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Quelle a été l’évolution historique du patrimoine en Espagne ?

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Miguel Artola Blanco, Luis Bauluz, Clara Martínez-Toledano*

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La richesse a suscité une attention croissante de la part du monde universitaire et de l’opinion publique. Les fortes variations du cours des actifs et l’importance des positions transfrontalières au sein de la zone euro - pour ne citer que deux tendances économiques significatives récentes - soulignent l’importance de l’analyse des agrégats de richesse. À cette fin, l’Espagne mérite pleinement l’attention des universitaires internationaux. Depuis l’entrée de l’Espagne dans la zone euro à la fin des années 1990, l’économie espagnole a connu un boom immobilier considérable suivi d’une crise tout aussi exceptionnelle. Le pays a également connu une forte détérioration de sa position de détenteur d’avoirs extérieurs nets et une hausse plus récente de son niveau d’endettement public.

Dans cet article, Miguel Artola Blanco, Luis Bauluz et Clara Martínez-Toledano étudient pour la première fois l’évolution historique du patrimoine national espagnol dès le début du XXe siècle. Ils établissent un bilan complet et détaillé comprenant les actifs financiers, non financiers et offshore. Leur objectif est d’analyser et de documenter la dynamique de la richesse à long terme, en mettant l’accent sur l’évolution et les facteurs déterminants de la récente bulle immobilière. Ils constatent qu’au cours du XXe siècle, le ratio richesse/revenu national est resté dans une fourchette relativement étroite - entre 400 et 600 % - jusqu’à ce que le boom immobilier du début des années 2000 entraîne une hausse inédite de 800 % en 2007. Ainsi, le niveau du ratio richesse/revenu national de l’Espagne était le plus élevé de tous les pays dont les données recensées depuis le début du XXe siècle sont disponibles.

L’évolution singulière de la richesse en Espagne s’explique par plusieurs spécificités. Premièrement, les auteurs indiquent que le passage d’une forte valeur accordée aux terres agricoles à une forte valeur accordée aux propriétés foncières urbaines, observée dans d’autres pays avancés, a été particulièrement rapide en Espagne. Deuxièmement, ils montrent également qu’en Espagne, contrairement à d’autres pays riches, les plus-values dues à l’augmentation soutenue du prix relatif des actifs ont joué un rôle crucial dans l’accumulation de la richesse sur le très long terme, surtout depuis les années 1950. Les résultats indiquent que le facteur le plus important est l’immobilier, représentant 80 % et 82 % respectivement des plus-values totales sur les périodes 1950-2017 et 1980-2017. Troisièmement, l’Espagne est depuis la fin des années 1990 fortement tributaire des financements étrangers ; en effet, l’augmentation de son passif extérieur net a été la plus importante des pays développés. Les auteurs présentent de nouvelles données empiriques qui illustrent la manière dont le secteur privé a contribué à la diminution marquée des avoirs extérieurs nets, en particulier par l’émission de titres de créance par les institutions monétaires espagnoles. Ce processus a, à son tour, favorisé une augmentation de l’endettement des ménages et un boom immobilier sans commune mesure. Dans l’ensemble, les résultats soulignent l’importance de la propriété foncière, des plus-values immobilières et des flux de capitaux internationaux comme éléments essentiels de l’accumulation des richesses.

Les conclusions des auteurs ont des implications plus larges en matière d’élaboration des politiques publiques. Si les décideurs politiques avaient eu accès aux données détaillées sur la richesse et à la décomposition des prix de l’épargne présentées dans ce document, ils auraient pu constater que l’Espagne traversait une période d’augmentation inédite des plus-values. Les résultats indiquent également un lien direct entre l’offre internationale de flux de capitaux et la formation de la récente bulle immobilière espagnole. La crise économique de 2007-2013 a révélé de sérieuses lacunes dans la conception originale de l’euro ; alors que celle-ci prévoyait une convergence rapide des taux d’intérêt entre les états membres et une augmentation rapide des positions transfrontalières, la crise a entraîné une mauvaise répartition des investissements en capital ainsi qu’une mauvaise appréciation de la valeur des actifs. Il est par conséquent fortement recommandé de surveiller plus étroitement les marchés internationaux de capitaux et leur interaction avec les actifs locaux.

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Références

Titre original de l’article : Wealth in Spain, 1900-2017. A Country of Two Lands
Publié dans : The Economic Journal
Disponible sur : forthcoming

Crédit photo : (Shutterstock)
* Doctorante, PSE