Lionel Terray fut l’un des plus grands alpinistes de l’avant et après dernière guerre mondiale. Sa vie verticale intense et sa fin tragique en 1965 dans le Vercors avec son compagnon de cordée Marc Martinetti, a marqué deux générations de grimpeurs et alpinistes. L’alpiniste et écrivain Lionel Daudet est de ceux-là.
Il a publié récemment aux Éditions Stock une biographie sur Lionel Terray, Le montagnard. Dans les pas de Lionel Terray.
Montagnes Reportages s’est intéressé à la genèse de ce projet, sa préparation et aux coulisses de l’écriture.

Une interview exclusive pour Montagnes Reportages
Crédit photos : Lionel Daudet sauf mentions contraires. Couverture © Jean-François Paga

Comment a germé l'idée d’écrire un ouvrage sur Lionel Terray?

Lionel Daudet : Elle est venue de mon éditeur Stock qui trouvait très intéressant que je porte le prénom de Lionel en mémoire de Lionel Terray. Stock m'a amené ce projet que j'ai refusé une première fois. L'idée de me frotter à une icône sacrée de l'alpinisme me faisait peur tout simplement. J'allais devoir non seulement parler de sa vie, dérouler sa biographie mais aussi faire des allers-retours dans ma propre vie, dans mon époque et donc d'en explorer les résonances et les échos.
Puis finalement au bout quand même de quelques temps, j'ai mûri. J'ai trouvé une idée, un fil conducteur pour ma narration qui m'a amené à me plonger dans un process d'écriture assez long puisque ça a duré quasiment 2 ans.

Savais-tu dès le départ dans quelle direction tu irais?

J'avais quand même l'idée d'écrire la biographie la plus riche possible sur Lionel Terray, connaissant évidemment cette somme qu'est Les Conquérants de l'inutile, son œuvre majeure. Mais en même temps, elle ne dit pas tout et ne raconte pas tout de sa vie. J'avais envie d'être aussi plus exhaustif à ce niveau-là car étrangement, il y a eu très peu d'écrits sur Lionel Terray au fil des années.
Ensuite, il y avait aussi vraiment l'idée de réinscrire le personnage de Lionel Terray dans mon époque et dans ma vie. En explorer les influences, questionner à la fois le lecteur mais aussi moi, par exemple sur son engagement politique pendant la seconde guerre mondiale et dans l'alpinisme d'après-guerre, et à l'heure actuelle aussi.
Puis cette idée de faire une sorte de partie de ping-pong un peu virtuelle avec Terray, de trouver à chaque fois des résonances, tout en séparant évidemment complètement les choses afin de ne pas sombrer dans une forme de prétention ou en gros je me revendiquerai comme étant le fils de ou l'héritier de.
Je devais vraiment séparer ça pour arriver à faire ce que cette idée n'apparaisse justement pas dans la tête du lecteur.

Est-ce que la pression d’écriture s’est dissipée par la suite?

J’ai eu la pression jusqu’au bout, c’est pour ça que j’étais très content des retours sur les premiers jets que je fournissais à ma femme, à Benoît Heimermann et à mon éditrice Mélie Chen, avec laquelle j’ai travaillé très assidûment.
Dans l’écriture, j’avais un peu la tête dans le guidon. Je me posais toujours cette question : « Est-ce que tu n’es pas en train de déraper là? ». J’essayais de trouver soit des ancrages géographique qui me permettaient de passer de Lionel Terray à moi, soit des ancrages plus thématiques comme le secours en montagne, l’engagement, etc.

Lors de tes recherches, as-tu appris certaines choses que tu ignorais totalement sur Lionel Terray? Où as-tu effectué ces recherches?

J’ai beaucoup appris sur Terray. J’ai fait des recherches assez approfondies au centre d’archives de l’ENSA à Chamonix. Le site web du Groupe de Haute Montagne est également extrêmement fourni en archives, papiers multiples et variés.
Les archives départementales de l’Isère m’ont ouvert grand leurs portes. J’ai pu compulser les rapports qui avaient été effectués par la CRS Alpes. C’est elle qui avait fait le secours au moment du décès de Terray. C’était très intéressant d’avoir quelque chose de factuel à ce niveau-là.
Puis il y a eu un deuxième plan de recherches où là, c’était beaucoup plus humain. Je me suis intéressé à ceux qui de près ou de loin avaient pu côtoyer Lionel Terray, avec évidemment ses fils Nicolas et Antoine, mais encore d’autres personnes, comme des fils ou des filles de ses compagnons de cordée. Je pense notamment à Agnès Couzy, la fille de Jean Couzy et Marie-Laure Tanon, la fille de Lucien Devies. Et aussi d’autres personnes, comme ses anciens compagnons qui sont maintenant des vieux messieurs, Jean-Louis Bernezat ou Sylvain Sarthou, qui était de la dernière expédition de Terray au mont Huntington en 1964.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi dans cette écriture?

