Autant au Québec qu’à l’international, le vitrail a souvent été délaissé par les historiens de l’art. Sans vouloir dire qu’il reste tout à faire, le Québec est encore dans les prémices d’un véritable projet d’étude sur ce médium. Qu’il s’agisse de valorisation, de conservation ou de médiation, les spécialistes de cet art noble sont assez rares, autant dans les milieux universitaires que dans les institutions muséales québécoises. Concernant le domaine des humanités numériques, quelques projets notables émergent mais ne répondent pas véritablement aux besoins actuels du vitrail canadien et québécois. Ainsi, un réel projet d’envergure doit être mis en place afin de rattraper notre retard sur l’étude de ce patrimoine particulier par rapport à d’autres pays membres du Corpus Vitrearum.

IMG_Les vitraux du Québec 1.jpg Prototype de site internet Omeka Classic réalisé par mes soins en localhost dans le cadre du séminaire de Muséologie Numérique du professeur Emmanuel Château-Dutier.

1. Un état des lieux de la réalité du vitrail et de son étude au Québec

Organisé en plusieurs comités nationaux sous l’égide d’un comité international, le Corpus Vitrearum est une structure de recherche dédiée à l’étude et à l’inventaire des vitraux[1]. Créé au milieu du XXe siècle à l’initiative du professeur Hans Robert Hahnloser, le Corpus se concentrait surtout sur le vitrail médiéval avant de s’ouvrir récemment à l’étude des vitraux modernes et contemporains[2]. La mission principale était de faire évoluer les considérations des historiens de l’art sur le vitrail afin qu’ils en aient une meilleure appréciation[3]. Toutefois, tous les pays membres du Corpus Vitrearum ne sont pas avancé au même niveau dans cette quête de vitrail. Notons que le comité canadien n’a été créé qu’en 1984 par l’historien de l’art Roland Sanfaçon. Certes, nous sommes déjà chanceux d’avoir un comité national. Néanmoins, le comité assez nombreux au départ est réduit de nos jours à seulement quatre membres : Roland Sanfaçon, Ariane Isler-de Jongh, Shirley Ann Brown et Claire Labrecque[4]. Manifestement, il y a une crise de vocation chez les historiens de l’art. Même si quelques études ont été réalisées pour les verrières modernes et contemporaines, forcer est de constater qu’il y a une forte concentration sur les vitraux de l’époque médiévale, ce qui pourrait s’expliquer par rapport au caractère premier du Corpus qui était dédié à cette période de même que du fait des spécialités des premiers membres du comité canadien.

Quoi qu’il en soit, il n’existe que très peu de projets scientifiques et numériques pour l’étude des vitraux au Canada. En effet, on peut citer deux principaux sites internet qui se rapprocheraient d’un tel projet : Registry of Stained Glass Windows in Canada (RSGC)[5][ propulsé par le professeur Shirley Ann Brown de l’Université de York en Ontario et l’Institute for Stained Glass in Canada[6] fondé par Patrick Burns, un passionné résidant à Vancouver en Colombie-Britannique. Le premier n’est plus actif depuis 2009 et le second est assez bien réalisé mais ne revêt pas véritablement un caractère scientifique. D’autres sites subsistent, à l’instar de l’Atelier Rodrigue de Sherbrooke[7], mais sont sensiblement différents étant donné qu’ils ont été créé par des maîtres verriers ou des vitraillistes pour des clients désireux de faire réaliser ou restaurer une verrière. Pour ce qui est du vitrail québécois, il n’existe, à ma connaissance, aucun projet numérique pour le moment.

IMG_Registry of Stained Glass Windows.jpg Page d’accueil du site Registry of Stained Glass Windows in Canada (RGSC).

IMG_Institute for Stained Glass in Canada.jpg Page d’accueil du site Institute for Stained Glass in Canada.

## 2. Les technologies minimales sources de projets ambitieux pour le vitrail ? ##

IMG_Publicité route du vitrail.jpg Publicité de l’application “Route du vitrail” pour la Cité du Vitrail de Troyes.

