participer à la consultation de Santé Canada

44 %

Pourcentage des ventes totales d’ingrédients actifs de pesticides au Québec qui sont constituées de glyphosate

Source : ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Bilan des ventes de pesticides au Québec, année 2019

99,3 %

Proportion des 3622 échantillons d’aliments importés testés qui respectaient les limites de résidus de glyphosate au Canada, entre 2015 et 2017

Source : Kolakowski BM et al., Analysis of Glyphosate Residues in Foods from the Canadian Retail Markets between 2015 and 2017, J Agric Food Chem, 20 mai 2020