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Donjon Antipodes : tribulations canines au pays des elfes et des orques

«Donjon Antipodes» se déroule dans un passé très lointain, bien avant les autres albums de la saga. Lewis Trondheim - Joann Sfar - Grégory Panaccione / Delcourt

LA CASE BD - Après six ans d’absence, la truculente saga de Lewis Trondheim et Joann Sfar revient avec une nouvelle série dessinée par Grégory Panaccione. Une collaboration fructueuse.

«Depuis tout petit, j’adore les chiens. J’aime les observer, les dessiner, j’aime leur personnalité… Disons qu’ils me font rire et qu’ils me donnent de la joie!», s’amuse Grégory Panaccione. Alors quand Lewis Trondheim lui propose de dessiner une nouvelle série Donjon centrée sur les aventures de deux véritables cabots (comprendre: non anthropomorphiques), il n’hésite pas. L’artiste n’a pourtant jamais lu le moindre album de la tentaculaire saga...

Créée en 1998 par Lewis Trondheim et Joann Sfar, cette fresque médiévale-fantastique aux accents parodiques a pris au fil des ans une ampleur peu commune, multipliant les personnages, les arcs narratifs et les styles graphiques, avec la complicité de toute une panoplie de dessinateurs invités: Manu Larcenet, Christophe Blain, Boulet, Andreas, Blutch, Mazan... Preuve de son succès, un million et demi d’exemplaires ont été vendus à ce jour.

Début 2020, après six ans de pause et alors que la série compte 36 albums, Donjon est de retour. L’éditeur Delcourt dégaine simultanément le tome 7 de Donjon Zénith, la série originale, et le tome 1 d’une toute nouvelle série ancrée dans un passé très lointain: Donjon Antipodes, avec Grégory Panaccione au dessin.

Deux conceptions différentes de la relation maître-chien (planche reconstituée à partir des pages 36 et 37). Lewis Trondheim - Joann Sfar - Grégory Panaccione / Delcourt

D’abord illustrateur dans la publicité puis storyboarder dans l’industrie de l’animation, Grégory Panaccione perce dans la BD en 2010 avec Toby mon ami, qui était déjà l’histoire d’un chien. Il alterne ensuite les récits en solo (Âme perdue, Match, Un été sans maman) et les collaborations avec des scénaristes (Un océan d’amour, Qui ne dit mot , la série Chronosquad...). Des univers assez éloignés de celui de Donjon, de prime abord. Mais le dessinateur relève le défi et décide de faire confiance au tandem de scénaristes Trondheim-Sfar, qui lui envoie une dizaine d’albums pour se familiariser avec la saga, pétrie de références à Donjons & Dragons mais dotée d’un humour et d’une cohérence propres.

Habitué du dessin sur tablette graphique ou écran interactif, l’article décide de profiter de l’expérience Donjon Antipodes - seulement 45 pages, story-board fourni par les scénaristes - pour se mettre au travail. «Je n’avais jamais fait de BD en traditionnel. Ce n’était pas facile mais je suis content [du résultat]. C’est vraiment très agréable!», assure-t-il. Désormais, il ne travaille presque plus sur ordinateur.

Lewis Trondheim et Joann Sfar avancent dans l’histoire case par case, créant une sorte de bande infinie. Ils ne travaillent pas avec les fins de pages mais avec le rythme

Grégory Panaccione

Le processus créatif de Donjon, que l’on peut assimiler à une partie de ping-pong entre Lewis Trondheim et Joann Sfar, est assez atypique dans le monde de la bande dessinée. «Ils travaillent sur au moins deux albums en même temps. L’un commence une séquence - une planche, ou deux, ou trois - puis l’autre la continue», explique Grégory Panaccione, admiratif de cette méthode «parfaite». Peut-être plus étonnant encore, «ils avancent dans l’histoire case par case, créant une sorte de bande infinie. Ils ne travaillent pas avec les fins de pages mais avec le rythme. Toutes les 2-3 vignettes, il se passe quelque chose d’important - une surprise ou un coup de théâtre - qui pourrait être en fin de page».