Avec l’émergence des technologies minimales et l’apparition d’une culture numérique, les universités de même que les institutions muséales doivent proposer des réponses ou des solutions à ces changements. Plus récemment encore, la crise sanitaire de la Covid-19 a débouché sur la fermeture des lieux de rencontre et de valorisation « physiques » du patrimoine. Au-delà du simple visiteur, le chercheur est lui aussi empêché étant donné que, pour l’exemple du vitrail religieux montréalais, il n’est plus possible d’entrer dans les églises en dehors des horaires de célébrations religieuses qui ne permettent évidemment pas de récolter des données sur les vitraux. En lien avec l’étude du vitrail, les technologies minimales offrent la possibilité de proposer des projets ambitieux de valorisation de ce médium tout en répondant aux contraintes actuelles et futures. En ce sens, la Cité du Vitrail de Troyes, en France, va sortir d’ici l’été une application gratuite, sur cellulaire, intitulée « Route du vitrail » qui ouvrira la voie à l’exploration de vitraux in situ dans tout le département de l’Aube[8]. Dans la même perspective, le Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (CESR) de Tours a mis en ligne, en 2010, une exposition virtuelle permanente intitulée Les vitraux de la Renaissance à Chartres[9] qui est l’une des plus abouties en la matière. Pourtant, ces réalisations semblent bien loin de l’état d’esprit des technologies minimales[10] et il serait plus qu’intéressant de réaliser des projets ouverts et accessibles à des institutions de toutes tailles et sans restriction de moyens dans la lignée du Guide du Balado pour les musées[11] rédigé par Julien Lehoux, Camille Rémillard-Vigneault et Magalie Rouleau. Produit dans le cadre du projet Muséadon dirigé par le professeur Emmanuel Château-Dutier du département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, ce guide permet d’avoir une meilleure idée des modalités de production et de diffusion d’un balado.

IMG_bandeau-actu-expo-virtuelle-VITRAIL.jpg Page d’accueil de l’exposition numérique Les vitraux de la Renaissance à Chartres du Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (CESR) de Tours.

Sans être nécessairement hébergés sur un serveur en ligne, ces outils peuvent aussi nous permettre de créer des projets in situ comme pour l’arc de triomphe de l’ancienne cité romaine Carnuntum, actuelle commune de Petronell-Carnuntum en Autriche, qui possède dès à présent un panneau de verre qui propose au spectateur d’avoir une idée de ce à quoi ressemblait l’arc dans son état d’origine[12]. Pour le vitrail, ce réinvestissement du numérique dans des projets « physiques » est tout à fait cohérent. Prenons l’exemple de la valorisation des cartons des vitraux disparus de Maurice Denis réalisés par Marguerite Huré à l’église Saint-Pierre-saint-Paul de Villenauxe-la-Grande dans l’Aube. Détruites le 13 juin 1940 par des bombardements, ces verrières commémoratives ne sont maintenant visibles qu’à travers les cartons réalisés de la main de l’artiste, ce qui est extrêmement rare pour un vitrail étant donné qu’on ne conserve généralement que les maquettes ou les projets précédents les maquettes[13]. Le fait de pouvoir réinstaller des facsimilés numérisés dans leur lieu d’origine, en dialogue avec les verrières contemporaines de David Tremlett, est une occasion unique de redécouvrir ce médium et son processus de création dans un lieu logique et atypique. Valoriser le vitrail grâce à des objets produits à partir de technologies minimales permettrait d’accroître les ateliers et supports de médiation, ce qui ouvrira indéniablement l’intérêt sur ce médium, que ce soit du côté du spectateur que du côté du muséologue et/ou de l’historien de l’art.

IMG_Panneau autriche.jpg Exemple de la mise en place d’un panneau de verre donnant à voir la forme originelle de l’arc de triomphe de la cité romaine Carnuntum.

## 3. Création et mise en ligne d’un site destiné à répertorier les vitraux du Québec ##

IMG_Digitales Deutschland.jpg Aperçu d’une page du Digitales Bildarchiv du comité allemand du Corpus Vitrearum.

IMG_im Kontext.jpg Aperçu d’une page du Glasmalereien im Kontext du comité allemand du Corpus Vitrearum.

Proposé en réaction aux Digitales Bildarchiv[14] et Glasmalereien im Kontext[15] du comité allemand du Corpus Vitrearum, notre projet de base de données à caractère scientifique en libre accès, libre de droits et participative a pour but de centraliser les informations liées aux vitraux québécois tout en créant une dynamique participative ouverte à tous. Avec l’aide de collaborateurs situés aux quatre coins du Québec, nous souhaitons mettre en ligne un site de référence dans la recherche, la valorisation et la transmission de ce patrimoine verrier : Les vitraux du Québec Stained Glass. Réalisé dans un premier temps en parallèle de mon doctorat en histoire de l’art à l’Université de Montréal sur les vitraux montréalais entre le milieu du XIXe siècle et le troisième quart du XXe siècle, Les vitraux du Québec Stained Glass centralisera dans un premier temps l’ensemble des informations basiques glanées au fur et à mesure de mes rencontres avec les vitraux de la province. Ensuite, l’objectif sera de créer une dynamique participative dans laquelle chaque passionné de ce médium pourra apporter sa pierre à l’édifice : photos réalisées dans le respect du guide proposé, identification d’archives et/ou de bibliographie probable, proposition d’outils de médiation ou de valorisation du vitrail, etc. Enfin, nous pourrons mettre en place de véritables projets collaboratifs avec des institutions muséales québécoises et canadiennes dans le but de mettre de l’avant leurs collections liées de près ou de loin au vitrail grâce à l’utilisation d’outils issus de l’univers des technologies minimales. Toutefois, Les vitraux du Québec Stained Glass n’aura pas vocation à récupérer des informations sur les verrières conservées dans des institutions muséales. Quoi qu’il en soit, une aide sera toujours proposée afin de faire avancer la recherche.