Je dirais que le plus dur a été l’écriture plus particulière de certains chapitres. L’idée est venue assez naturellement de chapitrer le livre comme l’ascension d’une montagne ou comme l’ascension de la dernière voie de Lionel Terray, la Fissure en Arc de Cercle au Gerbier dans le Vercors. Tout ça me constituait le plan. Après, je savais que j’allais dérouler la vie de Terray. Au début, je l’avais fait d’une manière plus thématique en prenant des blocs, Himalaya, Andes, Alpes, etc. C’est un gros travail que j’ai refait en deuxième jet. Mon éditeur m’avait justement fait remarquer qu’on perdait trop Lionel Terray à écrire quelque chose de trop thématique. Il valait mieux un déroulé chronologique et biographique de sa vie sinon ça amenait de la confusion.

Le livre se structure avec trois couches de récits parallèles. La première couche qui est au présent est l’entête de chaque chapitre, l’approche de la voie, la longueur 1 est le chapitre 1, la longueur 2 est le chapitre 2, etc. La deuxième couche est la vie de Lionel Terray jusqu’à sa mort. Enfin la troisième couche, c’est ma vie propre, mon époque ou les évolutions. Il y a donc une structure qui n’est pas très simple.
Puis une remarque forte et juste était de me dire qu’on ne peut pas comprendre le rôle de Lionel Terray dans sa générosité et abnégation au service de l’équipe dans le livre Annapurna, premier 8000, si on ne comprend pas son rôle dans la seconde guerre mondiale.
La traversée de cette guerre par les alpinistes de sa génération, n’a jamais été anodine. On le voit dans l’histoire de la montagne où il y a eu autant d’alpinistes forts qui ont été des résistants exemplaires - Terrray en à fait partie à la fin de cette guerre - que des fachistes ou collaborateurs convaincus.

L’idée de refaire la dernière voie d’escalade de Lionel Terray t’était nécessaire?

C’était indispensable pour plusieurs plans, déjà pour rentrer dans la narration du livre. Evidemment, j’aurais pu me contenter de photos ou de récits de copains qui avaient fait la voie, mais il fallait absolument que je m’immerge dans l’ascension qui allait être le fil conducteur du livre. Qui plus est, cette voie était finalement assez étrange. On le voit bien quand on fait une escalade dans une belle paroi avec un compagnon de cordée, Patrick Wagnon en l’occurrence, qui est vraiment un excellent copain. Il y a beaucoup de joie, d’enthousiasme et de déconnade. Puis en arrière-plan, comme je pense tous ceux ou celles qui gravissent la Fissure en Arc de Cercle, il y a toujours cette cordée fantôme qui nous précède, Lionel Terray et Marc Martinetti.

Au fil des longueurs, on va s’en rapprocher jusqu’à finalement peu avant la cime, arriver sans savoir précisément où parce que les témoins, les vestiges de l’accident se sont effacés. Leur mort a eu lieu en 1965, ça fait déjà quelques décennies mais c’est quelque chose qui reste très présent à l’état d’esprit. Je ne pense pas qu’il y ait un grimpeur ou une grimpeuse qui ait grimpé dans cette voie, sans se poser la question de savoir à quel moment ils ont mortellement dévissé. C’est vraiment qu’en compulsant à postériori les comptes rendus de secours et les enquêtes de police que j’ai pu déterminer l’endroit précis où Lionel Terray et Marc Martinetti étaient tombés, depuis quasiment le haut de la paroi.


Tu souhaitais j’imagine, établir précisément les faits réels de ce qui a pu se passer dans cette voie?

Il y avait de ça effectivement. Il y avait eu énormément de coupures de journaux. Mais la presse peut parfois commettre des erreurs et publier des choses fausses. Dans ce livre, ce qui m’a animé, c’est d’avoir un souci de vérité et de précision. Quoi de mieux pour avoir cela que de compulser un rapport fait par des brigadiers de la CRS Alpes, qui je pense pour un personnage de l’envergure de Terray, n’avaient pas trop envie de raconter n’importe quoi. Je pense qu’ils ont été extrêmement factuels.

Comment s’est déroulée l’enquête?

