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L’effet de l’immigration sur le marché du logement en France

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Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane, Dramane Coulibaly

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En France métropolitaine, les deux tiers de la population immigrée vivent dans trois régions : l’Ile-de-France, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur. La concentration géographique des personnes immigrées suscite des inquiétudes économiques, au premier rang desquelles l’effet sur le marché du logement. La perception qui prédomine est que les flux migratoires contribuent à la crise du logement et, plus généralement, constituent une charge pour l’économie. Une simple analyse des corrélations montre d’ailleurs que les prix immobiliers sont plus élevés dans les régions où les flux migratoires sont plus importants.

Dans cet article, Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane, Dramane Coulibaly évaluent les effets causaux des flux d’entrées d’immigrés permanents originaires de pays tiers à l’Espace Economique Européen (EEE) sur les prix des logements, en prenant en considération les conditions économiques en France et l’offre du parc social. En utilisant les données des 22 (anciennes) régions métropolitaines entre 1990 et 2013, les auteurs adaptent des méthodes d’évaluation des politiques macroéconomiques afin d’identifier les effets de l’immigration sur les prix immobiliers, le revenu moyen, le taux de chômage et l’offre de logements sociaux. Cette approche permet de tenir compte des interactions entre l’ensemble des variables et, notamment des effets que les conditions économiques, les prix immobiliers et l’offre de logements sociaux peuvent avoir sur les flux migratoires. Les résultats montrent que, contrairement à la corrélation positive observée entre les prix immobiliers et les flux migratoires, ces derniers ne contribuent pas à augmenter les prix immobiliers en France. C’est plutôt l’inverse qui se produit : les flux d’entrées d’immigrés réagissent négativement à la hausse des prix immobiliers et positivement à l’amélioration des conditions économiques en France. L’offre de logements sociaux ne semble pas les influencer. Les résultats montrent aussi que l’immigration contribue à améliorer le niveau de vie moyen ; le produit intérieur brut par habitant augmente en moyenne dans l’ensemble des régions françaises alors que le taux de chômage moyen ne réagit pas significativement, confirmant ainsi le résultat obtenu dans un précédent article (1).

Ces résultats s’expliquent notamment par le fait que le principal motif d’admission au séjour en France est familial, les immigrés qui arrivent pour ce motif sont les membres de famille étrangers de Français ou les membres de famille d’étrangers installés en France (2). Dans le cadre de la procédure du regroupement familial, il est nécessaire de justifier d’un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même zone géographique. L’immigré qui souhaite faire venir sa famille doit trouver un logement respectant certains critères avant de faire la demande de regroupement. Ainsi, lorsque le marché immobilier est tendu, il est plus difficile pour les immigrés de faire venir leur famille. L’article montre ainsi que c’est particulièrement les flux d’entrées de personnes originaires de pays en développement et les femmes qui réagissent négativement aux prix immobiliers.

Les spécificités du marché du logement en France pourraient également contribuer à expliquer nos résultats, en particulier l’effet non significatif sur les prix immobiliers des flux migratoires. En effet, la France est l’un des pays développés où le nombre de logements par habitant est relativement élevé, en particulier comparé aux Etats-Unis, et où le marché immobilier réagit le moins aux chocs. En France, le marché de logement est caractérisé par une mobilité faible, 76% des logements sont occupés par des propriétaires-occupants ou par des locataires dans le parc social et le marché locatif privé est relativement plus encadré comparé aux autres pays développés. En prenant en compte le parc social qui est particulièrement important en France (44% du marché locatif national), l’article montre également qu’il n’y a pas d’interaction entre les flux d’immigrés et l’offre de logements sociaux.

Même si les enjeux liés aux migrations internationales ne sont pas uniquement économiques, ces derniers sont au cœur du débat public en France. L’accès au logement dans les zones les plus dynamiques économiquement peut être source de ressentiments, mais l’immigration de ressortissants de pays tiers à l’EEE ne semble pas affecter les prix immobiliers.

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Titre original de l’article : International migration and regional housing markets : Evidence from France
Publié dans : International Regional Science Review, Vol. 42(2), pp.147-180, 2019
Disponible sur : https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0160017617749283?journalCode=irxa

(1) d’Albis, H., Boubtane, E., Coulibaly, D., 2016. Immigration policy and macroeconomic performances in France. Annals of Economics and Statistics 121-122, 279-308.
(2) d’Albis, H., Boubtane, E., 2015. Caractérisation des flux migratoires en France à partir des statistiques de délivrance de titres de séjour (1998-2013). Population 70, 461-596.