Elle était considérée comme un monstre sacré : la soprano Magda Olivero, est morte le 8 septembre à l’âge de 104 ans, dans un hôpital de Milan, des suites d’un accident vasculaire cérébral. Cette grande dame du chant, à la carrière aussi longue que riche (plus d’un demi-siècle), restera avec Maria Callas et Leyla Gencer, un acteur majeur dans l’histoire de l’interprétation de l’opéra italien.
Née le 25 mars 1910 à Saluzzo, dans le Piémont, Maria Maddalena Olivero, fille d’un magistrat, étudie le piano, l’harmonie, le contrepoint et le chant à Turin. Elle y débute à la radio en 1932 dans l’oratorio I Misteri dolorosi, de Nino Cattozzo. En 1933, l’Opéra de Turin lui offre son premier rôle puccinien : Lauretta dans Gianni Schicchi, tandis que La Scala de Milan, séduite par sa voix agile et ses aigus stratosphériques, lui propose son premier Verdi avec Gilda (Rigoletto). Sa carrière est lancée : suivront Nanetta (Falstaff, de Verdi), et trois grands Puccini : La Bohème (Mimi), Madame Butterfly (rôle-titre), Turandot (Liù), rôle qu’elle interprète au disque en 1938 dans le premier enregistrement mondial de l’opéra.
Adriana Lecouvreur, le rôle de sa vie
En 1937, elle chante à l’Opéra de Rome le rôle d’Elsa dans Lohengrin, de Wagner, avant d’ajouter à son répertoire Violetta (La Traviata, de Verdi) et Manon (Manon Lescaut, de Puccini). Elle crée aussi des œuvres contemporaines de Franco Alfano ou Felice Lattuada. En 1939, elle aborde celui qui deviendra le rôle de toute sa vie, Adriana Lecouvreur, de Francesco Cilea : elle s’y révèle insurpassable, au point que la rumeur veut que Callas se serait gardée de l’interpréter de crainte de ne pouvoir soutenir la comparaison.
Deux ans plus tard, son mariage avec l’industriel Aldo Busch (disparu en 1983) l’incite à quitter la scène en pleine gloire. Magda Olivero se contente alors de donner quelques concerts pour des organismes de bienfaisance durant la seconde guerre mondiale. C’est seulement dix ans plus tard, en 1951, qu’elle reprend le chemin de la scène : incitée par de nombreux admirateurs et surtout le compositeur Francesco Cilea, quasi mourant, qui a demandé à l’entendre chanter une dernière fois son Adriana Lecouvreur sans savoir qu’il mourrait deux mois avant la première du 21 janvier, à Brescia.
Commence alors pour Magda Olivero une seconde carrière, encore plus brillante que la première, résolument tournée vers le vérisme – Margherita (Mefistofele, de Boito), Santuzza (Cavalleria rusticana, de Mascagni), Nedda (Pagliacci, de Leoncavallo), Tosca, Giorgetta (Il Tabarro) et Suor Angelica (Puccini), Fedora (Giordano) et Francesca da Rimini (Zandonai). Elle se produit partout en Europe mais ne fera ses débuts en Amérique qu’en 1967 à Dallas dans le rôle fétiche de Maria Callas, Médée, de Cherubini. Il faudra attendre 1975 pour que le Metropolitan Opera de New York lui fasse un triomphe dans Tosca, à 65 ans, l’âge où d’autres prennent leur retraite.
Une carrière exceptionnelle par sa longévité
Puccini et la jeune école italienne, une poignée de Verdi et d’opéras français (Manon, de Massenet) : la carrière de Magda Olivero demeure exceptionnelle pour sa longévité et un rayonnement artistique inversement proportionnel à la discrétion de la femme. De 1951 jusqu'à sa retraite à 71 ans, en mars 1981, où elle interprète La Voix humaine, de Francis Poulenc, Magda Olivero a côtoyé plusieurs générations d’artistes (d’Aureliano Pertile à Luciano Pavarotti en passant par Alfredo Kraus, Placido Domingo, puis la génération née après guerre), préservant l’intégrité de sa voix grâce à une technique exceptionnelle, une expressivité et un sens dramatique hors du commun.
Elle continuera d’ailleurs à se produire sporadiquement jusque dans les années 1990, interprétant à 83 ans des extraits de sa bien-aimée Adriana Lecouvreur (voir le documentaire de Jan Schmidt-Garre, Opera Fanatic, paru en DVD chez Arthaus Music), et jusqu’à 99 ans, qui la virent dans une scène de Francesca di Rimini n’ayant plus, bien sûr, la puissante de naguère mais toujours l’incroyable maîtrise d’une longueur de souffle exceptionnelle.
La carrière de Magda Olivero avait pourtant mal commencé : le chef d’orchestre Ugo Tansini, qui l’avait auditionnée à ses débuts à Turin, avait eu cette phrase assassine : « Elle ne possède ni voix, ni musicalité, ni personnalité... » Ce ne fut pourtant pas l’avis du professeur de chant Luigi Gerussi, qui lui inculqua, en quelques années d’un travail acharné, une technique d’une solidité à toute épreuve permettant à la jeune femme de s’investir sur scène avec une intensité telle que ses auditeurs en restaient pantelants d’émotion. Car « la » Olivero, bien que très réservée, au contraire de « la » Callas, avait elle aussi des inconditionnels qui n’hésitaient pas à susciter de véritables émeutes. C’est ainsi qu’aux Arènes de Vérone, en 1970, où elle chante Manon Lescaut avec le tout jeune Placido Domingo, la police devra intervenir face à des centaines de fans tentant d’envahir la scène.
Magda Olivero laisse un legs discographique officiel peu abondant : une Turandot de 1938 avec Gina Cigna (Cetra Archives), Fedora, de Giordano, ainsi que des extraits de Francesca da Rimini, de Zandonai, enregistrés en 1969 avec Mario Del Monaco (Decca), des extraits d’Adriana Lecouvreur gravés avec accompagnement de piano en 1993 alors qu’elle a 83 ans (Bongiovanni) et un récital « Magda Olivero : Death Scenes Celebration » sorti en 1994 chez VAI Music. Mais les « Magdamaniacs » ont depuis longtemps thésaurisé le monceau d’enregistrements publics d’abord piratés et écoutés sous le manteau, avant d’être dûment édités comme en témoigne la liste répertoriée sur Operadis-opera-discography.org.uk.
Dates
1910 : Naissance le 25 mars à Saluzzo (Italie).
1939 : Débute dans son rôle fétiche d’« Adriana Lecouvreur » de Cilea.
1951 : Reprend sa carrière interrompue en 1941.
1975 : Fait ses débuts au Metropolitan Opera de New York dans « Tosca ».
8 septembre 2014 : Mort à Milan (Italie).
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