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Les prévisions algorithmiques et le conseil en ligne peuvent-ils contribuer à réduire le chômage ?

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Yagan Hazard (master PPD)

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Depuis le début des années 2000, Internet a suscité chez les économistes et les responsables politiques l’espoir d’une plus grande efficacité dans la recherche d’emploi (1). D’aucuns pensaient qu’Internet allaient faciliter la recherche de postes pour les demandeurs d’emploi, au vu à la fois du moindre coût de la publication d’offres d’emploi sur Internet et de la centralisation des offres par les plateformes en ligne. Toutefois, les premières tentatives d’évaluation des effets de ces plateformes sur la recherche d’emploi ont quelque peu modéré cet enthousiasme, étant donné qu’aucune répercussion significative n’en est ressortie (2). Face à la capacité grandissante des plateformes à regrouper et classer de manière de plus en plus efficace les postes à pourvoir, l’espoir initial d’un marché du travail rendu plus dynamique par Internet a connu un regain d’engouement ces 10 dernières années. Un nombre croissant de services de placement publics investit d’ailleurs dans des moyens innovants pour aider à la recherche d’emploi.

En France, Pôle emploi dispose de sa propre pépinière de start-up ; aux États-Unis, l’Ohio a récemment annoncé un partenariat avec LinkedIn pour aider les demandeurs d’emploi dans leur recherche. Toutefois, comme mentionné plus haut, il n’existe pas suffisamment d’études expérimentales qui fournissent des éléments probants de l’efficacité de ces politiques. Des recherches récentes suggèrent qu’en matière de recherche d’emploi, fournir des conseils personnalisés en ligne pourrait élargir l’ensemble de postes pris en compte par les demandeurs d’emploi et augmenter leurs chances d’obtenir un entretien d’embauche (3). Cela s’appliquerait en particulier aux personnes qui font des recherches très ciblées (pour l’ensemble de professions recherchées) dans un premier temps.

L’évaluation de La Bonne Boîte menée par Yagan Hazard fournit des preuves de l’efficacité de l’aide à la recherche d’emploi en ligne. La Bonne Boîte est une start-up qui utilise des données administratives sur le comportement passé des entreprises en matière d’embauche ainsi qu’un algorithme pour prévoir les opportunités d’embauche au sein de ces structures. Ces informations sont ensuite mises à disposition sur un site Internet afin d’aider les demandeurs d’emploi à faire des recherches plus efficaces. Dans cette étude, Yagan Hazard tire parti d’un essai contrôlé randomisé (ECR) mené par Pôle emploi en 2015, au cours duquel l’agence encourageait (par e-mail) 75 000 demandeurs d’emploi sélectionnés de façon aléatoire (« traités ») à utiliser La Bonne Boîte : la comparaison entre ces individus et 75 000 autres demandeurs d’emploi aléatoires (« témoins ») permet d’estimer le lien de causalité de cet encouragement par e-mail. En moyenne, aucun effet statistiquement significatif n’est détecté sur le taux de recherche d’emploi. Cependant, l’étude révèle l’existence d’une certaine hétérogénéité. En effet, sur les marchés du travail « tendus » (soit sur des marchés du travail où le rapport entre le nombre de postes à pourvoir et le nombre de demandeurs d’emploi est élevé), les individus qui sont encouragés à utiliser La Bonne Boîte ont 0,5 point de pourcentage de chances en plus de trouver un emploi après 6 mois par rapport à ceux qui n’ont pas reçu d’encouragements. Ce constat reflète le rôle de La Bonne Boîte, à savoir le tri des offres d’emploi : ainsi, cette aide permettrait aux demandeurs d’emploi de concentrer leurs efforts de recherche sur les entreprises ayant la plus forte probabilité d’embauche. Si tel est le cas, alors, intuitivement, cet effet devrait se faire d’autant plus sentir là où il y a initialement de nombreuses entreprises à considérer - et cela expliquerait un effet plus important sur les marchés du travail « tendu ». Enfin, une autre analyse d’hétérogénéité suggère que les personnes ayant les perspectives d’emploi les moins bonnes bénéficient davantage de cette aide que les autres. Plus précisément, au sein d’une population dont la probabilité de trouver un emploi est inférieure à la médiane (en l’absence d’aide à la recherche d’emploi), les personnes qui ont été encouragées à utiliser La Bonne Boîte connaissent un taux d’embauche supérieur de 3 points de pourcentage après 6 mois par rapport à ceux n’ont pas été encouragés à utiliser cette méthode. Ce résultat semble montrer que l’aide à la recherche d’emploi en ligne pourrait être un outil utile pour lutter contre le chômage de longue durée, un objectif politique primordial, étant donné les coûts élevés qui en découlent.

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Références
(1) Autor, D.H. (2001). Wiring the Labor Market. Journal of Economic Perspectives.
(2) Khun P., Mansour H. (2014). Is Internet Job Search Still Ineffective ? The Economic Journal.
(3) Belot M., Kircher P., Muller P. (2017). Providing Advice to Jobseekers at Low Cost : An Experimental Study of Online Advice. The Review of Economic Studies.

Titre du mémoire de master : « Online Platforms and the Labour Market : Learning (with Machines) from an Experiment in France »
Sous la direction de : Luc Behaghel
Disponible sur : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02407555

Crédit photo : Raw Pixel (Shutterstock)