4 500 ans de baisers : mais pourquoi donc les êtres humains s'embrassent-ils ?

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4 500 ans de baisers : mais pourquoi donc les êtres humains s'embrassent-ils ?

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Dans un jardin, deux chérubins couverts de mousse en train de s'embrasser.
Dans un jardin, deux chérubins couverts de mousse en train de s'embrasser.
- Fiona Crawford Watson

Une étude récente prouve que l'être humain s'embrasse depuis plus de 4 500 ans. Un chiffre qui pourrait bien être plus ancien encore. Mais, pourquoi les êtres humains s'embrassent-ils sur la bouche ?

Voilà 4 500 ans que les êtres humains s’embrassent. Plus de quatre millénaires que les lèvres se rencontrent dans un rituel du baiser dont on peine encore à comprendre tous les tenants et les aboutissants.

Il y a quelques semaines encore, on savait avec certitude que les premiers baisers dataient, a minima, de 1 500 ans avant notre ère. On en trouve en effet les traces et descriptions dans le Veda, un des plus anciens corpus littéraires au monde, rédigé en sanskrit archaïque. D’autres traces de baisers ont été identifiées en Egypte antique, dans un papyrus découvert à Déir el-Médineh, dans lequel un poète anonyme écrivait ces lignes entre 1539 et 1075 avant J.-C. : “Et quand ses lèvres sont pressées contre les miennes / Je suis ivre et n'ai pas besoin de vin / Quand nous nous embrassons, et que ses lèvres chaudes s'entrouvrent / Je vole à travers les nuages, ​​sans bière”.

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Dans une étude, publiée en mai 2023 dans la revue Science, deux chercheurs de l'université de Copenhague viennent pourtant de faire réaliser un bond de 1000 ans dans le passé à l’histoire du baiser. En lisant un article consacré à la propagation de l'herpès par le passé par le biais du baiser, les chercheurs danois Troels Pank Arbøll et Sophie Lund Rasmussen, ont réalisé qu’ils avaient déjà croisé des preuves historiques faisant remonter les origines du baiser à une date plus ancienne encore. “Nous avons réalisé que la plupart des études de la communauté scientifique au sens large citaient une source indienne datant d'environ 1500 avant notre ère comme la première référence au baiser romantique sexuel”, précise l’historien Troels Pank Arbøll . “Je savais qu'il existait des documents antérieurs provenant de l'ancienne Mésopotamie et je me suis rapidement rendu compte que les preuves avaient été largement rassemblées dans un document dès les années 1980, mais que ces informations n'avaient apparemment jamais été diffusées”.

Un baiser plus ancien encore

Le corpus en question faisait en effet référence à des tablettes en argile de l’Irak antique, gravées il y a 4500 ans, dans lesquelles des dialogues érotiques entre un homme et une femme laissaient peu de doute sur l'antériorité du baiser amoureux.

“Les origines du baiser romantique et sexuel doivent se situer bien plus loin dans la Préhistoire que ce nous pouvons détecter avec les méthodes actuelles”, nuance pourtant Troels Pank Arbøll. Les deux scientifiques danois en veulent pour preuve une étude consacrée à une bactérie, la coccobacille buccal Methanobrevibacter oralis. En étudiant des dents d’hommes de Néandertal, des chercheurs ont retrouvé des traces de cette bactérie, également présente dans la bouche des homo sapiens. Ce constat a permis d'émettre l’hypothèse que les néandertaliens et nos lointains ancêtres auraient pu, il y a plus de 100.000 ans, se “rouler des pelles”.

Un réflexe lié à la pré-mastication ?

Les humains s’embrassaient donc il y a de cela des millénaires, voire des dizaines de millénaires. Reste à savoir pourquoi ? Aujourd’hui encore, les scientifiques multiplient les explications pour tenter de comprendre d’où nous vient cette tradition, et s’il s’agit d’un héritage naturel ou appris.

Les premières pistes qui justifient cet attrait censément inné pour les baisers renvoient à la petite-enfance. De nombreux psychologues évolutionnistes estiment que le baiser pourrait être une résurgence inconsciente du “transfert alimentaire de pré-mastication”, lorsque les mères de nos lointains ancêtres prémâchaient la nourriture avant de la transférer de bouche à bouche. Par extension, presser ses lèvres sur celles de son enfant pourrait avoir été, pour les mères, une façon de les rassurer lors de temps difficiles, voire d’exprimer leur affection afin de les tranquilliser.

Un rituel destiné à obtenir des informations

D’autres chercheurs estiment de leur côté que le baiser romantique ou sexuel tient plus de l’adaptation évolutive. Ce n’est pas un hasard si le fait d’embrasser son partenaire est aussi plaisant : les lèvres sont une des zones du corps humain où la présence de neurones sensoriels est la plus élevée. Lorsque les lèvres sont stimulées, notre cerveau nous récompense ainsi avec des neurotransmetteurs, tels la dopamine, l'ocytocine et la sérotonine, communément surnommés “hormones du bonheur”. Pour le dire vulgairement, se rouler des pelles serait le prélude à un véritable cocktail chimique incitant, à terme, à la procréation.

