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Extinction de la biodiversité : et si c'était au tour des humains ?

Le réchauffement climatique entraîne une réduction de la biodiversité. L'extinction des espèces connaît un emballement sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Dans le pire des scénarios, le genre humain, lui aussi, est menacé.

Bienvenue dans la sixième extinction, encore appelée « entrée dans l'anthropocène ».
Bienvenue dans la sixième extinction, encore appelée « entrée dans l'anthropocène ». (Shutterstock)

Par Jacques Henno

Publié le 18 oct. 2021 à 14:50Mis à jour le 21 oct. 2021 à 09:50

Après une première réunion virtuelle en ce mois d'octobre, la quinzième rencontre (COP15) des membres de la Convention sur la biodiversité se tiendra en présentiel en Chine, en avril prochain. Il y a urgence, car tout ce qui constitue la vie sur Terre est menacé. Selon le sixième rapport d'évaluation du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), durant les années 2011-2020, la température à la surface du monde a été plus élevée de 1,09 °C que lors des années 1850-1900, qui servent de référence préindustrielle.

Ce réchauffement climatique d'origine humaine s'est accompagné d'une hausse du niveau de la mer de 20 centimètres entre 1901 et 2018 . Il devrait également entraîner une intensification des cyclones tropicaux et des tempêtes . Or, dans le même temps, le réchauffement de l'eau fragilise les barrières de corail qui protègent les côtes. La mort du corail dans certaines îles du Pacifique a ainsi doublé la puissance des vagues sur le littoral…

Melomys rubicola, petit rongeur disparu

En 2019, Melomys rubicola, un petit rongeur qui ne vivait que sur Bramble Cay, une langue de sable de 200 mètres de large, entourée d'une barrière de corail, entre l'Australie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, a été déclaré officiellement éteint. Il s'agirait de la première espèce de mammifère victime du réchauffement. Bramble Cay, régulièrement inondée, s'était transformée en piège. Et Melomys rubicola n'avait pas d'autre endroit où aller.

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En 2019, Melomys rubicola, un petit rongeur, a été déclaré officiellement éteint.

En 2019, Melomys rubicola, un petit rongeur, a été déclaré officiellement éteint.

« Dans toutes les espèces, des individus quittent leur population par erreur et s'installent ailleurs. Avant le changement climatique, si un individu allait accidentellement au-delà de l'endroit où son espèce vivait normalement, il mourait tout simplement. Mais, avec le changement climatique, ces individus peuvent rencontrer de bonnes conditions de vie et de reproduction dans des endroits en dehors de leur aire de répartition historique : ils peuvent survivre et créer une nouvelle population dans des zones situées plus au nord ou à une altitude plus élevée », explique Camille Parmesan, écologue spécialiste des conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité, professeur à la Sete (Station d'écologie théorique et expérimentale).

Mais si, au Nord de l'habitat d'origine, il n'y a qu'une zone non propice à la relocalisation, comme l'immense étendue d'eau du Pacifique, l'aire urbaine de Paris ou une monoculture, alors l'espèce reste sur place, diminue en nombre, dégénère sous l'effet de l'endogamie, disparaît…

La sixième extinction

Bienvenue dans la sixième extinction, encore appelée « entrée dans l'anthropocène ». « On estime que, depuis le début du XVIe siècle, 705 espèces de vertébrés - mammifères, oiseaux, reptiles, amphibiens, poissons - et 571 espèces de plantes connues se sont éteintes, déplore Sandra Lavorel, directrice de recherche CNRS au Leca (Laboratoire d'écologie alpine) à Grenoble et membre de l'Ipbes (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services), le 'GIEC de la biodiversité'. Ceci correspond à 10.000, voire 100.000 fois plus que le taux de base avant que les humains ne deviennent un facteur majeur d'impact sur la planète », poursuit la chercheuse.

« Normalement, chaque million d'années, quelque 20 % des espèces disparaissent et sont remplacées, précise Bruno David, président du MNHN (Muséum national d'histoire naturelle). Mais nous sommes aujourd'hui sur une trajectoire qui, extrapolée sur 1 million d'années, aboutirait au chiffre de 8.000 % pour les mammifères : cela signifie qu'au cours des 40, 50 ou 60 prochaines années 500.000 à 1 million d'espèces animales ou végétales pourraient disparaître. »

Soit 5 à 10 % du nombre estimé d'espèces constituant la vie sur Terre. Ce pourcentage peut paraître faible, mais les scientifiques sont incapables de préciser à partir de quel seuil l'extinction risque éventuellement de s'emballer et de provoquer un effondrement de tout notre écosystème.