IMG_Les vitraux du Québec 2.jpg Détail du prototype de site Omeka Classic réalisé en localhost dans le cadre du séminaire.

Pour se faire, un premier prototype a été réalisé à partir d’un site Omeka Classic avec, en parallèle, l’installation d’Arches Project. Un élément primordial devra guider notre quête de savoir au fur et à mesure du projet : proposer une licence Creative Commons adaptée à nos projets. Dans tous les cas, Les vitraux du Québec Stained Glass fera avancer la recherche tout en mettant de l’avant un médium encore trop peu connu au Canada.

IMG_Exemple Arches Project.jpg Aperçu de l’interface d’Arches Project.

La mise en ligne de ce projet sera rendue possible grâce à la création prochaine du laboratoire d’histoire de l’art et muséologie numérique de l’Université de Montréal. Pouvoir situer, identifier et renseigner des informations sur un vitrail permettra sans doute de donner un nouvel élan à ce médium tout en révélant ceux qui sont actuellement en péril. Pour conclure notre projet de recherche, Les vitraux du Québec Stained Glass admettra un volet « muséologie » qui documentera les dispositifs de production et de valorisation d’expositions autour du vitrail dans les institutions muséales québécoises. Répertorier et connaître de telles pratiques permettrait de faire sortir de l’ombre le vitrail, ce qui n’est fait que très rarement du fait d’un manque de connaissances du médium et des modalités de son exposition. Il faut voir plus loin que le vitrail in situ afin de proposer un contenu attractif de qualité.

Notes en bas de page

[1] Corpus Vitrearum International (2021). L’histoire du Corpus Vitrearum International (en ligne). http://www.corpusvitrearum.org/ (consulté le 13 mai 2021).

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Corpus Vitrearum International (2021). Comité canadien du Corpus Vitrearum (en ligne). http://www.corpusvitrearum.org/ (consulté le 13 mai 2021).

[5] Brown, Shirley Ann (2009). Registry of Stained Glass Windows in Canada (en ligne). http://www.yorku.ca/rsgc/index.html (consulté le 13 mai 2021).

[6] Burns, Patrick (2021). Institute for Stained Glass in Canada (en ligne). https://www.glassincanada.org/ (consulté le 13 mai 2021).

[7] Rodrigue, Serge (2021). Atelier Rodrigue (en ligne). https://atelier-rodrigue.ca/ (consulté le 13 mai 2021).

[8] Cité du Vitrail de Troyes (2021). Route du vitrail (en ligne). https://www.cite-vitrail.fr/721-50-sites-a-visiter-aube.htm (consulté le 13 mai 2021)

[9] Les vitraux de la Renaissance à Chartres (2010). (Exposition Virtuelle) : Centre d’Études Supérieures de la Renaissance, depuis 2010. http://arviva.univ-tours.fr/web/vitraux/0-onglet.html (consulté le 13 mai 2021).

[10] Dans certains cas, l’absence de connaissance du code informatique peut effrayer un chargé de projet. Toutefois, il existe de nombreux tutoriels sur internet qui peut nous accompagner étape par étape dans la réalisation d’un projet appartenant aux technologies minimales.

[11] Lehoux, Julien, Rémillard-Vigneault, Camille, Rouleau, Magalie (2021). « Le guide du Balado pour les musées », Muséadon, 18 avril (en ligne). http://www.museadon.ca/2021/04/18/LeGuideDuBaladoPourLesMus%C3%A9es.html (consulté le 13 mai 2021).

[12] Römerstadt Carnuntum (2020). Der Frühling in der Römerstadt Carnuntum (en ligne). https://www.carnuntum.at/de/aktuelles-in-und-ueber-carnuntum/was-ist-los-in-carnuntum/fruehling-in-carnuntum (consulté le 13 mai 2021).

[13] Rencontres de la Cité du Vitrail (2019). (En ligne), Entrevue avec l’ingénieure d’études honoraire en histoire de l’art Véronique David à l’occasion de la présentation des cartons de Maurice Denis dans l’église Saint-Pierre-saint-Paul de Villenaux-la-Grande, Youtube, 19 août. https://www.youtube.com/watch?v=2liy09q2YJY (consulté le 11 mai 2021).

[14] Corpus Vitrearum Deutschland (2021). Digitales Bildarchiv (en ligne). https://corpusvitrearum.de/cvma-digital/bildarchiv.html (consulté le 23 mars 2021).

[15] Corpus Vitrearum Deutschland (2021). Glasmalereien im Kontext (en ligne). https://corpusvitrearum.de/glasmalerei-im-kontext.html (consulté le 23 mars 2021).