S’embrasser pourrait également être une manière indirecte de stimuler notre odorat : s’approcher suffisamment pour déposer un baiser sur des lèvres, c’est aussi se donner l’occasion de se renifler et de sentir son partenaire, et donc d’obtenir des informations à son sujet. La question de savoir dans quelle mesure les humains sont capables de ressentir les phéromones fait encore débat, mais les phéromones présentes dans la sueur ou la salive pourraient bien jouer un rôle de taille dans notre désir de reproduction : en guise d'atomes crochus, il s'agit plutôt de signaux chimiques émis de façon à faire passer des messages à nos futurs partenaires.

En fait, les baisers transmettent tant d’informations que le premier baiser, s’il se déroule mal, pourrait convaincre des partenaires potentiels de cesser immédiatement toute relation. C'est le constat dressé par Gordon Gallup, psychologue de l'évolution à l’université d'Albanie de New York, dans une étude portant sur plus de 1 000 étudiants et consacrée à leurs préférences, attitudes et comportements en matière de baisers. ”Parmi les étudiants que nous avons interrogés, la majorité d’entre eux, hommes comme femmes, déclarent avoir été attirés par quelqu'un, puis avoir découvert, à une ou plusieurs reprises, après les avoir embrassés pour la première fois, qu’ils n'étaient plus intéressés”, raconte Gordon Gallup. “S’embrasser implique un échange d’informations très compliqué - des informations olfactives, des informations tactiles et des types d'ajustements posturaux - qui peuvent puiser dans des mécanismes évolués et inconscients sous-jacents et qui permettent aux gens de déterminer leur degré d'incompatibilité génétique". L'un des avantages du baiser est donc qu'il permet l'échange de nombreuses données, ce qui permet d'évaluer inconsciemment un partenaire potentiel.

Les baisers, grâce à des informations transmises chimiquement, permettraient donc d'évaluer inconsciemment des partenaires potentiels. Mais, ces derniers transmettent également virus et bactéries. Dans une étude parue dans la revue Medical Hypotheses, le chercheur Colin Hendrie décrit la façon dont certains échanges de microbes, via la salive, conduisent à un renforcement du système immunitaire. Il s’appuie sur l’exemple d’un virus tératogène, le cytomégalovirus, capable d’infecter les fœtus. Selon le chercheur, en s’embrassant régulièrement pendant les semaines qui précèdent la procréation, la future mère peut être contaminée puis développer une immunité face au cytomégalovirus. Les baisers pourraient donc ainsi avoir pour effet collatéral de protéger leurs récipiendaires. On sait aujourd’hui qu’un baiser amoureux, réalisé avec la langue, d’une dizaine de secondes, entraîne un transfert de 80 millions de bactéries entre les partenaires. Si dans certains cas ces échanges peuvent provoquer une maladie, ils permettent avant tout un important renforcement des défenses immunitaires.

Un baiser absent de nombreuses cultures

Avec tant d’avantages concentrés dans un simple baiser, on pourrait s’attendre à ce que les êtres humains soient des adeptes de la “galoche” partout dans le monde. Il n’en est rien. Dans une étude publiée en 2015, intitulée Le baiser romantique-sexuel est-il presque universellement humain ? , l’anthropologue William Jankwiak était parvenu à la conclusion que le baiser de lèvres à lèvres était loin d’être universel. Selon ses résultats, sur 168 cultures à travers le monde, 77 d’entre elles, c'est-à-dire moins de la moitié, pratiquaient le baiser romantique. Un chiffre qui confronte l'idée que le baiser n'a rien d'inné, et qu'il résulte d'un apprentissage.

“Le plus de vêtements vous portez, plus la fréquence des baisers est importante, et le moins de vêtements vous portez, plus la fréquence des baisers est faible”, relevait d'ailleurs l’anthropologue dans une interview accordée à la BBC, en 2021. “Chez les [groupes de] chasseurs-cueilleurs, on ne trouve pas de personnes qui s’embrassent, à une seule exception près, les inuits du cercle arctique. Ils sont le seul groupe de chasseurs-cueilleurs qui s’embrassent, ils frottent leurs lèvres sur les lèvres de l’autre”.

Son étude conforte des rapports bien plus vieux encore, parmi lesquels le récit fait par Charles Darwin, dès 1835, de ses pérégrinations à bord du H. M. S. Beagle. Lors de son passage sur les côtes de la Nouvelle-Zélande, le naturaliste racontait sa rencontre avec des Maoris. Il avait alors assisté à des interactions lors desquels, en guise de baisers, les femmes s’accroupissaient avant que les hommes ne passent au-dessus d’elles pour les renifler.

Loin de l’Europe, certaines cultures sont donc restées totalement hermétiques au baiser romantique tel que nous le concevons. Preuve que le partage d’informations intimes peut passer par d’autres gestes que le baiser de lèvres à lèvres. Ce qui n’est pas non plus sans avantage : dans leur étude rappelant que les baisers étaient âgés d’au moins 4.500 ans, les chercheurs Sophie Lund Rasmussende et Troels Pank Arbøll se penchaient sur les origines de la maladie de l’herpès, et rappelaient que la souche de cette maladie, qui se transmet par voie orale, pourrait bien remonter aussi loin que l’âge de bronze. Une maladie qui n'aurait pas tant d'incidence aujourd'hui si, comme le pratiquent certaines cultures, nous nous contentions de nous renifler.