Effondrement des ressources halieutiques

Déjà, il semblerait que plusieurs espèces - comme la morue au large de Terre-Neuve - aient dépassé le point de non-retour. « A certains endroits, la chaîne du vivant est en train de s'effondrer : il y a une accélération sans précédent de l'extinction de la biodiversité et celle-ci est d'origine anthropique, insiste Pierre Dubreuil, directeur général de l'OFB (Office français de la biodiversité), le bras armé de l'Etat français pour la préservation de la biodiversité. Si la trajectoire actuelle se poursuit, la Terre survivra, mais peut-être pas l'homme… ».

« Au-delà de 2 °C de réchauffement climatique à la fin du siècle, nous perdrons tous les récifs coralliens, affirme Karl Burkart, l'un des coauteurs de Global Deal for Nature, un plan d'urgence pour sauver la diversité de la vie sur Terre. Il y aura alors un effondrement des ressources halieutiques ; or 3 milliards de personnes dépendent de la pêche pour se nourrir. »

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« Repenser le modèle de consommation »

Que faire ? « D'abord, il faut bien comprendre que les sujets 'lutte contre le réchauffement climatique' et 'préservation de la biodiversité' sont intrinsèquement liés et cela pour plusieurs raisons, prévient Alexandra Deprez, chercheuse sur la gouvernance internationale du climat à l'Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). Premièrement, le changement climatique a un impact sur la biodiversité ; ensuite maintenir des écosystèmes - qui, par exemple, stockent du carbone - aide à réguler le climat ; changement climatique et réduction de la biodiversité partagent des causes communes comme la surexploitation des ressources … Et pour résoudre ces deux problèmes, il faut notamment repenser notre modèle de consommation non-durable et accélérer la décarbonation de nos économies. »

Enfin, il faut être conscient que certaines solutions envisagées pour lutter contre le réchauffement, comme les technologies de séquestration du dioxyde de carbone, peuvent mettre à mal la biodiversité et se retourner contre l'homme.

Ainsi, selon les dernières estimations, pour atteindre les objectifs fixés pour la fin de ce siècle lors de la COP de Paris, il faudrait consacrer entre 300 et 700 millions d'hectares de terre à la seule BECSC (Bioénergie avec captage et stockage de dioxyde de carbone : extraire la bioénergie de la biomasse et capturer et stocker le carbone qu'elle contient). Soit la taille de l'Inde ou de l'Australie. Certains scénarios avancent alors un doublement du prix de la nourriture…

Quelles zones protéger en priorité ?

Wilfried Thuiller, directeur de recherche CNRS au LECA (Laboratoire d'Ecologie Alpine), à Grenoble, le reconnaît : « C'est vrai, on ne pourra pas tout sauver, on ne pourra pas protéger toute la surface de la planète, mais on peut protéger un maximum d'espèces dans des endroits clés, notamment les espèces qui sont menacées ou endémiques. » Avec sept collègues européens, il a publié une étude intitulée « Equilibrer les priorités de conservation pour la nature et pour les personnes en Europe ». Ses auteurs y affirment que « bien choisir les 5 % de terres supplémentaires à protéger en Europe peut doubler le potentiel de conservation de la biodiversité. »

Aux Etats-Unis, deux chercheurs de l'Université d'Arizona, John J. Wiens et Cristian Román-Palacios ont montré que les espèces vivant sous les tropiques sont les plus menacées : « sous les tropiques, à basse altitude, le climat est chaud tout au long de l'année ; à haute altitude, le climat est frais toute l'année. Alors que dans la zone tempérée, toutes les espèces doivent survivre à une large gamme de températures chaque année. Les espèces tropicales sont, elles, adaptées à une plage de températures plus étroite et pourraient donc ne pas être en mesure de survivre à l'augmentation des températures les plus élevées due au réchauffement climatique », explique John J. Wiens.

J. H.

Que pouvons-nous faire ?

Le mot d'ordre ERC (Eviter, Réduire, Compenser) peut se décliner pour les citoyens, les consommateurs et les entreprises.

· chaque citoyen peut lutter contre le réchauffement (recycler, consommer moins d'énergie…)

· les consommateurs peuvent faire pression sur les entreprises pour qu'elles ne proposent que des produits issus de processus respectant la biodiversité

· 150 entreprises ont déjà adhéré au programme 'Entreprises Engagées pour la Nature' de l'Office français de la biodiversité et modifié leur chaîne de valeur ou leurs investissements.

Les entreprises ont tout intérêt à défendre la biodiversité :

· en 2016 le rapport Delannoy pour le ministère de l'Ecologie estimait que chaque million d'euros dépensé en France pour la protection de la biodiversité engendrait en moyenne 19 emplois non délocalisables.

· un document de travail (« Un 'printemps silencieux' pour le système financier ? ») publié en août par la Banque de France, l'OFB, Normal Sup, etc. révèle que « 42 % du montant des actions et obligations détenues par des institutions financières françaises est émis par des entreprises qui sont fortement ou très fortement dépendantes d'au moins un service écosystémique. »

Jacques Henno

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