Il y a eu plusieurs niveaux d’enquêtes sur l’accident, avec déjà le secours qui n’en a finalement pas été un. Il a malheureusement consisté à aller chercher les cadavres de Lionel Terray et Marc Martinetti qui s’étaient écrasés sur le pierrier au pied de la Fissure.
Puis en deuxième temps, une reconnaissance aérienne en hélicoptère le long de la Fissure a permis aux secouristes de repérer des éléments matériels, un sac à dos, un bonnet, un bout de corde écrasé... Cela constituait effectivement autant d’indices qui permettaient de supposer, reconstituer et situer où l’accident avait eu lieu d’une manière vraiment marquée.

Ensuite par contre, émettre plutôt une hypothèse sur la cause de l’accident. Le rapport de police concluait à une chute de pierres, qui d’une manière ou d’une autre aurait fait tomber la cordée.

Marc Martinetti a-t-il été un peu l’oublié de cette tragédie?

C’est un peu dans la logique malheureuse des choses. Il avait 25 ans au moment de l’accident. Il avait partagé avec Lionel Terray sa dernière expédition au mont Huntington en Alaska. C’était vraiment une étoile montante de l’alpinisme français, un brillant chamoniard qui avait déjà réalisé des hivernales, des ascensions d’envergure. Il avait 20 ans quand il a ouvert le pilier Martinetti qui porte son nom au Mont Blanc du Tacul.

Face au décès de Lionel Terray qui était une icône absolue de l’alpinisme, on l’a mis un tout petit peu de côté. Mais pas au moment de l’enterrement en lui-même qui a eu lieu quelques jours après car les deux cercueils ont été portés en même temps à l’église de Chamonix.
Mais effectivement après au fil du temps, on se souvient plus du décès de Lionel Terray que celui de Marc Martinetti, qui est tout aussi tragique.

Qu’as-tu appris sur Lionel Lionel Terray que tu ne connaissais pas?

J’ai beaucoup appris sur sa personnalité. Lorsque qu’on écrit une biographie et qu’on fouille dans la vie d’un personnage célèbre, il y a toujours cette inquiétude, cette espèce d’épée de Damoclès au-dessus de la tête. Si je découvrais que ce personnage extrêmement fort et brillant mais qu’au final, humainement – en prenant un raccourci -, est un vrai salaud, cela aurait été assez décevant et ça m’aurait coûté d’écrire sur lui.

Ça m’a été conforté par tous les témoignages qu’on m’a rapporté, Terray était aux antipodes de ça. A tel point, qu’on avait du mal à lui trouver des défauts majeurs alors que ses compagnons de cordée me disaient, qu’eux-mêmes n’étaient pas réputés pour faire des compliments et avaient plutôt un sens critique très aiguisé. J’ai appris par la personnalité de Lionel Terray qu’il était quelqu’un de généreux, tourné vers le collectif et qu’il avait un appétit de vie et de grimpe incroyable.

C’est quelqu’un qui avait aussi un désir de partager. Dans la seconde partie de sa carrière, il a fait énormément de films et de conférences qui étaient dans l'envie de transmettre cet essentiel que nous offre la montagne. C’était pour moi une vraie chance que de pouvoir travailler sur ce beau personnage bien au-delà de la flamboyance de sa carrière d’alpiniste pure et dure.

On n’échappe pas à Louis Lachenal quand on écrit sur Lionel Terray?

Lachenal est quand même présent dans le livre, dans le sens où entre 1945 et 1950, ce sont les années folles de Terray et Lachenal. Une cordée absolument remarquable que je qualifierais d’un mot un peu savant, holistique. C’est-à-dire que la somme de leur qualité individuelle 1 + 1 est supérieure à 2. Il y avait une espèce de bouillonnement quand la mécanique des deux se mettait en branle. C’était juste phénoménal. Leur signature va être éblouissante et en même temps étonnante.

Terray et Lachenal ne vont pas être connus pour de grandes ouvertures dans les Alpes de l’après-guerre, alors qu'il restait encore de la place pour des ouvertures qu'on qualifierait de majeures aujourd'hui. Ils vont plutôt être dans des formes de répétitions d’itinéraires, ce qui peut constituer paradoxalement quelque chose de plus difficile que l’ouverture en soi, je m'explique. Quand ils vont faire la face nord des Grandes Jorasses, c’est la 4e ascension de la face. La paroi est auréolée de la dimension mythique des premiers ascensionnistes, des tentatives d’avant, de la première répétition par Rebuffat et compagnons, puis celle de Pierre-Alain et compagnons et puis après Terray qui arrive avec Lachenal et qui va la faire en plus en sortant au sommet dans le mauvais temps. Là, il y a quelque chose de mythique qui dépasse l'entendement.

