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Paludisme, moustiquaires et mortalité infantile en Afrique

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Denis Cogneau* et Pauline Rossi

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La réduction de la mortalité infantile constitue sans doute l’une des plus importantes réussites de développement en Afrique subsaharienne. Entre 1990 et 2015, le risque de décès avant l’âge de 12 mois a été divisé par deux, passant de 10.8% à 5.5%. Les facteurs de ce succès sont encore mal connus. Parmi eux, la lutte contre le paludisme (malaria) est très fréquemment citée, en particulier parce que le programme « Roll Back Malaria », largement financé par l’aide internationale, a procédé à des distributions massives de moustiquaires imprégnées d’insecticide à partir du début des années 2000. Cette idée avait été expérimentée et promue depuis le milieu des années 1980 par les entomologistes de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) en France. Non seulement la moustiquaire protège des piqûres, mais l’insecticide repousse les moustiques, les assomme s’ils se posent sur lui, et en tue un certain nombre. Leur efficacité est censée être d’autant plus élevée que leur utilisation est généralisée dans une zone donnée, car elle aboutit à une baisse de la population de moustiques porteurs du parasite, et donc du risque d’infection. La technologie a progressé et propose désormais des moustiquaires à longue durée d’action (5 à 7 ans). Si plusieurs expériences aléatoires locales ont déjà démontré l’efficacité de ces moustiquaires pour la survie des enfants, il n’y a pas encore consensus sur l’impact de leur distribution à grande échelle. Les résultats expérimentaux sont difficiles à extrapoler pour deux raisons : d’une part ils ont été obtenus dans des contextes locaux pas forcément représentatifs, et d’autre part l’adoption des moustiquaires a parfois été fortement encouragée.

A partir de données d’enquête à large échantillon (enquêtes démographiques et de santé) sur seize pays d’Afrique subsaharienne, couvrant la moitié de la population du sous-continent, où le paludisme est particulièrement présent et souvent endémique, Denis Cogneau et Pauline Rossi estiment la relation entre la diffusion des moustiquaires et le progrès des chances de survie des enfants. Ils montrent tout d’abord qu’entre 2002 et 2015 l’accroissement du taux d’équipement en moustiquaires des ménages a été massif, passant de 30% de ménages couverts à plus de 75%, mais aussi qu’il n’a pas été uniforme dans l’espace : certains pays (comme le Cameroun) mais aussi certaines zones au sein de chaque pays en ont beaucoup moins reçu que d’autres. En utilisant cette variation de la répartition des moustiquaires dans l’espace et dans le temps, ils parviennent à identifier un impact important sur la mortalité infantile. Cet impact n’est pas visible dans les villes, ni dans les zones rurales faiblement impaludées. En revanche, dans les zones rurales où la prévalence initiale (en 2000) du paludisme est élevée et où la couverture en moustiquaires a atteint un niveau élevé (plus de 75% des ménages couverts), le taux de mortalité infantile a été réduit d’au moins 3 points de pourcentage, ce qui représente 25% du taux de mortalité initial. L’impact identifié est encore plus élevé pour les enfants de mères qui ne sont jamais allées à l’école, soit la moitié des mères en milieu rural. De façon surprenante, il se situe dans le haut de la fourchette des résultats expérimentaux, le plus probablement parce que ceux-ci ont été obtenus dans des contextes à faible mortalité et/ou à faible prévalence du paludisme. Par ailleurs, les calculs des auteurs suggèrent que la distribution des moustiquaires pourrait expliquer entre un quart et un tiers de la baisse générale de la mortalité infantile entre 1990 et 2015.

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Titre original : Malaria Control and Infant Mortality in Africa (Working Paper)
Disponible : https://hal-pjse.archives-ouvertes.fr/hal-01543033

Crédit photo : Punghi (Shutterstock)