Ce story-board, accessible en réalité augmentée grâce à l’application mobile Delcourt Soleil +, est assez rudimentaire. «Il y a l’essentiel, tranche le dessinateur. Ma difficulté, c’était d’être le plus proche de la spontanéité des expressions, des situations. Autant les dessins du story-board peuvent être très interprétables - parfois il n’y a même pas de dessin -, autant le dialogue est figé, précis. Ils écrivent vraiment très bien

L’art de brosser un elfe dans le sens du poil. Lewis Trondheim - Joann Sfar - Grégory Panaccione / Delcourt

En choisissant de mettre en scène un duo de toutous que tout oppose - l’un est un american bully sanguinaire et l’autre un beagle raffiné -, Donjon Antipodes applique un ressort humoristique certes éprouvé mais particulièrement efficace, avec nombre de situations hilarantes à la clé. L’absence de lien concret avec le reste de la saga pourra dérouter les fans mais elle permet à la série d’être découverte sans le moindre prérequis. Si ce n’est, peut-être, l’amour des chiens.

La case BD

Des morts et des chiens qui parlent. Lewis Trondheim - Joann Sfar - Grégory Panaccione / Delcourt

«Ce que j’aime bien dans Donjon, c’est ce contraste entre le côté un peu humoristique du dessin, qui pourrait s’adresser aux enfants, et les thèmes traités qui sont souvent pour adultes, avec parfois du gore», confie Grégory Panaccione.

C’est le cas avec la planche ci-dessus, qui s’ouvre sur une image macabre: un orque décapité et un personnage féminin démembré. Nymphe? Ondine? Elfe aquatique? Grégory Panaccione n’en est pas sûr! «Je me suis inspiré des dessins de Christophe Blain (à l’œuvre sur les quatre premiers Donjon Potron-Minet, NDLR) ou même ceux de Joann Sfar, qui dessine souvent les femmes comme ça», affirme-t-il, avouant ne pas avoir de style précis. «Ça vient du fait que j’ai travaillé dans le dessin animé: on doit s’adapter aux séries qui nous sont proposées.»

Dans la vignette suivante, l’american bully parle la bouche pleine, un morceau d’intestin fraîchement arraché coincé entre les crocs. «Pour les chiens, c’est assez normal d’étriper quelqu’un, ils ne se posent pas plus de questions que ça», sourit le dessinateur installé à Milan, avant d’enchaîner sur une anecdote: «J’avais fait un séjour à la campagne en Toscane où j’aidais des gens dans une ferme. À un moment, un chien - un petit chien sympa, avec des petites pattes! - a “coursé” un bébé sanglier et il l’a carrément étripé. Après, il a été tout gentil.»

Cette planche-là, c’est Joann Sfar qui l’a découpée. C’est assez dans son état d’esprit de passer d’un côté onirique - la première image est très bizarre - à des personnages qui parlent d’eux-mêmes

Grégory Panaccione

La case de droite peut être perçue comme un clin d’œil «méta» au lecteur. «Ils disent qu’un jour on écrira des légendes sur toi et moi», prophétise le beagle, en référence à la BD que le lecteur tient entre les mains. «Cette planche-là, c’est Joann Sfar qui l’a découpée. C’est assez dans son état d’esprit de passer d’un côté onirique - la première image est très bizarre - à des personnages qui parlent d’eux-mêmes», analyse Grégory Panaccione. Un changement de tonalité assez typique de l’univers Donjon, qui cherche sans cesse à surprendre le lecteur, à relancer son intérêt.

Un deuxième tome est d’ores et déjà dans les tuyaux. Quant aux séries Parade et Monsters, elles seront elles aussi prolongées cette année, sans oublier le second cycle Antipodes situé, par effet de symétrie, dans un futur distant. Quel rythme! Finalement, l’objectif des 300 albums Donjon ne semble plus si absurde...

«Donjon Antipodes» tome 1, «L’Armée du crâne», de Lewis Trondheim, Joann Sfar et Grégory Panaccione, Delcourt, 11,95 euros.

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1 commentaire
  • Forks17

    le

    Soyons honnêtes : cette nouvelle - énième - itération de Donjon n’a aucun intérêt. Le goût de Joann Sfar pour l’improvisation a donné des BD magnifiques mais également des ratages complets. En voici un.

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