Que ce soit pour cette grande ascension ou encore un cran au-dessus, la deuxième ascension de la face nord de l’Eiger faite en 1938 par Heckmaier et ses compagnons. Il y avait une aura terrible autour de la face et cette fois encore, Terray et Lachenal vont sortir au sommet dans le mauvais temps. C’est un peu à chaque fois des survivants. Ça va aussi participer à la réputation de leur cordée qui va être vite taxée de chronomètre par leur incroyable rapidité. On le voit dans l’ascension en 1949 du Piz Badile, une grande face nord qui est quand même dans le top 6 des grandes faces nord des Alpes.

Dans la répétition de la voie Cassin, ils vont être les premiers à ne pas bivouquer dedans. J’ai répété cette voie. Il ne faut pas traîner pour pouvoir la faire dans la journée, même avec l'équipement de maintenant et qu’eux n’avaient pas.
Terray grimpait aussi d’une manière très audacieuse. Quand il était en tête, Lachenal le suivait quasiment à corde tendue, sans points intermédiaires. Il pratiquait une forme d’escalade aussi très risquée. Ils ont explosé tous les chronomètres et ont fait des temps absolument phénoménaux. Même pour monter aux refuges, il y a des horaires qui ne feraient pas rougir un trailer d'aujourd'hui. C’est quelque chose de conséquent.

Après l’expédition Annapurna, premier 8000, quelque part, c’est la fin de leur cordée. Lachenal connaîtra une fin difficile avec l’amputation d'orteils, ce qui va sonner le glas des très grandes courses et du très grand alpinisme qu'il a pu le connaître avec Lionel Terray.

T’imposes-tu une discipline particulière lorsque tu écris?

Oui, il y a vraiment un rythme de l'écriture qui est important pour moi. Ça consistait le matin à un peu écrire au kilomètre. Je ne cherchais pas à polir les mots ou à vraiment travailler mon style mais plus à avancer dans les récits. Je n’écrivais pas forcément d'une manière chronologique. J’ai écrit par exemple sur l’Alaska, l’un des derniers chapitres du livre, bien avant d’écrire sur le chapitre de l’Annapurna.

L'après-midi, j’aimais bien alterner en allant m’aérer la tête, m’oxygèner les neurones, grimper ou faire un tour de vélo. J’essayais par contre d’avoir cette régularité évoquée sachant qu’après, j’ai eu des coups de bourre. Il m'a fallu augmenter le rythme d'écriture, ce qui n’est pas évident parce qu’on on arrive quand même vite à saturation. Je savais aussi, parce que ce n’est quand même pas le premier livre que j’écris, que si un moment j’écris quelque chose qui n’est pas bon, je me dis que ça ne sert à rien d’insister, je vais faire un tour. Quand je reviens, ça repart de plus belle, ça marche.
Il y a aussi quelque chose de très important pour moi dans le process d’écriture, c’est d’avoir en permanence un carnet et un crayon sur moi même en balade en montagne. Si je ne suis pas capable de noter des idées qui viennent ou des formules qui fusent à l’instant, je ne m’en souviens plus après.
Je pouvais l’avoir aussi au pied de mon lit parce que si je me réveillais la nuit ou pensais à un truc avant de m’endormir, si je n'avais pas le carnet à proximité, je suis trop feignant pour me lever parce que je suis à moitié endormi.

Et puis dans un troisième temps, si je sentais que je n'arrivais pas à écrire d'entrée de jeu ou à repartir dans une écriture, je faisais un peu comme dans une voie d’escalade, je m’échauffais, je relisais des choses que j’avais écrites puis je les retravaillais. C’est aussi ça l’écriture d’un livre, on revient 10 fois, 20 fois, 100 fois sur une phrase, un mot jusqu'à trouver celui qui sonne parfaitement.

Ce travail d'écriture a-t-il été différent de tes autres livres?s

Oui, il a été effectivement différent dans le sens où je travaillais sur un personnage qui au début m’était « étranger ». Je n’écrivais pas un roman ou sur moi comme j’avais plutôt fait dans les livres précédents. Là, il fallait que je rentre dans la tête de Terray, dans ses jambes et ses bras et ça reste très sensible.

Cette biographie est quelque chose qui m’est propre. Ça a été une de mes grandes attentes et de mes grandes peurs aussi à la sortie du livre. L’offrir à sa famille, à ses compagnons de cordée et aux gens qui l’avaient côtoyé en espérant ne pas être complètement à côté de la plaque.

Le Terray que je décris dans le livre, c’est bien le Terray qu’ils ont côtoyé ou en tout cas, qu’ils le ressentent comme tel. Et pour moi, ça a été une vraie satisfaction d’avoir leur retour avec justement cette adéquation entre leur ressenti, eux qui l’avaient connu et qui était identique au mien et moi qui ne l’avait pas connu évidemment.

Tes parents ont lu ton livre?

Oui, mon père a lu le livre et ma mère est en train de le lire. C’était émouvant pour eux avec quelque chose de fort puisque Terray a représenté quelque chose qu’on n’imagine plus à l’heure actuelle. A l’après-guerre, il était aussi connu qu’un grand footballeur de maintenant avec une dimension et une stature très importante. Il allait faire par exemple des projections privées pour le général de Gaulle à l’Élysée. Cette dimension très large de Terray a beaucoup touché mes parents, surtout mon père.

J’ai eu un questionnement qui est venu aussi au travers du livre. Je savais évidemment que mes parents m’avaient appelé Lionel en mémoire de Terray. Je leur ai demandé pourquoi Lionel, et pourquoi pas Gaston ou Louis... ? Ça a été assez fort pour moi de constater que la réponse de mon père même des années après, a été très nette et tranchée. Il m’a dit que c'est à cause du rôle que Lionel Terray a tenu dans l’expédition Annapurna où à un moment donné il va « désobéir » au chef d’expédition Maurice Herzog qui aurait beaucoup aimé aller au sommet de l’Annapurna avec lui. Herzog dit à Terray de redescendre en bas et de se reposer pour être frais pour l’assaut final. Terray a constaté que les charges n’avaient pas été montées jusqu’au camp 4 et que si ce matériel n'était pas installé, cela fermait la voie du sommet. Il s’est dit alors qu’il allait les monter, mais chemin faisant, il se ferme la porte du sommet.

C’est quelque chose qui a marqué mon père d’une manière indélébile. Ça traduisait bien son état d’esprit. Je pense qu’il y avait aussi ce côté « chevaleresque » des alpinistes qui était un peu ce versant de lumière qui s’opposait certainement au versant noir qu’a pu traverser mon père qui a connu tout gamin la seconde guerre mondiale. Lui aussi a été appelé à 20 ans puis est parti à la guerre d’Algérie.

Aimerais-tu de nouveau travailler sur une biographie?

C’est pas du tout exclu car c’est un exercice qui m’a beaucoup plu. L’idée ne serait pas d’exploiter le filon, de faire maintenant la biographie d’untel ou untel. Mais c’est quelque chose qui peut m’intéresser. L’histoire de l'alpinisme est riche avec des parcours absolument incroyables de personnages qui ont traversé l'histoire. Certains on eu le projecteur braqué sur eux et puis d’autres beaucoup moins. Alors, peut-être que ça pourrait être intéressant de faire une biographie sur un ou une alpiniste un peu oubliée. Donc affaire à suivre.

Quels sont tes nouveaux projets maintenant ?

Sur un plan très pragmatique, je suis un peu dans le suivi du livre jusqu’à l’été. Autant, si je vois que je me sens suffisamment entraîné et que j'ai une bonne période de disponibilité à la fin de l'été, partir dans un projet de proximité ne serait pas pour me déplaire. Redéfinir l’aventure à ma porte est quelque chose qui m’est cher et j’ai toujours sous le coude quelques projets très légers à mettre en place.

Mais ça peut être aussi partir avec Véronique, ma femme. On aime beaucoup grimper et pédaler. Ce sont des choses qui peuvent se mettre en place assez facilement mais pour le moment, il n'y a pas de gros projet d'expédition lointaine qui demanderait une grosse mise en œuvre dès aujourd’hui.

Lors d’une interview, tu as dit être un alpiniste écrivain et que peut-être un jour, tu deviendrais un écrivain montagnard. La frontière n’est pas encore franchie?

Je vais sur mes 56 ans, je suis quand même un vieil alpiniste (rires). C’est évident que je n’ai plus la moelle de mes 20 ans. La flamme est toujours présente mais elle brûle différemment pour la montagne. Petit à petit, je sens que je me tourne de plus en plus dans une voie peut-être littéraire ou je ne serais plus dans l’action même de grimper et d’ouvrir des voies mais plus de recueillir justement tout cet invisible de la montagne, essayer de mettre des mots dessus. On se rend compte que cette invisible peut parler à tout le monde. C’est quelque chose qui est essentiel et qu'on a plus que jamais besoin dans notre époque qui est quand même assez sombre au final.

> La page FB de Lionel Daudet ici

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